La poste demeurait la voie royale de l'édition. Les manuscrits étaient ouverts et moi, parfaite inconnue, j'avais autant de chance de trouver un éditeur que la fille d'un millionnaire ou une jeune actrice inspirée. Mais il y avait une condition : je devais écrire un bon roman. Je ne vais pas vous mentir : nous ne sommes pas tous égaux. La fille du millionnaire ou l'actrice inspirée n'a pas forcément besoin d'écrire une ligne pour être éditée. Moi si. Mais il y a une justice. Et si je ne trouvais pas d'éditeur, c'est que mon roman était mauvais.
J'avais rencontré Beethoven sur le blog de "Wrath", une romancière recalée de tous les comités de lecture de France avec son roman au titre poétique : Crevez-tous ! Sur son blog, très prisé, nous étions nombreux à échanger nos points de vue sur l'édition, rarement sur les livres. Des aspirants écrivains, des écrivains accomplis et même quelques éditeurs s'y retrouvaient pour médire les uns des autres et laisser libre cours à leur agressivité. C'était très festif et ordurier.
J'avais remarqué qu'à ses débuts, "Wrath" publiait ses nouvelles en quête de conseils et d'avis mais tout le monde s'en foutait ou alors, les internautes profitaient de cette occasion pour la casser « Et c'est avec de telles daubes que tu veux être éditée ? ». Elle avait renoncé à exposer ses textes, comme on renonce à ouvrir son cœur (si elle lit ça, je suis morte).
Quelques intrépides wannabes (c'est ainsi que "Wrath" appelait les aspirants-écrivains en mal de publication) persistaient à poster des extraits de leur texte et se faisaient lapider sans pitié. « C'est ça que tu appelles écrire, Du-con ? Retourne apprendre l'alphabet ».
Ce blog était malgré tout une mine d'informations pour la novice que j'étais.
"WRATH", la vipère sulfureuse que tous les éditeurs de Paris rêvaient de fesser, affirmait que jamais aucun manuscrit envoyé par la poste n'avait été lu depuis la création du monde et donc, par déduction, encore moins édité. Les heureux romanciers estampillés « édités par la poste » se succédaient pour jurer du contraire mais elle n'en démordait pas. Bonne chance me narguait-elle quand, très sûre de mon talent, je la toisais de toute ma hauteur, jurant que moi, j'y arriverai. Je serais publiée par voie postale. Jalouse !
Mais comment cette blondinette diaphane de moins de 50 kilos et plus acide qu'un citron osait affronter les gros mammouths virils de l'édition ?
Je ne la croyais pas. Je ne suis pas dingue. Je croyais Beethoven. Le monde est juste. Un bon livre est un livre lu. Les gentils gagnent contre les méchants. Beethoven pensait et pense encore j'imagine (je l'ai perdu de vue malheureusement depuis l'extinction du blog de "Wrath", et mon cœur se serre à cette triste évocation) qu'il y a une justice malgré tout. Tout est dans le « malgré tout ». Je pense encore comme lui mais un peu moins qu'avant.
Dans sa grande bonté, le grand écrivain (qui sera bientôt primé d'un titre ô combien honorifique, je prends les paris), entretenait avec les pauvres petits Wannabes que nous étions des échanges épistolaires et gentils. Ah, il nous ramenait vers le côté lumineux de la force quand Wrath nous tirait vers le côté obscur.
« Certes, concédait-il, les manuscrits sont mal lus. Mais ils sont lus. Les éditeurs sont pour la plupart des cons, c'est vrai (pardon de jouer les balances Beethov). Mais aucun chef-d'oeuvre ne reste méconnu, à moins de le laisser pourrir au fond d'un disque dur. »
Bon, l'épreuve se corsait : fallait que je produise un chef-d'oeuvre. Je n'étais pas sûre d'en être capable, sacrebleu !
