J'ai achevé ce midi ma lecture, @Josef Reyskeed, je vous ai écrit un premier commentaire mais quand j'ai ensuite voulu inscrire des étoiles mon texte a disparu, quelle magie! Nouvelle tentative donc, alors que je sors de cette descente aux enfers en apnée au bout d'un livre bien ficelé, même si, c'est vrai, la fin peut nous laisser un peu sur... notre faim. En plongeant dans le labyrinthe de cette névrose d'échec truffée d'amour et de rebonds j'ai senti parfois revenir le ton cruel et sombre du Céline du "Voyage au bout de la nuit" bien sûr, mais ce n'est pas ce qui m'a le plus emballé dans votre roman; le charme pour moi (au sens magique du terme) s'inscrit dès les débuts et j'ai soudain compris: Sagan n'est pas loin (aimez-vous Sagan?) et là je trouve que vous excellez, quel talent pour dire, avec une acide tranquillité, l'absurde et le sublime du quotidien, ce moment de drague sur la plage avec une femme qui ne voit pas, cet aspirateur cassé au centre d'une scène de rupture amoureuse, ce ton badin et piqué d'un zeste de méchanceté pour raconter notre époque et sa façon de courir au dessus du vide comme le loup dans les dessins animés de Tex Avery...
J'ai aussi beaucoup aimé votre précision chirurgicale dans l'art de mettre en place un décor, de dire davantage que ce que l'on voit (le pinceau des phares passant sur la façade, le vent de la mer dans les lames du rideau, le portrait d'Hannah et son mari aux cheveux gras...). Un décor dans sa façon d'être montré en dit long sur l'action en cours, l'écriture est ici aussi forte que le cinéma dans sa façon de suggérer: "la mer désarçonnait un véliplanchiste"...et soudain tout est désarçonné! J'ai aussi dégusté votre manière de garder à portée de main cet humour noir qui sauve le monde de toute désespérance durable: "mon père avait les mains qui débordaient de silicone et en vantait l'étonnante douceur"...ou encore "Je passais mes soirées à traîner dans les bars, puis je devins barman, comme ça c'était plus simple", l'essentiel est dit, votre talent est là, à mon goût davantage que dans la description de violence pure tirant le récit vers le polar au premier degré. Sur ce parcours en abîme mixant les vies dans votre broyeur vous touchez à cette "insoutenable légèreté de l'être" (merci Kundera...) à laquelle nous aspirons, mais quelle qu'en soit l'intrigue c'est d'abord un style qui fait l'art d'écrire, j'ai aimé le vôtre qui me portait dans ce dédale en abîme entre des fantômes auxquels vous insufflez la vie, merci, cinq étoiles au ciel et vive les livres! jn.cadoux
Publié le 07 Novembre 2019