Interview
Du 16 sep 2020
au 16 sep 2020

Bon débarras !

Tatie Danielle n'est pas morte, elle s'est réincarnée en Antonia Delpopolo pour l'appel à l'écriture monBestseller : Un été presque parfait
Antonia Delpopolo, heu pardon Tsilla Chelton...Antonia Delpopolo, heu pardon Tsilla Chelton...

 

- En êtes-vous bien sûre ?

S'il y a bien quelque chose qui soit capable de me transformer en meurtrière c'est bien que cette chipie d'Anémone me demande, de son air pincé de vieille pucelle : En êtes-vous bien sûre ?

Heureusement que le grand âge m'a ôté la force de passer à l'acte et que je n'ai pas d'arme à portée de main, sinon...

Mais il y a toujours ce regard posé sur moi. Un regard lourd, teinté d'incrédulité, un regard de  vilaine femme en pleine forme qui m'observe comme si j'étais une erreur de la nature, un monstre ou quelque chose comme ça. Je me suis relevée sur mes oreillers en refusant son aide, on a sa dignité, nom de nom, j'ai croisé les bras sur ma poitrine ou sur ce qu'il en reste, et j'ai répété:

- Si je vous le dis, par Dieu, c'est que c'est vrai ! Qui aurait l'idée d'inventer une telle histoire à mon âge ! Et puis ouvrez cette fenêtre, on étouffe ici. Vous voulez me faire cuire ma parole ! Et puis profitez-en pour aller me chercher de l'eau, s'il vous plaît.

Si j'ai dis ça, c'est uniquement pour qu'elle se lève, pour que je ne l'ai plus en face à moi, pour que j'échappe enfin à cette présence qui m'oppresse. Maintenant que je suis seule dans cette grande chambre aux volets tirés pour échapper à la chaleur, voilà que je suis en colère contre moi. Il y a des années que je n'ai rien dit ou plutôt des années que j'ai menti à tout le monde. Alors qu'est-ce qu'il m'a pris ? Le grand âge qui rend inutile le poids des secrets car l'essentiel se concentre sur l'effort et l'espoir de vivre quelques jours de plus ? Sans doute, mais aussi le besoin de montrer ma vraie nature, pas la très jolie c'est le moins que je puisse dire. Le plaisir de passer ce poids à quelqu'un qui n'a aucune raison de le porter. Quelqu'un que je n'aime pas, qui fait le bien par devoir comme celui de venir visiter une vieille dame qui ne lui a rien demandé. Quelqu'un qui est la sentence personnifiée, la voix de Dieu sur terre, le goupillon dans une main, la balance de la justice dans l'autre. Voilà trop longtemps que cette punaise de bénitier s'acharne à venir « me visiter » comme elle dit, s'obstine à m'empoisonner l'existence et à m'encombrer de sa présence sous prétexte que la solitude est mauvaise conseillère. Sauf que moi, la solitude ne m'a jamais gênée. Je suis quelqu'un d'égoïste, je le sais et je n'en souffre pas, bien au contraire. J'ai toujours aimé que l'on me fiche la paix et j'ai tout fait pour qu'il en soit ainsi. Tout, jusqu'à ce qu'il y a de plus honteux et que je viens de lui confier. Pourquoi ? Je n'ai même pas envie de le savoir.

J'entends le pas d'Anémone, la voici à côté de mon lit. Elle pose la bouteille d'eau sur la table, emplit un verre, me le présente. Trop tard, je n'ai plus soif. Elle ne dit rien, pose le verre, s'assied de nouveau. Cette fois je vais vraiment l'achever :

- Et vous voulez que je vous en dise plus ?

Je la vois qui rougit encore plus, pourtant la chaleur a déjà bien empourpré ses joues.

- Ce n'est pas vraiment la peine, vous êtes fatiguée il vaudrait mieux que vous restiez tranquille.

- Mais j'insiste, j'ai besoin de me libérer de tout ça. C'est un peu comme une confession, quelque chose de si important qu'il restera absolument secret, scellé entre vous et moi à jamais. Vous méritez cette confiance Anémone. Vous comprenez n'est-ce pas ?

Bien sûr qu'elle comprend ! Manquerait plus que ça qu'elle ne comprenne pas !

