Actualité
Du 02 Jan 2020
au 16 déc 2019

Le langage oral va-t'il disparaître ?

La disparition de l'oralité sera t'elle un problème pour les générations de demain. Quels seront les outils, quels seront les contenus de nos conversations, la teneur de nos échanges ? L.A. Di Paolo devise sur ce probable bouleversement.

Deuxième partie : Disparition du langage oral

J’ai présenté dans la première partie de cet article les effets possibles de la perte des langues à travers le monde. Mais qu'en est-il de la perte de la parole elle-même? Est-il possible de perdre l'aptitude de parler? Je n'ai pas trouvé de recherche sur le sujet, donc ce qui suit est plutôt spéculatif, mais la question me trotte dans l'esprit depuis un bon moment face à l'expansion des technologies non verbales, de même que face aux frustrations que me procurent souvent l'expression orale et l'écriture.

La victoire progressive du texto et du mail sur l'appel telephonique ou le face à face

L'omniprésence des technologies qui nous permettent de communiquer de manière non verbale est évidente et n'a pas besoin d'être énoncée. Non seulement la plupart des gens préfèrent envoyer un message ou un texte pour dire bonjour, demander quelque chose ou informer quelqu'un, mais un nombre important de membres de la génération Y ont même horreur d'avoir à converser avec quelqu'un par téléphone (au point de refuser d’appeler leurs camarades de classe même lorsqu'un devoir est dû le lendemain, par exemple). Au travail aussi, la plupart préfèrent utiliser les courriels ou la messagerie instantanée plutôt que d'appeler ou de marcher jusqu'au bureau d'un ou d'une collègue. Par ailleurs, l'utilisation d'outils non verbaux commence dès la jeune enfance, bien avant que les capacités verbales soient pleinement établies. Une exposition journalière et étendue à ces technologies semble affecter négativement le développement des capacités verbales des enfants (Technological advancements and their effect on Childhood Development). Heureusement, la plupart des enfants doivent encore aller à l'école où l’apprentissage se fait, en grande partie, encore par l'instruction verbale, mais cela est aussi en train de changer. Alors que par le passé, la parole était utilisée dans tous les cas sauf quand on écrivait une lettre ou que l'on envoyait à quelqu'un un avion en papier contenant le message, la parole est maintenant utilisée beaucoup plus rarement pour communiquer.

L'appareil qui pourra transformer les pensées en mots existe déjà

Moi-même, je rêve du jour où un appareil—soit implanté dans mon cerveau, soit placé sur mon crâne—pourra extraire les pensées de mon esprit et les transformer en mots ou en histoires entières présentés sur un medium visuel quelconque. Des prototypes de telles technologies ont déjà été développés, en fait (voyez l’article Interface Cerveau-Machine de l’Incerm ou les résultats d’une étude sur les sujets SLA Interface Cerveau-Ordinateur). Je rêve de cette possibilité parce que même si je suis capable d'imaginer des histoires entières en quelques minutes, les mettre « sur papier » est beaucoup plus difficile et prend un temps énorme. Si ces dispositifs devaient être développés, commercialisés, et utilisés pour la communication directe cerveau-cerveau ou cerveau-ordinateur-cerveau—ce qui n'est pas une impossibilité—oublierions-nous complètement comment utiliser nos voix, pour le moins parmi les classes supérieures étant donné le coût probablement prohibitif de telles procédures pour les pauvres? Cela ferait des membres de la classe ouvrière les seuls gardiens de nos voix. C’est une situation que j’ai imaginée et rendue réelle pour Ronin (dans les nouvelles du même nom).

La disparition progressive de la parole aurait un impact sur le raisonnement et la connaissance

Les conséquences possibles de ces changements sociaux que nous vivons (désuétude de la communication orale et disparition des langues) sont de toute évidence multiples et tristes. À la base, je suppose que le remplacement de la communication orale par ces technologies entrainera la désaffectation des voies neurales et des muscles impliqués dans la production de la parole, donnant élan à un cercle vicieux qui résulterait probablement en la perte totale de la capacité et du désir de communiquer oralement. Par ailleurs, ces changements pourraient aussi mener à une incapacité de résoudre les problèmes du futur, ou même à l'incapacité de réussir un contact avec une espèce extraterrestre, le jour venu, à cause de l’appauvrissement de nos schémas de pensée. Les scientifiques cognitifs, anthropologues et autres prennent de plus en plus au sérieux certaines de ces possibilités et étudient plus rigoureusement les liens de causalité entre les modes de communication et de cognition. Et les résultats de ces études indiquent qu'il y a définitivement un lien entre langue parlée et conception du monde (voir article sur la disparition des langues).

