Elle est arrivée avec un léger retard, espérant se faire désirer.
Comme toutes les autres…
Sans doute m’a-t-elle observé à travers la vitre du restaurant, pour s’assurer que je corresponds à la photo de mon profil. Côté physique, je n’ai jamais eu besoin de tricher. A quarante-cinq ans, je reste plutôt bel homme.
Elle porte une petite robe noire, classique mais élégante. Cheveux lissés blond platine. Trop maquillée. Elle a dû passer un long moment devant son miroir, à tenter de gommer, à grand renfort de poudres et de fond de teint, les premiers ravages du temps sur son visage.
Une sordide impression de déjà-vu…
Il ne m’a fallu que deux semaines pour obtenir ce premier rendez-vous. Une bonne moyenne. Mon discours sur les sites de rencontres est parfaitement rôdé : avocat dans un cabinet de renom, fraîchement séparé, je recherche une relation sérieuse. Quelques notes d’humour, pour ponctuer les échanges de banalités, suffisent à les attirer dans mes filets.
Tous les chasseurs vous le diront, la traque est aussi excitante que la mise à mort…
Le dîner est agréable ; la timidité des premiers instants s’évapore au fur et à mesure que se vident les verres de vin. Peu à peu, elle me livre sa vie, sa solitude, ses espoirs.
Après avoir réglé l’addition, j’insiste pour la raccompagner. Au pied de son immeuble, elle me propose de monter boire un dernier verre.
Elles sont si prévisibles ! Je suis l’incarnation de l’imprévisible, le visage noir du prince charmant.
Nous voilà confortablement installés dans son canapé face à une bouteille de champagne déjà bien entamée.
Je profite de son passage dans la salle de bains pour verser dans son verre la drogue qui, dans quelques minutes, me donnera les pleins pouvoirs, fera d’elle une poupée de chiffon aux mains du prédateur que je suis. La partie est presque trop facile. A ce double jeu, je gagne à tous les coups.
Demain, elle se réveillera nue dans son lit, en proie à une violente migraine, n’aura qu’un vague souvenir de cette nuit, regrettera d’avoir trop bu. Le doute l’envahira, mais elle n’osera pas porter plainte contre moi, l’homme de loi au-dessus de tout soupçon.
Comme toutes les autres…
Elle me rejoint dans le canapé et porte le verre à ses lèvres, me gratifiant d’une œillade plus que suggestive. Un frisson de satisfaction me parcourt l’échine.
A sa demande, je me lève et me dirige vers le fond de la pièce pour choisir un morceau de musique. Après avoir parcouru les disques sur l’étagère, j’opte pour Romeo et Juliette, la danse des chevaliers, de Prokofiev.
Lorsque je me rassois à ses côtés ; son verre est vide. Le piège se referme, le jeu touche à sa fin.
Bientôt, les premiers signes de confusion sont perceptibles. Prise de vertige, elle tente de se lever, mais ses jambes flageolent et elle se laisse mollement retomber sur le canapé, à ma merci.
Je m’allonge sur elle, déboutonne sa robe et enfouis mon visage entre ses seins, grisé par le parfum de ma victoire.
Soudain, une douleur aigue au niveau du cou me freine dans mon élan. Je bascule sur le côté et m’effondre sur le sol, mon corps ne m’obéit plus. Sans comprendre, je l’aperçois debout au-dessus de moi, une seringue à la main. Son sourire timide a laissé place à un rictus diabolique. Son regard se plante dans le mien, à la fois singulier et familier. Je n’y avais pas prêté attention, absorbé que j’étais par l’ivresse du jeu : ces yeux vert émeraude, je les connais ! C’est la dernière chose dont je me souvienne avant de perdre connaissance.
Je me réveille dans une cave mal éclairée. Il me faut de longues minutes pour reprendre mes esprits et réaliser que je suis nu, bâillonné et attaché à une chaise de métal rivée au sol. Mes muscles se contractent douloureusement sous l’effet combiné du froid et de la panique. Je tente en vain de me dégager. Mes hurlements ne sont que des gémissements étouffés.
