À force de salon du livre où M. Augustin se plaint toujours de l’évolution des auteurs indépendants ; à force que monBestSeller et les autres aient cumulé un public et des abonnés toujours plus importants ; ils ont vu évoluer l’autoédition de façon toujours plus étonnante. Ils ne pouvaient laisser plus longtemps de côté ce phénomène sans en faire une émission : les chaînes de télévision veulent participer à ce phénomène. Ils veulent à tout prix en faire partie, pour attirer ce nouveau public qui pourrait peut-être équilibrer leur déficit. Face à cette perte du sacro-saint audimat, directement lié à l’utilisation d’internet devenue à la fois indispensable et si destructrice, les chaines doivent faire émerger une grande idée. Ces jeunes trouvent sur la toile, l’ensemble de leurs divertissements et de leurs distractions ; la TNT, elle aussi est à bout de souffle ; même les retraités accèdent au bout du compte à plus d’activités sur le réseau internet que peut leur offrir leur programme télévisé. Au regard des scores « Des chiffres et des lettres » ou de « Questions pour un champion » en nette régression, il n’y a plus rien à perdre, il faut trouver le graal, tenter la solution de la dernière chance.
Les idées fusent, il faut établir un concept au plus vite, pour surfer sur la vague des livres indépendants. Ce renouveau de l’écriture explose et bientôt la consécration ultime est annoncée : dès l’été prochain, mBS, le site le mieux classé, sera coté au CAC40. D’ailleurs, on ne compte plus les écrivains en herbe passés dans les émissions décryptant ce phénomène. Certains admettent même avoir trouvé leur moitié, grâce à un débat engagé au fil d’une discussion, au grès d’un livre ou d’un article exposé sur leur site préféré ; au détriment de ceux spécialement dédiés pour les rencontres amoureuse, devenus l’arnaque du siècle.
D’autres émissions ce sont intéressées plus particulièrement à l’engouement de l’écriture et de ses travers ; souvent animées par des philosophes, politiques ou écrivains célèbres, appuyées par des journalistes à la verve bien-pensante qui n’hésitent pas à blâmer les grands intellectuels. Ils décortiquent et décrédibilisent l’ensemble du phénomène comme une vaste bêtise sans queue ni tête. Certes dans ce flot continu d’écriture, il y a de tout et des choses plus ou moins bonnes à retenir, mais tout le monde s’y retrouve. La masse et la quantité ne font pas tout, mais bien souvent le classement au nombre de lectures fait ressortir la sincérité « vraie » de certains textes, ainsi que la qualité de certains auteurs, on ne peut plus y échapper. Dès lors, on planche sur un concept au travers d’une télé-réalité. Il faut bousculer les méthodes et les principes de base de l’audiovisuel, a dit Michel Field devenu président de France-Télévision, pour arriver à percer ce succès planétaire « aux yeux de tous », par l’intermédiaire des écrans de télévision.
Ils seront enfermés dans un appartement, avec une quantité impressionnante de livres en tout genre, des machines à écrire, des imprimantes, même en 3D pour les besoins des sponsors exclusifs. Des crayons, des règles, des stabilos, des paper-board, des ordinateurs sans internet évidement pour être vraiment coupé du monde. C’est le principe de la télé réalité a décidé le producteur. Il y aura même une énorme machine de presse industrielle monstrueuse, des années cinquante, qui servait à imprimer en quantité phénoménale des tas de livres et de journaux, en un temps record. En outre, elle embaume les locaux d’une odeur de métal, d’huile et d’encre qui va mettre nos candidats dans l’ambiance, se dit le décorateur qui avoue n’avoir jamais réussi à la faire marcher. L’émission devrait durer trois mois pas plus, car sinon le public pourrait se désintéresser, d’ailleurs personne ne sait vraiment si elle ira jusqu’au bout. Le premier prix n’est autre que l’impression du meilleur livre des candidats qui aura eu comme seul loisir : la lecture et l’écriture. Sauf que sur les réseaux, on parle aussi d’une piscine… On a aussi prévu de se faire de l’argent sur les livres intimes de chacun d’entre eux. Il ne reste plus qu’à choisir le jury qui débattra des créations des auteurs. Car chaque semaine, des épreuves de nouvelles aux thèmes imposés viendront pimenter leur travail déjà intense d’écriture avec leur propre livre, dont le sujet sera libre et terminera cette émission en apothéose…
En jury, le premier nom officiel ne tarde pas à apparaître sur la toile : Alain Finkielkraut. À cet instant-là, personne n’est encore étonné, on s’y attendait presque, pour faire le débat en intellectuelle bien-pensant. Seuls quelques critiques et opposants se demandent vraiment pourquoi il a accepté. Il prétendra qu’il faut savoir évoluer avec son temps. Seulement, il ne savait pas encore avec qui il allait passer trois mois à dire «…mais taisez-vous, taisez-vous ! ».
Le second a déjà commencé une carrière prometteuse en jury agressif et permet d’amadouer les plus jeunes ou réticents à la littérature. Au moins, ils viendront pour le spectacle, diront les producteurs. Joey Starr, son nom fait l’effet d’une bombe, sans compter les étincelles possibles pour l’audimat du genre « …eh, Finkiel, t’as fumé la moquette ou quoi ?! ». À l’annonce de ce second jury, la popularité de l’émission dont le prime-time n’est, à ce moment-là, que dans trois mois, explose pour de bon. Les forums de discussions se déchaînent, ils annoncent la couleur. Sans pour autant être dupe, le public sent l’émission comme une vaste supercherie à l’image de ce qu’est devenu la télé, on ne recherche pas la qualité mais le clash, le buzz. Les auteurs se disent moqués, les autres se demandent qui sera la troisième et la quatrième personne. Y aurait-il une cinquième ? Personne ne sait, tout est dans la boîte, mais dans le secret le plus total… La fièvre monte et les producteurs s’en frottent les mains, le pari a l’air d’être réussi sans même avoir encore commencé.
