Bonjour, ami(e)s auteurs ! Me revoici parmi vous avec un petit billet de la série « Pour ne pas se tromper ». Cette fois, comme je vous l’avais promis, il portera sur l’accord du participe passé devant un infinitif.
En guise d’introduction, je vous propose un petit texte à vocation mnémotechnique : « Après s'être vue échouer, elle s'est vu critiquer. Elle s'est sentie rougir mais ne s’est pas fait manipuler, ni laissé influencer. »
Aaargh, ça commence mal, s’exclameront certains d’entre vous. Au nom de quelle règle tordue doit-on écrire « vue échouer », mais « vu critiquer » ? Ne vous sauvez pas déjà ! Je vous rassure, c'est très facile.
Inutile de courir chercher une poche de glace pour votre pauvre crâne, car en vérité, c’est d’une simplicité lumineuse :
« Après s’être vue échouer » : c’est la personne qui échoue/échouera, elle est donc le sujet de ce verbe → « vue » s’accorde avec le sujet, féminin singulier.
D’autres exemples ? Oui-da ! En voici à foison, messeigneurs et gentes dames :
« Cette blague-là, je l'ai sentie venir. » (c’est la blague qui arrive)
« La comédie que j’ai vue se dérouler » (c’est la comédie qui s'est déroulée)
« Les mères s’étaient parfois entendues mentir à leurs enfants. » (ce sont les mères qui ont menti)
Bien entendu, cette règle s'applique même si la personne/l'animal/la chose qui accomplit l'action du verbe à l'infinitif est représenté(e) par un pronom :
« Julie est là. Je l'ai entendue arriver. »
Une petite martingale pour savoir si le sujet accomplit bel et bien l’action ?
« Ma sœur s’était imaginée (en train de) réussir. »
« Ce jour-là, elle s'est vu critiquer et ne l'a pas supporté » : ce n’est pas la personne qui s’autocritique, elle n’est donc pas le sujet de ce verbe → « laissé » ne s’accorde pas.
N’est-ce pas limpide ? Autres exemples :
« La comédie que j’ai vu jouer » (ce sont les acteurs qui la jouent)
« Les professeurs s’étaient parfois entendu mentir. » (Ce ne sont pas eux qui mentent)
D’autres trucs utiles à glisser dans votre boîte à outils ? Mais comment donc ! Servez-vous :
« La mélodie que j’ai entendu chanter. » (sous-entendu : « par les choristes, un passant, etc »)
Pour finir, les prétendues exceptions qui tuent.
On vous dira : Le participe passé du verbe faire (ou se faire) devant un infinitif ne s’accorde jamais.
Mais ça tombe sous le sens, puisque « se faire (donner, remarquer, avoir, tromper, avoir, etc) » implique que c’est forcément quelqu’un d’autre qui accomplit l’action du verbe à l’infinitif. Il ne s'agit donc pas d'une règle d'exception.
« Vous n’aurez plus à redouter de vous être fait critiquer. »
On vous dira aussi : Les participes passés : laissé, permis, pensé, espéré, voulu, cru, pu, su, dû, dit, affirmé, confirmé, eux non plus, ne s’accordent jamais.
Eh oui, l'abominable « Je me suis permise de dire » est ultra-fautif ! (Tiens, là encore je soulage ma vessie – que voulez-vous, à mon grand âge, on devient incontinent… ;-) – sur la réforme de l'orthographe, qui veut supprimer le trait d'union après « ultra » ; suppression parfois heureuse, mais parfois malvenue. )
Exemples avec ces fameux verbes :
« Ils se sont laissé grossir. »
« La catastrophe s'est confirmé découler de leur imprudence. »
En l'occurrence, c'est bien le sujet qui fait l'action. Serions-nous en présence d'une authentique règle d'exception bien vénéneuse, du genre que sécrète traîtreusement notre langue bien-aimée ? (Comme toute maîtresse qui doit se mériter, elle n'aime pas nous laisser mollir, c'est indéniable…)
Eh bien pas cette fois-ci, mesdames et messieurs. Car vous remarquerez que l'on ne peut pas appliquer à ces exemples l'astuce n° 1 : intercaler « en train de… ».
La seconde règle d'exception est donc également inutile, et je ne l'ai mentionnée que parce qu'elle figure sur quelques sites patentés – où « confirmé » était omis, soit dit en passant, ainsi peut-être que d'autres exceptions. Mais ce n'est pas grave, puisque nous disposons de l'outil adéquat pour savoir s'il faut accorder ou non.
Bref, il n'est pas nécessaire d'apprendre par cœur cette liste d'exceptions pour éviter de vous tromper.
Mon conseil : Ne vous occupez pas des exceptions, de l'auxiliaire être ou avoir, du COD, des verbes réfléchis, ni de toutes les finasseries dont abusent les sites compétents pour vous expliquer les règles – sites qui militent sans le savoir pour la réforme susdite, tant leurs formules alambiquées feraient tourner en bourrique le plus aguerri des académiciens.
Dégainez directement l'astuce n° 1 : « en train de… ». Si ça colle, accordez le partipe passé ; dans le cas contraire, ne l'accordez pas.