Elle surgit de l’ombre, après s’être délectée du spectacle de ma détresse. Ses cheveux sont à présent roux et bouclés.
-Ça fait un bail qu’on ne s’est pas vus. Un an jour pour jour, pour être exacte. Je lis dans tes yeux que tu me reconnais.
Elle me tourne autour comme une lionne encerclant sa proie, puis réapparait avec un plateau couvert de divers objets métalliques. Faisant mine d’hésiter entre une pince et un scalpel, elle approche son visage du mien et me souffle à l’oreille :
-A mon tour de jouer avec toi
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Un chasseur prit au piège par sa proie. Est-il victime d'un accident ? Ou hameçon
C'est court, mais c'est parfait comme ça <3
Sympa à lire mais j'attendais la chute. Seul le mode opératoire me manquait. J'ai d'abord pensé à une simple inversion des verres. Le coup de la seringue de novitchok à la russe est amusant quoiqu'un peu surréaliste. Ça donne une petite teinte BDesque.
@Catherine Braillon,
Une nouvelle bien menée qui laisse le soin au lecteur d'imaginer la suite. Dommage que l'on ne connaisse pas la vôtre. Je suppose que ces 4400 caractères imposés en sont la cause.
Amicalement
Nathalie Twardowski
@Catherine Braillon
Une nouvelle bien écrite et une chute bien amenée malgré l'horreur qui doit suivre… J'aurais bien aimé plus de détails ou de longueur sur la première partie du texte afin de mieux connaitre les personnages peut-être que la chute aurait été plus spectaculaire. J'aime ce retour de situation. Bravo et merci pour le partage.
Amicalement
Maureen
Bonjour Catherine Baillon,
Une nouvelle simple et efficace avec une légère touche philosophique.
Nicola Niclass
"Anna"
@Catherine Braillon
L'écriture est fluide et l'histoire intéressante. Bravo!. Le final est malgré tout assez horrible!
Avis subjectif. Ah lalaaaa, je m'attendais à un twist final plus "punchy", une révélation que je n'aurais pas vue venir. Vous faites monter la sauce mais elle retombe comme une éjaculation faciale qui atterrit sur le rideau. Du coup, je vous en veux ! D'autant que la fin de l'histoire laisse sans explications une incohérence prépondérante.
À la limite, ne pas révéler sa véritable identité est bien vu. Mais comment diable a-t-elle pu inhiber l'effet de la drogue ingérée ? Si elle a vidé son verre dans une plante ou sous le canapé, le narrateur aurait pu, une fois tombé par terre, apercevoir une flaque, juste avant de partir dans les vapes...
Certains effets appartiennent à ce que j'appelle la PVA (part de vérité acceptable), c'est-à-dire rester crédible sans être forcément plausible. Par exemple : comment l'a-t-elle sorti de chez lui et transporté dans cette cave ? Concernant la drogue, cela mérite d'être éclairci.
Enfin, pour ma part, plutôt que cette phrase trop longue et trop explicative : "-Ça fait un bail qu’on ne s’est pas vus. Un an jour pour jour, pour être exacte. Je lis dans tes yeux que tu me reconnais", j'aurais simplement écrit : "—Ça fait un bail."
Dès lors, quand le lecteur comprend et se refait le film, c'est toujours l'auteur qui gagne. Mais l'effet est jubilatoire pour l'un comme pour l'autre !
Amitiés
Norin
@ Catherine Braillon
Intéressant ! Cette dernière phrase pourrait être le départ d'un roman…
Amicalement. Franck.
Bonjour @Catherine Braillon ,
Une nouvelle fort intéressante et bien menée du début jusqu'à la fin. J'ai apprécié la lecture.
Il aura mérité son sort cet homme de loi.
En vous souhaitant une bonne journée.
Tatiana Debarbat