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Du 20 déc 2020
au 20 déc 2020

ANALYSE

Tuer comme une finalité en soi. Seul l'homme a cette conscience du meurtre inutile et de son pouvoir obscur. Une contribution d'Ermine à l'appel à l'écriture monBestSeller : Je ne me suis pas reconnu
la mouche : cobaye de l'histoirela mouche : cobaye de l'histoire

Les gens disent que je suis fou. Mais ça ne veut rien dire. C’est un mot qu’ils ont inventé pour cacher leur impuissance. Et s’ils m’ont enfermé dans cet asile, c’est pour dissimuler leur ignorance. Car ils ne savent pas, ils ne comprennent pas.

Moi, je sais.

Je sais ce qui se passe au plus profond de l’esprit humain. Je connais les ressources maléfiques de l’intellect, comment et pourquoi il pousse quelquefois l’être humain dans ses plus profonds retranchements, ce qu’il y voit, et ce qui l’incite à tuer.

J’ai bien dit : « à tuer ».

Car le fondement de l’humanité, c’est le meurtre. C’est ce qui lui reste toujours en dernier ressort, et c’est normal.

C’est peut-être pour cela qu’ils m’ont enfermé. Ils ont peur de retrouver en moi ce que, obscurément, ils espèrent être, et qu’une fausse moralité les empêche de devenir. Moi, j’ai fait fi de ces préjugés. On saura bien reconnaître un jour que j’ai raison.

C’est pourquoi d’ailleurs, je commence à vous expliquer.

Expliquer est un bien grand mot. Il n’y a rien à expliquer ou à démontrer. On ne démontre pas des axiomes, on n’explique pas des faits. On les constate, et il faut les accepter. Le monde devra tôt ou tard les accepter.

C’est d’ailleurs très simple. Je prends un exemple qui vous montrera.

À côté de la feuille où j’écris, il y a une mouche. Elle court de son allure saccadée sur le bureau. Elle s’arrête et entreprend une sorte de toilette. Ma main gauche, jusque-là inactive et vide, se relève doucement et tout d’un coup, je l’abats sur la mouche. Elle n’a pas le temps de réagir, et ma paume l’écrase. Elle n’est plus, sur la table, qu’un petit amas répugnant. Son corps et sa tête sont réduits en bouillie, ses pattes remuent encore un peu dans l’air puis s’arrêtent. Elle est morte. Définitivement. Je l’ai tuée, comprenez-vous ? C’est moi qui l’ai tuée, par ma propre volonté, parce que je voulais la tuer. Vous commencez à saisir le mécanisme, n’est-ce pas ?

Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé avec Claire.

Je l’ai tuée de la même façon, poussé par le même désir, désir auquel moi, je ne résiste pas (à quoi bon ?).

On dit que j’ai fait cela sans motif. Ça ne signifie rien du tout. Bien sûr, elle ne m’avait fait aucun mal. Elle m’aimait bien. Faire l’amour avec elle était agréable. Et alors ? Ça ne change rien à la question.

Je n’ai pas pensé à tout ça lorsque la voyant allongée nue sur mon lit, baignée dans un rayon de lune, j’ai décidé de la tuer. J’ai pris alors le couteau dans la cuisine, je me suis approché doucement, je me suis agenouillé près d’elle et l’ai contemplée longuement. Elle était belle, et la lune jouait sur sa peau nacrée en y inscrivant des reflets fantasmagoriques. De ma main libre, je la caressai avec tendresse, avec douceur. Elle se mit à ronronner comme une chatte, elle était de plus en plus désirable et mon envie s’accrut encore. Elle ouvrit les yeux et voulut se blottir contre moi. Elle n’eut pas un cri quand elle vit le couteau, seulement une expression de surprise. Je revois encore ses grands yeux bruns, magnifiques, dilatés par la terreur. La lame effilée pénétra facilement dans sa gorge, le sang gicla et se répandit sur les draps. Elle émit un curieux gargouillement, tandis qu’un flot rouge lui montait à la bouche et suintait de ses lèvres pulpeuses. Elle ne mourut pas tout de suite, et je dus encore à deux reprises plonger le couteau dans son sein ferme et rond. Elle ne cria pas. Elle chercha pendant une minute à se débattre contre la mort, s’accrochant au lit, griffant le matelas, déchirant l’oreiller. Elle se jeta même sur moi, comme pour m’embrasser, et je sentis le liquide chaud couler sur ma poitrine. Je la trouvai très belle à ce moment-là. Elle eut encore quelques spasmes, puis s’écroula, reposée pour toujours.

Je la contemplai longtemps, refermai ses yeux et allai prendre une douche. Je me suis ensuite allongé près d’elle, et c’est la bonne qui nous a trouvés là, le matin.

Les gens qui m’ont pris et emmené avaient l’air de me respecter, prétextant que j’étais fou. Mais je ne suis pas plus fou qu’eux, vous avez d’ailleurs pu le constater. Je n’ai fait qu’obéir aux lois de la nature, comme quelqu’un qui aurait envie de boire ou de manger.

Il n’y a rien là que de très normal. Ils s’en apercevront d’ailleurs assez vite.

Mais je vais arrêter là, car c’est l’heure de ma piqûre. Une infirmière va venir me la faire.

Qu’espèrent-ils donc avec leurs drogues ? Me réduire à néant ? Ils savent pourtant que je suis plus fort qu’eux, et que c’est moi qui ai raison. Ils n’ont pas voulu me croire, tant pis pour eux.

Tant pis surtout pour l’infirmière.

JEAN-LOUIS ERMINE

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Comme conte de Noël, c'est une histoire plutôt singulière !

Pour meubler mes longs moments de confinement, j'en ai fait une vidéo sur Youtube. Si vous la regardez, dites-moi ce que vous en pensez.

Voici l'adresse : https://www.youtube.com/watch?v=EKbVXTM6y64

Publié le 25 Décembre 2020

@JEAN-LOUIS ERMINE, en fait, non, vous vous êtes reconnu... fort et convaincu de votre certitude (les lois de la nature). Mais c'est une bonne nouvelle, bien amenée, avec même la petite dose supplémentaire pour se persuader qu'il s'agit bien de folie et non de cynisme : « Elle se jeta même sur moi, comme pour m’embrasser ».
Il est vrai que la chute suggérée par @lamish était une possibilité, mais la vôtre est encore plus en harmonie avec votre conviction meurtrière : « Tant pis pour l'infirmière. »
J'ai frémi quand j'ai lu que votre victime s'appelait "Claire"... heureusement, elle n'était pas la mienne (je parle de Claire).
Le texte est bien écrit. Juste une faute à vous signaler : "je me suis agenouillé près d’elle et l’ai contemplé..." > contemplée.
Merci pour ce partage.

Publié le 22 Décembre 2020