Un jour, cet homme de lettres et d'exception me fit l'honneur de jeter un œil à mes écrits et là, la sentence tomba. Ma tête en roule encore... C'était peut-être pas nul mais en tout cas, c'était pas très bon. Désolé, qu'il dit. J'accueillais les critiques de mon mentor avec calme et humilité. O rage, ô désespoir ! Quelques petites pointes de révolte remontaient parfois me titiller les orteils (j'aime me tenir tête en bas depuis) mais je les étouffais courageusement. Ah, de l'air ! Grand écrivain de mes deux, va !
Je dois reconnaître que je souffrais d'un handicap : les fautes. Je faisais pleins de fautes. Des fautes d'orthographes, d'accords, de conjugaison... Et si j'avais corrigé beaucoup de ces travers, il en restait toujours. Je bossais. Je scribouillais des mots même dans mes rêves. A un moment, je suis arrivée à un résultat correct. Je n'espérais pas qu'on crie au génie en ouvrant mon livre mais cela commençait à ressembler à un vrai roman et donc normalement, selon les prévisions de Beethoven l'écrivain-sorcier, je devais être éditée. Les corrections payées par la maison d'édition et les bons conseils de mon « éditeur à moi » finiraient de parfaire mon premier roman.
Equipée d'une imprimante et d'un relieur achetés d'occasion pour dix euros TTC, je bombardais les éditeurs de Paris. Deux mois plus tard, les mêmes lettres de refus me furent retournées, comme à 99,99 pour cent des inconnus qui comme moi, ont posé leur cœur dans une enveloppe et l'ont confié à La Poste. Les chances de gagner au loto sont supérieurs, talent ou pas, fautes ou pas. Ce qui ne doit pas vous décourager de jouer, évidemment. Il me manquait juste un père millionnaire (liste non exhaustive, cela peut être un mari éditeur, une maman journaliste ou un amant président) et je n'en avais pas sous le coude. Dès lors, je n'accordais plus à ces réponses qu'un intérêt mineur, voire désabusé. Et forte d'une opiniâtreté bientôt légendaire, j'entrepris l'écriture d'un second, puis d'un troisième roman qui connurent tous deux le même sort tragique. On n'en voulait pas, sniff. On ne voulait pas de moi ! J'étais nulle !
Non, je ne peux pas signer un contrat d’édition avec vous !.
La nuit précédent la décision qui doit bouleverser ma vie, j'attends encore !, un éditeur étrange voulut me tester. Il me proposa de passer une épreuve. J'acceptais. Pour une fois que quelqu'un me proposait quelque chose, je n'allais pas faire ma mijaurée. L'éditeur voulait savoir si les esprits réagiraient à ma présence. On les appela. Et la réponse ne tarda pas à venir : c'était OUI. Les esprits s'affolèrent. Tout valsait autour de nous, les objets volaient.
« Tes dons de sorcière sont phénoménaux s'écria l'éditeur fou », les yeux quasi révulsés et les joues pourpres. Quand une table se retourna sur sa tête, il commença à paniquer. Moi-même, je n'en menais pas large. Les objets ne touchaient plus terre et pire que tout, mon petit garçon âgé de trois ans, que j'avais eu la mauvaise idée d’emmener, fut emporté loin de moi. Il volait, criant : « Maman, maman, je suis Peter Pan. ». N'écoutant que mon cœur de mère, j'opposais au pouvoir fou des esprits mon pouvoir maternel et le gosse vola dans l'autre sens, jusque dans mes bras. Mon fils accroché au cou, et j'aurais préféré mourir que le laisser s'envoler de nouveau, je déclarais à l'éditeur : « non, je ne peux pas signer un contrat d'édition avec vous, cela met la vie de mon fils en danger. » Et je le plantais là. Ah, j'ai oublié de préciser que la scène ci-dessus est un rêve.
Je me suis réveillée plus épuisée qu'après trois nuits successives d'insomnie mais au saut du lit, je savais quoi faire : j'allais m'auto-éditer. Je serai une Indée.
Voilà, comment tout cela a commencé.
Bene di Capria...
Attention, ceci est une série, soyez patients.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…