Avec ce petit outil dans votre poche, vous êtes sûr(e)s de trouver la lumière dès l'entrée du tunnel.
Remarque : On peut néanmoins, si on le souhaite, prendre en compte UNE exception qui n'en est pas vraiment une.
Avant la réforme de l'orthographe, il y avait des cas où l'accord après « laissé » était justifié : « Elles se sont laissées grossir/maigrir, etc », « Elle s'est laissée croire/imaginer que… », « Ils se sont laissés aller/dépérir, etc »…
Dans ces cas-là, en effet, le sujet accomplit bel et bien l'action du verbe à l'infinitif. Pourtant, l'astuce « en train de… » ne fonctionne pas : on ne se laisse pas « en train de grossir ».
En revanche, vous pouvez utiliser cette
Vous avez donc le choix : soit vous simplifier la vie en appliquant la réforme (facultive, je le répète) qui recommande de ne plus jamais accorder « laissé » ; soit employer « autorisé à » pour voir si ça sonne juste, et dans ce cas, faire comme moi : uriner joyeusement sur ladite réforme, qui a le tort de faire table rase de jolies nuances de notre langue.
Vous voyez, ça avait l’air compliqué, mais en fin de compte : même pas mal ! Moralité : comme bien souvent, les réformateurs sont partis du principe que nous serions trop ballots pour nous en sortir, et ont simplifié quelques cas sans véritable nécessité. CQFD (« Ce Qu'il Fallait Démontrer » – traduction pour les non-matheux, lesquels sont légion parmi les auteurs).
À l’avenir, mes ami(e)s, vous pourrez vous offrir le luxe d’accorder à bon escient…
Bonnes corrections à toutes et à tous, et à la semaine prochaine pour le prochain billet sur la réécriture !
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Métatronido,@Elen Brig Koridwen
Bonjour,
Je voudrais revenir sur l'emploi de l'infinitif pour le verbe critiquer.
À mon humble avis, bien que n'ayant aucune autorité en la matière, en mettant le verbe à l'infinitif, on indique que la personne s'est vue (rendu compte) qu'elle critiquait. Elle s'est vue (en train de) critiquer (Pierre, Paul, le pape…).
Dans le deuxième cas, l'individu se rend compte qu'il est critiqué par une tierce personne.
Qu'en pensez-vous?
@Métatronido
Les deux formules sont correctes, mais n'impliquent pas exactement la même nuance.
"Elle s'est vu critiquer" insiste sur les acteurs du verbe, ceux qui critiquent. Exemple : "Quand elle s'est vu critiquer par ceux-là même qu'elle avait sauvés, un sentiment d'injustice l'a submergée."
"Elle s'est vu critiquée" insiste sur la critique et le sentiment de la personne qui l'a reçue. Exemple : "Elle s'est vu critiquée, avilie, rejetée. C'était insupportable."
Selon les circonstances et l'idée à faire passer, l'une ou l'autre forme est plus appropriée.
Parfois aussi, la différence de formulation traduit une chronologie :
"Elle s'est vue tomber" : elle était en train de tomber, ou elle s'est projetée dans une chute future. Exemple : "Elle s'est vue perdre tout crédit et tomber de son piédestal."
Elle s'est vue tombée : elle était déjà tombée et s'est vue dans sa nouvelle position. Exemple : "À l'heure où elle s'est vue tombée en si fâcheuse posture, elle a pris conscience de sa vulnérabilité."
Il y a sans aucun doute des illustrations plus pertinentes, mais le temps me manque.
Bien cordialement,
Elen
@Elen Brig Koridwen
dans : elle s'est vu critiquer, ce n'est pas le : vu, qui me choque, mais le : critiquer, je ne vois vraiment pas pourquoi l'on devrait le mettre à l'infinitif, pour moi, ça "sonne faux", j'aurais automatiquement tendance à écrire : elle s'est vu critiquée, puisqu'elle subit la critique.
bien ä vous
@Fathi Crom
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@ELISABETH LARBRE
Merci Élisabeth, c'est très gentil !
Bien amicalement,
Elen
@Elen Brig Koridwen Limpide et magistral ! Un grand merci ! Bien à vous. Elisabeth
@Michel CANAL
Tant mieux si cela vous est utile, mon cher Michel. Merci à vous pour votre commentaire !
Amitiés
Elen
Eh bien @Elen Brig Koridwen, cette fois vous avez mis le doigt là où ça fait mal ! Même moi qui ne suis pas franchement mauvais s'agissant des règles de grammaire, combien de fois me suis-je interrogé sur certains accords à faire ou à ne pas faire. Vos astuces me seront donc très utiles.
Ce billet est à copier dans un coin du bureau pour l'avoir à portée de regard. Combien de fois m'aurait-il été utile lorsque bénévolement et par amitié je joue au bêta-correcteur, ce qui occupe une bonne partie de mon temps que je soustrais à la lecture.
Merci infiniment, chère Elen si dévouée envers les auteurs jeunes et moins jeunes qui se risquent sur mBS. Avec toute ma sympathie.
Merci aussi à mBS pour cette opportunité.