Annonce de la troisième personne : Anne Sinclair, après toutes ses années houleuses, elle revient sur le devant de la scène pour un sujet qui lui va comme un gant. La population de « sept sur sept » est aux anges et retrouve la présentatrice tel qu’elle l’a quittée, de plus Joey Starr la trouve pas mal. Dans la foulée la quatrième et dernière personne est annoncée et n’est autre que Stephen King lui-même, on n’en croit pas ses oreilles, à tel point qu’on se demandera toujours s’il serait venu…
Car cette émission ne verra finalement jamais le jour, n’en déplaise à Patrick Sébastien qui était annoncé comme le présentateur. La toile s’est déchaînée comme jamais, les records de tweets pleuvaient devant les écrans de contrôle. Tout le monde avait son mot à dire, c’était formidable comme si la France entière s’était soudain réveillée. Il régnait comme un état de chaos où plus rien ni personne n’allait dans le même sens et se délectait de discussions, débats, analyses en tout genre. La presse s’emparait du phénomène comme d’un second LOFT dont la limite du succès était non vérifiable et du coup les conséquences incalculables.
Le pouvoir y a mis un terme expéditif en imposant par vote au parlement, un jour d’été et de grandes vacances, l’annulation pure et simple de l’émission. La rumeur dit que c’est Cyrille Hanouna qui a tout organisé, pour faire capoter le projet par crainte de se retrouver face à un concurrent trop imposant, qui risquerait rapidement de mettre son émission de simple divertissement aux oubliettes et lui sur la paille. Tandis que d’autres se demandent si dans le secret les analystes n’ont pas pronostiqué un nombre « d’indignés » ingérable à venir pour le pouvoir en place.
De cette affaire, très vite les sujets sur la peine de chacun se sont atténués et chacun a repris sa place sur son fauteuil face à son écran de télévision. Sauf quelques-uns, qui ont vu là une grande source d’inspiration et se sont mis à écrire… Certains diront que l’auteur n’est pas allé jusqu’au bout de son sujet, qu’il aurait pu inventer le reste de l’émission. D’autres dans cette fiction, penseront que la télévision a manqué d’être pour une fois utile.
La télévision nous mène parfois à y voir notre propre reflet… si bien que j’ai toujours espoir qu’elle change. Où se trouve aujourd’hui la liberté, si ce n’est pas dans les livres ?
NB : Tout ceci est pure fiction, quoique...
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@ghaan, j'aime bien ton idée de " radio-crochet ". Je n'aurai jamais imaginé le concept du jeu au travers d'une radio, mais l'équilibre médiatique des auditeurs entre la radio et le livre est à priori plus tentant ou "avenant" (si je ne me trompe pas sur sa définition). Effectivement, une fiction que j'ai imaginé avec beaucoup d'humour et tu l'as remarqué.
Quand j'étais enfant, il y a un livre de Jules Verne qui m'a ouvert les yeux sur la manière d'appréhender l'idée du futur: " De la terre à la Lune. " On imaginait en ce temps-là, y aller avec un canon, mais ce n'était qu'une fiction, un rêve impossible. Et moi enfant, Armstrong y avait déjà posé le pied depuis déjà pas mal de temps...
Nota Bene: ce qu'on est sûre, c'est que dans l'espace, il y a bien le vide et dans le vide, il y a de l'espace. Tandis que la télé remplit toujours ses cases vides, qu'on en oublis d'en faire pour nous ; pour nous - nous ressourcer - ( petit clin d'œil aux commentaires sympathiques et touchants @Hubert-P LETIERS et @Marguerite Rothe ) Bon repos Eric.
Bravo @fabricio Excellent texte ! On sent que vous vous êtes fait plaisir, en le rédigeant. Outre l'aspect purement divertissant qu'il offre, j'ai beaucoup aimé la lecture entre les lignes qu'il propose. J'y ai vu une évaluation tranchante et sans concession de notre monde actuel. La lucidité que vous avez de nos sociétés modernes fait chaud au cœur, car c'est en lisant des textes tels que le vôtre qu'on peut croire que tout n'est pas perdu et qu'on se dit : "Ainsi, je ne suis pas seul(e) !" Merci beaucoup pour cet article de culture-fiction. Marguerite Rothe.
Article partagé, à relire... à tête reposée. @Fabricio
Effectivement, une idée comme quoi elle est bonne... bien né en 2014, en octobre plus exactement. Elle fut retransmise uniquement sur leur site internet ; mais malheureusement très rapidement poussée au de-là des oubliettes. Partager la créations d'un roman par 10 auteurs après en avoir éjecté 10 autres, n'était peut être pas non plus la meilleur des idées.
En fait il y a eu une tentative de telerealite litteraire l'annee derniere ou peut-etre en 2014. Ca s'appelait l'Academie Balzac. Les candidats ont ete retenus apres une longue periode de preselection puis les 10 retenus en fin de compte ont du ecrire un roman a 20 mains :)
Le roman s'appelait Une tombe trop bien fleurie.