Interview
Le 15 mai 2018

Jean-François Dion, nominé au Prix Concours de l'Auteur Indépendant 2018

Jean-François Dion est un cinéaste. Il conçoit ses livres comme un scénario. Il y a dans ses récits l’image ET le son. C’est découpé, ciselé, visuel ET sonore. Surtout quand l’image est implacable ET le silence assourdissant ("Le choc des mots. Le poids des photos"...). Jean-François Dion est un romancier. C’est à dire un inventeur, un rêveur, un dramaturge. De bonheurs, de douleurs, de moments de vie, de personnages aux destins qu’on n'oublie pas... « Les portes, et les sons qu'elles font » sélection de mai au Prix Concours monBestSeller.
Jean François Dion sur monBestSellerJean François Dion répond aux questions de monBestSeller.
Question: 

Jean-François Dion, vous venez du cinéma avec un CV très impressionnant. 1° question un peu évidente, en quoi le cinéma a t-il influencé l’écrivain que vous êtes ?

Réponse: 

Jean-François Dion. L'influence est forte, bien sûr, l'audio et le visuel sont très présents dans mes pages ; et mon écriture représente, met en scène, et projette beaucoup ; l'emploi foisonnant que je fais des images et adjectifs en est un héritage direct.
Mon premier roman, "des photos" évoque constamment le regard, l'obsession du "voir", ses despotismes, ses extases, et décrit la perte croissante, douloureuse et fatale, de la vision qui affecte le narrateur. Sa cécité progressive est bien sûr dotée d'une fonction romanesque et allégorique, mais doit également être lue au premier degré : « Nos émois et nos désirs passent par le filtre de nos sens, dont la vue est le tyran exquis. »
Dans "Les portes, et les sons qu'elles font", les sonorités ne jouent pas seulement les enluminures, l'assonance opportune à colorer le titre. Des bruits, des cris, des chocs jalonnent de façon permanente le récit et participent à édifier son décor, à le doter d'un environnement sensitif ; ainsi qu'à évoquer les perceptions de souffrances ou de rédemption dans lesquels le personnage évolue et progresse. À commencer par le plus envahissant (je n'ai pas osé écrire assourdissant, la formule étant déjà prise) de tous les sons : le silence.
Dans mon cinquième roman, que je suis en train de terminer, j'ai vaporisé beaucoup d'odeurs ; elles présentent elles aussi des images, certes moins audio-visuelles, mais qui proviennent à leur tour d'un capteur sensuel ; en revanche je n'ai pas encore décidé de ce que je ferai, ferais un jour, avec le goût et le toucher !

Question: 

Vous dites que maintenant vous vous consacrez entièrement à l’écriture, vous créez des histoires et des problèmes et des bonheurs aux personnages que vous inventez. Comment sélectionnez-vous vos histoires, vos personnages, leurs problèmes ?

 

Quatre kilomètres plus loin, arrivant chez moi, j'avais mon histoire en tête, ses personnages principaux, sa structure et sa fin

Réponse: 

Les sélectionner supposerait que j'en ai tout un stock en réserve. Ce qui n'est pas le cas. Je ne pense jamais, lorsque j'écris un roman, à ce que sera le suivant, ni s'il verra le jour ni quel en sera le sujet. Ce sont des tableaux qui se présentent, des anecdotes qui me parviennent, des personnages et des situations qui me visitent, qui déclenchent les prémices d'une histoire et provoquent l'envie de la raconter. Pour "Les portes...", cela se passa ainsi : Je fais du vélo sur les routes et dans les collines de mon Pays-de-Serres. Revenant un jour d'une longue balade, une voiture me dépassa à très vive allure en me frôlant à moins que rien de centimètres. Je brandis le poing, vitupérai, vilipendai injures et anathème sur le méchant chauffard qui était déjà loin. Quatre kilomètres plus loin, arrivant chez moi, j'avais mon histoire en tête, ses personnages principaux, sa structure et sa fin. Il n'y avait "plus qu'à" la raconter. J'aurais dû remercier le chauffard.

Question: 

Vous avez des lectrices fidèles et passionnées sur monBestSeller, elles saluent votre style, vos scénarios. Les lecteurs ont-ils un pouvoir sur les auteurs auto-édités ? Notamment pour l’écriture des prochains récits ?