...Vers une langue universelle ?

Bien-sûr, les pressions politiques et technologiques qui sont la cause de ces tendances ont aussi certains effets bénéfiques (e.g. l’adoption d’une langue mondiale commune peut être un but enviable, si on ne s’attarde pas au prix, et l’amélioration très visible de la performance des étudiants quand la technologie est mise au service de l’apprentissage). Mais ce qui m’intéressait ici, c’était d’illuminer les changements qui sont déjà en train de s’opérer sans que nous ne nous en rendions compte, afin d’en comprendre les possibles conséquences, dont la pire serait pour moi la diminution de nos capacités créatives.

Fiction or not fiction

Je vois, cependant, une ligne de développement technologique qui pourrait renverser le problème de la désuétude de la communication orale, et c'est la communication holographique (voir article sur l'holoportation). Je crois que si cette technologie devient aussi omniprésente que la messagerie, nous verrons probablement les gens choisir de recommencer à communiquer verbalement, pour dire bonjour, demander une faveur, organiser un événement, etc., etc. Et ce sera une bonne chose. Mais je ne vois pas comment la perte rapide des langues à travers le monde peut être évitée, même avec les efforts actuels de certains pour l'arrêter; pas dans un monde toujours plus global. Bien que, si nous pouvions développer des traducteurs vocaux instantanés qui puissent être implantés dans notre cerveau, cette perte des langues locales pourrait peut-être alors être stoppée.

Par L.A. Di Paolo, auteur, biologiste

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

Floriana Vélasquez, vous avez raison, la science n'est pas toute puissante, et peu sont ceux qui oseraient suggérer une telle chose. Je ne la suggère pas non plus ni ne base mes spéculations sur une telle absurdité. Ce dont je parle, ce n'est pas de changements qui seraient apportés aux humains par la science, mais de changements naturels qui suivraient l'implantation de puces de communication cerveau-cerveau, chose qui est déjà possible expérimentalement, et qui sera probablement réalité dans un futur pas trop éloigné...mais bien-sûr, même si l'implantation de puces de communication devenait réalité, il n'est pas nécessaire que cela résulte en une perte de la parole...c'est simplement une possibilité logique.

Publié le 13 Janvier 2020

@L.A. Di Paolo
Je pensais que tout ceci était une blague, et c'est pour cette raison que je me suis permise de plaisanter sur l'idée de l'interview. Mais non, vous semblez totalement convaincu par votre propre théorie ! Bon, en même temps ceci n'engage que vous. Quant aux preuves scientifiques permettez-moi d'encore en rire (décidément, aujourd'hui je suis taquine !) Au moyen-âge, les scientifiques pensaient que la terre était plate et qu'il fallait faire des saignés pour soigner, et encore aujourd'hui, les scientifiques ne savent pas faire naître un enfant hors d'un bon vieil utérus. Bref, si vous êtes persuadé que votre dystopie peut vous faire de la publicité, pourquoi pas ? C'est le but du jeu sur ce site, il me semble...
Bien à vous