- Alors voilà. C'était pendant l'été 2020, vous savez, l'été avec cette maladie dont on avait fait tout un plat. Tout le monde fuyait la capitale comme des rats. La peur était partout, une vraie débandade qui n'était pas pour faire honneur, mais enfin. Moi j'étais dans ma maison, à la fraîche, en Bretagne. J'étais tranquille, en bonne santé et toute cette affaire ne me touchait absolument pas. Je ne me suis jamais intéressée aux affaires des autres pas plus que je ne me sentais concernée par celles de ma famille. Mes enfants et petits-enfants ne venaient pas souvent me rendre visite ce qui m'ennuyait pas du tout, au contraire. Les Côtes-d'Armor c'était trop loin de Paris et sans doute pas assez exotique pour eux. Peut-être aussi qu'ils savaient que j'avais horreur du désordre qu'ils semaient partout sur leur passage. Alors, lorsqu'ils m'ont annoncé qu'ils comptaient venir chez moi pendant tout l'été parce qu'à l'époque on ne pouvait plus trop voyager loin, ça m'a révoltée, voilà. Les enfants, ils se croient tout permis. On les met au monde par hasard ou parce que ça se fait, ils vous bouffent déjà toute votre jeunesse et voilà, qu'en plus, ils viendraient s'installer chez moi, sans me demander mon avis, merde alors !

Je jette un regard sur Anémone. Une statue, la mine en berne, les mains jointes sur les genoux. Pas de doute, elle porte sa croix. Ou plutôt la mienne et c'est bien fait. Je vais lui en donner, moi, de la  piété en veux-tu en voilà et même avec du rabe si nécessaire. Je laisse aller un moment de silence histoire de bien plomber l'atmosphère. Et c'est parti pour l'estocade :

- Alors oui, je l'ai fait. Je ne leur ai rien dit, j'ai fermé la maison et je suis partie avant qu'ils n'arrivent. Je me suis cachée derrière la haie et je les ai attendus. Je les ai vus se précipiter dans l'allée, une horde sauvage ! Ils ont piétiné une plate-bande, tapé de plus en plus fort contre la porte, crié à tue-tête : maman, mamie tu es là ! Comme si j'étais sourde ! Si j'étais là, bien sûr que j'aurais ouvert avant tout ce tintamarre. Ils ont du alerter tout le voisinage. Puis ils sont partis en patrouille autour de la maison, du jardin, sont revenus, on tenté de téléphoner. Même de la haie j'entendais la sonnerie retentir à l'intérieur, n'importe qui aurait compris que je n'étais pas là. Eux non, ils se sont entêtés pendant combien de temps ? Je n'en sais rien. Au bout d'un moment, lassée par tout ce cirque, j'ai pris mon sac, je suis partie et je ne suis jamais revenue. Quant à eux,  je ne les ai jamais revus depuis.

Il y a un silence de catacombe, Anémone pétrifiée la chaleur qui nous assomme, une mouche épuisée qui vient se poser sur la table. Puis la voix étranglée de ma visiteuse : 

- Mais qu'avaient-ils fait pour mériter cela ?

- Rien du tout, ils ne sont pas tombés sur la bonne mère, c'est tout. Moi je voulais qu'on me laisse tranquille. Je voulais une vie pour moi toute seule, j'ai mis du temps mais je l'ai eue.

Je me sens épuisée tout à coup, comme si j'avais couru une course de fond. J'appuie ma tête contre les oreillers, je n'ai plus envie de regarder Anémone, je n'ai plus envie de rien. Je ne salue même  pas ma visiteuse quand elle se lève et qu'elle me quitte sans un mot. 

Au moins, cette fois, je ne la reverrai plus.

C'est à cet instant que Jules, hilare, apparaît à la porte du fond : 

- Là, tu as fait super fort ! Comment tu l'as scotchée l’Anémone ! Mais comment tu peux inventer un truc pareil, c'est incroyable ! Tu devrais écrire des histoires, parole ! Tu sais que je t'adore toi !

Je me tourne vers lui, mets un doigt sur mes lèvres :

- Chut !

Antonia Delpopolo

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@Antonia Delpopolo, délicieusement pervers, on sourit devant la malice de cette tatie Danielle et la cruauté qui perce (la part qui existe en chacun de nous) comme si elle regrettait de ne pas l'avoir fait !! Bravo et merci pour ce petit instant savoureux, dommage pour les coquilles à corriger plus tard.

Publié le 21 Septembre 2020

@Antonia Delpopolo, une belle parodie de Tatie Danielle. Alors oui, l’été était presque parfait pour la famille et pour la visiteuse dévouée... et le thème parfaitement respecté.
Merci pour ce partage et pour votre imagination. Bravo aussi pour le choix de la photo représentant Tatie Danielle. Toute sa rouerie, sa méchanceté, sa mesquinerie y sont lisibles.

Publié le 17 Septembre 2020