 

Cela reste un réel privilège de l'auto-édité de pouvoir librement choisir de faire passer son propre pur plaisir d'écriture

Réponse: 

Un pouvoir, je ne crois pas. Cela voudrait dire que j'écrirais mes romans en me préoccupant sans cesse des réactions éventuelles des futurs lecteurs. Je suis ravi, évidemment, de recevoir leurs retours, avis et critiques – et regrette bien qu'il n'y en ait pas davantage –, je m'en nourris et tente de corriger les défauts qu'ils m'ont révélés et qui m'apparaissent fondés. Cependant, au risque de paraître bien fat et égocentré, je n'écrirai jamais une seule ligne que je ne sentirais pas, ou qui me semblerait fausse, ou clinquante ou flatteuse. Cela reste un réel privilège de l'auto-édité, ou assimilé, de pouvoir librement choisir de faire passer son propre pur plaisir d'écriture – s'accommodant même de certaines lacunes ou faiblesses de sa plume – avant quelque effet artificiel de séduction aguicheuse ou opportuniste. Le pouvoir de l'écriture ne se partage pas, je voudrais continuer d'écrire au galop et à tire d'ailes. Je préfère oser, trébucher, me cogner, plutôt que me plier à des règles de haute-école ou à des vrilles et loopings en figures imposées. L'échange avec le lecteur est un vecteur à sens unique, ce qui n'empêche pas de l'aimer, le lecteur, et d'espérer l'émouvoir... « Je t'aime, ça te regarde ? » a écrit Goethe, il est vrai qu'il était poète et d'un caractère emporté.

Question: 

Vous avez des lectrices. Mais avez-vous des lecteurs ? !

Réponse: 

J'en manque, hélas, cruellement ; pourriez-vous faire quelque chose pour moi ?
À cela eux raisons plausibles cependant :
- 95% des lecteurs de romans sont des lectrices, cela est regrettable (un peu)
- mon yin est beaucoup plus développé que mon yang, cela favorise les proximités

Question: 

La vengeance est un plat qui se mange froid, dit-on. Votre personnage en est l’incarnation la plus froidement déterminée. D’où vient-il ? Où avez-vous « inventé » une telle histoire ?

Réponse: 

J'ai décrit plus haut comment m'est venue la genèse de "Les portes..." et je reconnais que le prosaïsme accidentel de mon inspiration peut apparaître quelque peu décevant. Mais heureusement, mille fois heureusement, rien du drame épouvantable qui frappe mon héros ne m'est personnellement arrivé, ni de près ni de loin ; ce qui ne m'a pas empêché de m'interroger – et de tenter de répondre – sur la manière dont j'aurais réagi à sa place.
Je regrette, mais cela est inévitable, que s'impose le terme "vengeance" à propos des actes que le personnage entreprend. Pour moi il s'agit davantage d'une nécessité réactive absolue et irrépressible. Il répète plusieurs fois dans ses déclarations « je n’ai pas pu m'en retenir », et même à son avocate : « Parce que je DEVAIS le faire. Il fallait que je commette cela. Sinon je serais devenu, je ne sais pas moi, dépressif et méchant. »
Permettez-moi de rappeler la phrase de Nietzsche que j'ai fait figurer en exergue du livre : « Les actes sont en réalité "quelque chose d'autre". Nous ne pouvons pas en dire davantage : tous les actes sont essentiellement inconnus. »

Question: 

Vous écrivez en ce moment votre 5° roman. Comment passez-vous de personnages d’un roman avec lesquels vous avez vécu plusieurs mois, à d’autres personnages d’un autre roman ? Comment éviter la confusion d’affection ?

 

Tous les personnages de romans ressemblent d'une façon ou d'une autre à leur auteur

Réponse: 

La confusion d'affection me semble aisément évitable, en cela qu'elle dépend chaque fois des nouvelles circonstances émotionnelles du récit. En revanche la confusion d'affectation reste, elle, plus ou moins assidue : tous les personnages de romans ressemblent d'une façon ou d'une autre à leur auteur ; s'emparent de bon nombre de ses traits, droits ou tordus, épais, risibles ou attachants. Il est si naturel, et compulsif, de fouiller en soi-même ses modèles ; de s’observer dans le miroir et d’en retourner la vitre lorsque le reflet indispose ; de débusquer ses chimères et d'embrouiller leurs destins ; de travestir ses héros d'étoffe soyeuse ou de haillons d'épouvantail. Que le processus en soit conscient ou occulte, chaque auteur demeure le même homme affecté de ses soi lorsqu’il écrit ; et il doit faire avec ; et ne pourrait pas faire sans. J'ai retenu cette phrase récente de John Irving : « Comme Juan Diego était écrivain, il avait imaginé ce qui lui faisait peur. »

Quant à vivre avec son roman, j'éprouve cela avec une grande acuité : la cohabitation se montre parfois jubilatoire, parfois encombrante ou obsessionnelle. En tout cas tant que le livre n'est pas sorti, car dès qu'il a mis le nez dehors, qu'il est publié, il me semble qu'il ne m'appartient plus, qu'il a quitté le nid et me tourne le dos. Il est bon d'ailleurs qu'il se tienne éloigné, car les nouveaux personnages qui sont venus depuis habiter chez moi se montrent d'implacables jaloux.

Question: 

Pouvez-vous dire à vos lecteurs comment vous travaillez ? Dîtes-nous un peu plus sur l’auteur que vous êtes ?

