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Auteur
Le
24
oct
2023
Les Classiques : Jim Thompson et moi. Par Michel Laurent
Michel Laurent a publié son premier texte sur monBestSeller il y a un mois. Et déjà nous propose une tribune.
Tout à fait l'esprit wikimBS !
En 1981, Bertrand Tavernier nous livrait une de ses œuvres cinématographiques majeures, "Coup de torchon".
En quelques pellicules, il radiographiait l’humanité dans toute sa médiocrité, nous faisant passer du sourire à la terreur. L’indolence de ces vieux blancs aux chairs davantage ramollies par la bêtise que par la chaleur, aurait pu nous faire penser au chapitre africain du "Voyage au bout de la nuit".
En fait non. Il s’agissait de l’adaptation du livre de Jim Thompson "Pottsville, 1280 habitants", un chef-d’œuvre du roman noir datant de 1964.
L’action du livre se déroulait dans un état du sud des États-Unis, dans les années 20. Tavernier l’a transposée en Afrique Occidentale Française, dix ans plus tard.
J’ai lu le roman une dizaine d’années après avoir vu le film. J’ai reçu à sa lecture le même coup de poing à l’estomac.
En quelques phrases, voici l’histoire. Le shérif Nick Corey est un individu fainéant, apathique, un peu simplet. Il est bafoué et humilié par tous, à commencer par sa femme qui, non contente de le tromper, passe l’essentiel de son temps à le tyranniser. Dans la première partie du roman, on s’attend à ce que Corey soit le François Pignon d’un dîner de cons mémorable. Mais en l’écoutant nous raconter sa vie, nous nous apercevons peu à peu que nous sommes en réalité en présence d’un être manipulateur et machiavélique, qui ne recule devant rien, en particulier le meurtre et même le meurtre en série, pour arriver a ses fins. L’atmosphère glisse progressivement vers la noirceur bien que les exactions du shérif soient présentées de manière innocente, presque naturelle. Le représentant de la loi est en fait son plus grand transgresseur et Corey s’avère être totalement amoral. Il s’agit d’un roman noir majeur, caustique et mordant, d’un humour corrosif et cynique.
N’étant pas Proust, longtemps je me suis couché à pas d’heure.
Et je me disais souvent, en cherchant le sommeil, qu’il serait intéressant d’imaginer un lointain descendant à ce Nick Corey, descendant qui débarquerait avec ses frusques et son machiavélisme dans notre monde moderne. Les bons auteurs étant requis par leurs éditeurs à des travaux plus urgents, j’ai décidé de m’atteler moi-même à la tâche. Ou plutôt de m’y essayer, l’humilité étant de mise dans un tel projet. Au final, Bébert, mon héros, gardien d’immeuble dans une banlieue difficile, est sensiblement différent du shérif Corey. Il œuvre davantage dans le sarcasme que dans le cynisme. Si Corey est fondamentalement amoral, Bébert pense être quant à lui doté d’une véritable conscience morale, même si c’est une morale assez personnelle. Autre différence majeure, Bébert est amoureux. Il ne sait pas toujours si c’est de Marie, de la petite Nina ou d’autres encore, mais c’est un fait, il aime les femmes. Et, à ce qu’il prétend, elles le lui rendent bien. Enfin pas toutes, car avec Aline, sa concubine, c’est une autre paire de manches… Mais c’est avec la petite Nina que les relations les intéressantes vont se mettre en place. Pour le meilleur et pour le pire... Corey et Bébert partagent une idée commune. Il n’est pas immoral de débarrasser la Terre des êtres nuisibles. Au final, 5 individus n’auront pas survécu à ce récit. Il n’y a a priori vraiment pas de quoi rire ! Mais j’espère tout de même qu’il y a beaucoup à sourire…
Michel Laurent est Professeur émérite de biologie à l’Université Paris-Sud d’Orsay (Paris-Saclay), spécialiste de bioinformatique et de modélisation mathématique, il est l'auteur de nombreuses publications dans ces domaines.
Il est également l'auteur d'un recueil de Nouvelles :
"Neuf Nouvelles Neuves" (2022) 114 p. Amazon ISBN 9798805325527)
et de deux romans :
"Lucie, trois fois Lucie" (2022) 240 p., Amazon ISBN 9798828894581
"Fallait pas faire ça" (2023) 252 p, Amazon ISBN 9798863150505.
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Un article très intéressant qui m'a fait ajouter un roman à ma liste d'incontournables à lire!
Une oeuvre peut tant marquer notre imaginaire, qu'elle en vient même à nous pousser à créer. Je trouve cela fantastique que vous fassiez le parallèle entre ce film et ce roman qui vont ont marqués, et votre propre livre qui en découle naturellement, après une digestion de ces deux premières oeuvres! C'est une jolie manière de mettre en exergue la complexité et le relief de votre personnage principal. Merci pour le partage!
La noirceur de l'âme humaine : voilà qui s'harmonise bien avec mes histoires soporifiques !
Bref je suis preneur.
@Philippe De Vos
Un auteur, Jean-Bernard Pouy, est parti à la recherche des 5 âmes manquantes, dans un assez joli exercice de style et avec pas mal d’humour (1280 âmes, Seuil, 2002). Effectivement, la première traduction de Pop 1280 dans la « Série Noire », en plus d’avoir perdu 5 unités entre l’anglais et le français, était passablement tronquée dans le texte et la nouvelle traduction, en 2016 aux éditions Rivages, est bien plus satisfaisante.
J'ai lu ce bouquin il y a 15 ans environ, sous le titre 1275 âmes.
L'étrangeté résidant d'abord dans la traduction de Pop 1280.
Où sont passées les 5 âmes dans la traduction ? Disparues, comme, il semblerait, certains passages du livre. Nouvelle traduction, nouveau titre ?
Enfin ! la différence entre 1280 et 1275 est de 5, ce qui fait sens à la fin du livre.
Le roman est très drôle. Un roman noir bourré d'humour où l'on suit le shérif Nick Corey, un peu plouc, et d'une paresse affligeante. Et pourtant, ce type balourd va effectivement devenir un dangereux prédateur. Malheur à ceux qui se mettent en travers de sa route.
Pour "Coup de torchon", l'ayant vu après avoir lu le livre, ce film m'a dérouté. Il m'a fallu le voir trois fois pour commencer à l'apprécier.
Le côté amoral du shérif me plait beaucoup.
Un très bon conseil de lecture pour un petit bouquin qui se lit dans l'après-midi.
Philippe