Publié le 13 Janvier 2020

@Floriana Vélasquez, merci. Je suis d'accord avec vous sur le fait de la perte quantitative et qualitative du vocabulaire Notez cependant que je n'ai pas interviewé qui que ce soit, mais j'ai fait références à des articles scientifiques (dont monbestseller a malheureusement omis les hyperliens). Quant à la possibilité que la parole disparaisse, ce n'est pas du tout si fou. Le changement ne serait pas anatomique dans ses débuts; anatomiquement, tous ceux utilisant une technologie de transmission des pensées seraient encore capables de parler à voix haute, mais les gens utilisant ce genre de technologie perdraient simplement la facilité de s'exprimer oralement, par défaut de pratique. Cela se passe déjà pour les polyglottes qui depuis trop longtemps ne pratiquent plus une des langues qu'ils avaient apprises, comme cela m'est arrivé. J'étais un parfait quadrilingue (Italien, Français, Anglais, et dialecte Molisan). Ayant vécu aux É-U les derniers 20 ans, je trouve maintenant difficile de m'exprimer oralement en Français et en Italien, et encore plus en dialecte), mais j'arrive encore à écrire dans les trois langues, même si imparfaitement. Car les voies neurales qui lient les centres du langage dans le cerveau et les muscles impliqués dans la parole doivent être maintenues, et ce ne sont pas les mêmes voies qui lient le centre du langage et nos doigts. La désuétude mène au changement, et ce changement peut-être ou non accompagné d'un changement physique (le manque d'exercice physique mène à l'affaiblissement des muscles squelettiques, et le manque d'exercices mentaux peut et fait de même avec le cerveau). À la longue, après un certain nombre plus ou moins grand de générations qui n'utilisent plus un organe, l'évolution fait en sorte que celui-ci disparaisse ou s'atrophie à tout le moins (comme la non-utilisation des yeux—qui sont un organe de communication important--a mené à leur dégénération chez les espèces vivant sous-terre). Il en sera de même pour les organes impliqués dans la parole si certaines technologies devaient devenir par trop populaires et désirées. C'est en fait ce que j'imagine dans un de mes romans. On peut trouver cela fou et révoltant, mais cela n’a rien à voir avec la possibilité du changement. Et puis, quel en serait le mal? Aucun, si tant est que tous en puissent profiter également, car il n'est dit nulle part que la parole doive continuer d'exister pour que nous soyons humains et pour que nous soyons capable des choses les plus belles et extraordinaires; en fait, n'est-il pas possible d'envisager qu'une transmission parfaite cerveau-cerveau permettrait la communication de pensées encore plus chargées de couleurs, de motifs, de nuances...?

Publié le 07 Janvier 2020

@Colette Bacro, je vois la source de votre confusion, mais si je n'ai pas précisé ce que j'entendais, je ne suis pas confus. Selon moi, l'écriture et le langage oral sont tous deux en danger à cause des technologies de comminucation que nous connaissons, des technologies en développement , et des technologies que nous ne connaissons pas encore. Il peut en effet paraitre aberrant de perdre la parole à cause de technologies (on y croirait plus facilement si la cause proposée était un virus). Mais comme j'ai dit au premier paragraphe, je ne fais que spéculer face à ce que je vois. Si, comme M. Dumas semble le suggérer, il est interdit à un auteur de science-fiction de spéculer comme je le fais, vous m'en trouvez bien désolé, car j'ignorais la règle et celà me fâche, Mais peut-être qu'il ne savait pas que je suis auteur de science-fiction et croyait que je faisais là une véritable prédiction. Si l'ânerie qu'il décrie se trouve dans mon désir de me faire implanter une puce qui me permette de transmettre mes pensées directement à un ordinateur qui les transcrive en 0 et en 1, je lui répondrai qu'il se trompe car le désir d'une telle technologie, qui est hautement possible, n'est pas une ânerie. Une ânerie serait que je dise avec certitude que la parole va disparaitre et que j'y donne une échelle de temps bien trop courte.

Publié le 07 Janvier 2020

@Benoît Otis: En effet, en tant que biologiste évolutionniste, je sais que dans un système instable comme le nôtre (i.e. "la société" humaine), le changement est inévitable. Peut-être garderons -nous toujours nos cinq doigts et deux jambes, etc, mais le langage, et même la parole (la capacité anatomique qui permet au langage de se déveloper) sont choses qui évoluent toutes deux, même si la seconde moins que la première.

Publié le 07 Janvier 2020

Ce qui est inquiétant pour l'instant c'est la perte quantitative et qualitative du vocabulaire chez certain homo stupidus. Perte générée par l'absence de lecture (digne de ce nom) et de l'abus d'écran en tout genre qui nous rendent passif dès le plus jeune age. Votre article de science fiction reste très amusant dans son exagération outrancière, mais absolument pas fondé sur des études scientifiques. J'imagine que vous avez interviewé une bande d'ado émettant des borborygmes éructant du coca, tout en commentant une ineptie sur netflix avec leur verlan hybride et néologisme habituel ! Que le langage se transforme, certes, c'est une évidence, car une langue reste vivante qu'en intégrant d'autres formes, et d'autres idiomes, mais qu'elle disparaisse, diantre ! Quel magnifique scénario pour un prochain roman !

Publié le 05 Janvier 2020