Réponse: 

Je suis sale gosse, écrivain dissipé et auteur inconstant. Peux écrire 10 heures par jour pendant plusieurs semaines, puis rester plusieurs autres sans écrire aucune nouvelle ligne. Passer une journée complète sur seulement quelques phrases ou écrire d'un seul jet une dizaine de pages – en ce cas les lendemains sont plus essoufflés : c’est le foutoir, Il faut tout reprendre à zéro, réécrire mot à mot chaque mot, éclaircir, épurer, condenser, et faire simple autant que possible.
Lorsqu'on me demande combien de temps il me faut pour écrire un roman, je réponds, en boutade mais à peine : « quatre mois pour l'écrire, et huit pour le corriger ». Autre prérogative des auto-édités, dont il serait bêta de ne point profiter : n'avoir nulle contrainte de date pour rendre son manuscrit.

Question: 

Vous êtes inscrit depuis 1 an sur monBestSeller. Comment y êtes-vous arrivé ? Qu’attendiez-vous de cette démarche ? De la communauté des auteurs et des lecteurs ? Qu’en avez-vous retiré ?

Réponse: 

Arrivé : conseillé par une auteure de grande qualité déjà inscrite.

En attendais : d'être lu par un plus grand nombre.

De la communauté des auteurs : ne suis pas d'un naturel très communautaire.

Retiré : la grande satisfaction d'être lu, donc, « par un plus grand nombre ». Parce que certes on écrit d'abord pour soi-même, mais qu'il serait désolant de ne pouvoir le répéter à une multitude de lecteurs !

« Préfères-tu trois sous de droits d'auteur ? Ou être lu davantage ? »

Question: 

Un de vos amis auteur hésite à publier son livre sur monBestSeller. Quel conseil lui donneriez-vous pour le convaincre de vous y rejoindre ?

Réponse: 

Je lui poserais d'abord une question : préfères-tu trois sous de droits d'auteur ? Ou être lu davantage ? De sa réponse s'ensuivrait mon conseil.

Question: 

On dit qu’on écrit ce qu’on aime lire. Quel lecteur êtes-vous ? Comment avez-vous sélectionnés les livres que vous avez commentés ?

Réponse: 

Que j'aimerais écrire comme c'est écrit dans les livres que j'aime lire !
Je lis beaucoup en effet. Des classiques de la Mitteleuropa : Zweig, Mann, Marài ; ou de France : Maupassant, Flaubert. Beaucoup de contemporains étasuniens : Roth, Oates, Russo, Ford, Irving, Harrison. Chez les Français, plutôt ceux qui préfèrent la langue et l'émotion à l'air du temps ou au bel-esprit : Duras, Ernaux, Claudel (Philippe). Et autres monuments : Hemingway, Mauriac, Camus... J'ai peu commenté de livres de mBS.

Question: 

Que vous inspire d’être élu Sélection du mois et ainsi nominé au Prix Concours de l’Auteur Indépendant 2018 ?

Réponse: 

Une grande joie. Une petite fierté. Un espoir mesuré.

Question: 

Quelle ambition avez-vous maintenant pour « Les portes, et les sons qu'elles font » ?

Réponse: 

Mes éditeurs toulousains : Danielle et James de AZ'ART ATELIER, sont des personnes formidables et talentueuses avec qui je suis en confiance et me sens très bien. Mais si Gallimard me fait un pont d'or – ou même de petit bois – et prévoit un premier tirage de 40.000 exemplaires, je signerai le contrat sans discuter un seul instant leurs conditions.

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Félicitations JF, vous voici sous les feux des projecteurs avec ce beau roman qui m'a émue aux larmes tant les émotions sont palpables dans vos mots toujours choisis. Donc merci pour ce beau moment de lecture et continuez de nous enchanter avec votre style si particulier, j'en suis fan !
Evelyne

Publié le 29 Mai 2018

Votre écriture me ravit toujours autant! Quelle force, quelle singularité aussi!
Il y a le rythme, impulsé par la puissance des mots, qui fait que chacun de vos livres se lit avec délectation, Et ne se lâche pas.
Quelles délicatesses aussi quand vous racontez... Dans les sentiments,dans les descriptions. L'oeil du cinéaste est là.
Merci à vous pour le plaisir que vous nous donnez à vous lire.

Publié le 22 Mai 2018

Cher, vous voilà sur une route bien agréable! j'en suis tant heureuse à vous voir y avancer. Parceque, même loin, je ne vous perd pas de vue. Je surveille. Toutes mes félicites....Cha
.

Publié le 22 Mai 2018

J'ai lu tres vite ce livre pour le faire connaitre à mon entourage.
C'est un roman fort et très émouvant que j'ai beaucoup aimé. Il mérite qu'on le relise pour apprécier
l'écriture puisante,le rythme,les mots choisis parfois durs qui claquent et qui accompagnent le
cheminement du personnage principal vers l'enfermement, pour choisir à la fin une retraite dans une
abbaye afin d'y retrouver peut etre l'appaisement nécessaire
Et comme dans tous ses autres romans (tous tres différents) Jean François Dion laisse toujours au lecteur une porte ouverte...une lectrice oloronaise

Publié le 15 Mai 2018