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Du 07 juin 2021
au 07 juin 2021

Harcèlement

On aurait enfin déjoué le "jeunisme" en offrant aux seniors, grâce à l'Etat, des possibilités de "perdurer" dans la Société du travail et dans la vie sociale. Oui, mais les mafias se reforment sur les réformes. Et la Société peut devenir une machine infernale à produire des Faux coupables. La nouvelle de Phillechat pour l'appel à l'écriture Faux coupable.
Serait-elle l''objet de la culpabilité ?Serait-elle l'objet de la culpabilité ?

Monsieur K allait pouvoir quitter son bureau à La Défense. Il n’était guère fatigué, à 58 ans il était un « vieux » et sa charge de travail était fort réduite.

«  Monsieur K, demanda une  voix féminine ?
— C’est moi -même.
— C’est Catherine, la présidente du syndic.
— Bonjour Madame, répondit mécaniquement Philippe.
— Je suis désolée, le vote de l’assemblée a été unanime : vous êtes expulsé.

— Mais pourquoi, pourquoi supplia Monsieur K ?
— Vous avez consulté la Liste ?
— Pas aujourd’hui, avoua Philippe.
— Vous devriez, insista la voix, glaciale.  »

La Liste ! Le nom officiel était Répertoire Quotidien des crimes, délits et incivilités à caractère sexuel ou sexiste.  
La «  Shame list », c’était la mort sociale.

Avec horreur Monsieur K vit son nom, suivi de son adresse.

Il confessa à voix basse :
  «  J’y suis.
— Je sais, répondit Catherine méprisante.
— Mais je suis innocent, c’est une erreur !
— Tous les harceleurs disent cela, rétorqua Catherine. Vos affaires sont au garde meuble !
— Mais, mais je suis... »

La communication s’arrêta là. Désemparé, le vieil homme se surprit à pleurer tout doucement.

Philippe avait profité de la nouvelle loi sur le travail des seniors, pour se faire embaucher par la Firme. La multinationale n’avait guère le choix : ne pas respecter le quota de seniors coûtait très cher et les primes gouvernementales pour l’embauche permettait à toute entreprise de recevoir l’équivalent de deux ans de salaire.

Tout le monde embauchait et les salaires étaient généreux, car les entreprises touchaient les primes et Pôle- emploi versait la paye, durant un an.
Cette astuce avait permis au gouvernement de faire passer « en douceur » le recul de la retraite à soixante- sept ans.
Philippe avait découvert, à ses dépens, l’autre point négatif : la haine des jeunes qui n’avaient plus ni perspective de carrière, ni augmentation. Personne ne lui parlait et il avait compris qu’on attendait juste qu’il crève !

 

 Depuis longtemps , à Paris, on ne pouvait plus qu’acheter via un syndic, qui non seulement réclamait une somme faramineuse, mais pouvait aussi vous virer et garder votre logement.
Tout le capital issu de la vente de sa belle maison, après le divorce, venait de disparaître !

 

Pendant que Monsieur K ruminait ces pensées, Catherine téléphonait :

«  Séverine j’ai une bonne nouvelle !
— Tu as mon logement, répondit la jeune femme ?
— Tu peux emménager ce soir, roucoula Catherine.
— Mais cela veut dire que tu as...
— C’était un harceleur !
— Un faux coupable, murmura Séverine.
— Cela suffit !  »

Catherine se rassura, Philippe avait écrit un poème truffé de fautes et d'erreurs, qui se moquait de la nouvelle écriture officielle, il était donc coupable :

Allons enfant·e·s de la patrie
La·le jour·née de gloire est arrivée
Contre nous de la tyrannie 
La bannière sanglante est levée

Aux armes et caetera

Entendez-vous dans les campagnes 
Mugir ces féroces soldat·e·s
Iels viennent jusque dans nos bra·sse·s
Egorger nos fil·le·s nos compagn·on·e·s

Aux armes et caetera

 

Monsieur K visionnait et revisionnait la vidéo qui prouvait son « comportement inadapté ».
On le voyait tenir la porte d’un magasin à une grande blonde, dont, discrétion oblige, le visage était flouté. Pendant une seconde le regard du vieil homme s’attardait sur le généreux décolleté.
La scène était commentée : «  Mesdames, n’acceptez jamais ce geste qui se dit galant. La galanterie est la première étape du harcèlement ».

La vidéo continuait et Monsieur K fut horrifié de comprendre que la France entière regardait en boucle son crime.
Apparaissaient la photo, le nom et l’adresse de Monsieur K. Le clip se terminait sur le message gouvernemental : « Mesdames, ne tolérez rien : ensemble nous vaincrons le harcèlement de rue ».

Monsieur K regardait son ordinateur vingt étages plus bas. 
Disloqués ses souvenirs d’enfance, ses quarante années de vie de couple, il hésitait à les suivre.

Carmen, la DRH, avait fouillé l’ordinateur du sénile : Philippe aimait les grandes blondes avec une grosse poitrine.

Lors du casting, elle avait choisi Ingrid, une magnifique suédoise. La nouvelle mode qui dévoilait le téton était une aubaine. 
Ingrid avait suivi Monsieur K et le piège s’était refermé.

Sans quitter des yeux la caméra de surveillance, Carmen se rongeait les ongles et murmurait :
«  Sautera, sautera pas, sautera, sautera pas, sautera, sautera pas... »

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@Michel CANAL, je vous remercie pour votre lecture bienveillante et votre analyse fine et attentive.
Malheureusement, les mécanismes d'exclusion sont la clef de fonctionnement de nombreuses sociétés. Ce qui est pervers, c'est leur hypocrisie, que je dénonce dans ce récit.
Personne ne peut défendre le harcèlement , et je suis le premier à le dénoncer, mais sa condamnation peut être un bon paravent pour établir un système d'éviction sociale, particulièrement pervers : malheureusement , ma nouvelle est fort crédible !

Publié le 02 Juillet 2021

@Phillechat, tout d'abord félicitations pour avoir répondu au thème d'écriture "Faux coupable" pour en exprimer la plus parfaite illustration, avec l'effet pervers de dispositions gouvernementales (ce qui est hélas une réalité dans bien des domaines), la stupidité d'un féminisme radical avec l'écriture inclusive (qui a failli s'imposer), et la dérive à outrance de la galanterie française (une tradition autant qu'un savoir-vivre) transformée en harcèlement.
Votre talent a aussi mis en exergue le machiavélisme du système.
Merci pour ce partage.

Publié le 08 Juin 2021