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Le 11 juin 2021

– Matricide

Pèlerinage au sein d'une famille écorchée, épuisée. Pèlerinage dans la maison abandonnée aux souffrances des autres. Une culpabilité vraie ou fausse d'être plus ou moins responsable du destin d'une mère en déroute. C'est le thème de la nouvelle de Vergara Pablo pour l'appel à l'écriture monBestSeller Faux coupable.
 je grimpais dans le train pour regagner ma vie parisienne. je grimpais dans le train pour regagner ma vie parisienne.

Le mécanisme de la poignée se mit à grincer comme une machine désuète. À peine ouverte, la porte de la vieille masure libéra une atmosphère pestilentielle. 

Il s’y mêlait la teinte aigre et vinaigrée de la sueur et l’odeur chaude et grasse de la maladie. Depuis combien de temps l’aide de vie n’était-elle pas venue ? 
Dans le "pusillanisme" le plus total, je finis par entrer. La maison de mon enfance m’accueillit dans un grincement stomacal.

En face, sur une commande, reposait mon vieil automate articulé. Le temps passé n’avait nullement épargné sa peinture vermillon, ni le reste de l’ameublement d’ailleurs. L’air était chargé de particules. En dépit de cela, depuis ma fuite, rien n’avait vraiment changé. Je pouvais presque humer la tarte Tatin du dimanche après-midi. Dans le grand escalier, je revoyais clairement les courses-poursuites avec mon paternel, aujourd’hui mort à la guerre.
Je ne pris pas la peine d’enlever mes chaussures. Pour cause, les couches de poussière qui tapissaient les sols.
N’osant nullement toucher ce que, trois années auparavant, j’abandonnais pour suivre mes études à la capitale, je me mis à grimper les marches. Elles gémissaient dans des échos à peine contenus. En haut, se dessinait le couloir sombre de l’étage.
Ici, s’étaient déroulées de nombreuses scènes. Certaines joyeuses, d’autres moins. Surtout après la mort du paternel. Ma mère passait ses nuits à arpenter le couloir, dans l’ivresse et la nudité les plus totales, espérant voir son mari entrer dans le hall du bas.
Le sol conservait les stigmates de ces dizaines de milliers d’allers-retours. Les murs, quant à eux, se teintaient encore des tâches ocre de la bile et du vomi. Combien d’années durant avais-je entendu ces pas oppressant ?
Autant d’années passées à supporter le poids des responsabilités d’un adulte, et à supporter une femme brisée par le deuil et le vin rosé. Sans doute la cause de ma fuite maquillée.

Des études de sociologie dans une faculté de la capitale ? Risible. Avec un peu de recul, ce n’était là qu’un mensonge pour moi-même, et pour elle. Une façon polie voire machiavélique de se dédouaner de toute responsabilité. Ces trois dernières années, pas une seule fois je n’avais pris de ses nouvelles en face-à-face, sans doute la culpabilité. Seules quelques lettres étaient parties, sans réponse. Cette dernière vint lorsque, d’une main coupable, j’ouvris la porte de la chambre parentale. Une nuée de mouches grosses comme des noyaux d’abricot en sortit, se mettant à zigzaguer au-dessus de ma tête.
L’odeur était ici un extrait plus dense et présent que celle sentie en entrant dans la demeure. Alors, je la vis. Sur son lit, sur lequel elle était alitée avant mon départ, reposait la carcasse de ma mère. Des os décharnés sur lesquels avait collé un condensé de crasse et de poussière.
Seuls ses cheveux d’or semblaient survivre au temps. Même si leur teinte faiblissait également. Mes genoux cédèrent sous le poids de mon propre corps. Dans des complaintes inintelligibles, je m’exprimais.

Pleurais-je de culpabilité ou riais-je de soulagement ? Sans doute les deux. Ces années difficiles m’avaient conduit à secrètement espérer la mort de cette femme.
D’ailleurs, ne l’était-elle pas déjà ? Vivre pour un mort et l’alcool, en dépit de son enfant, était-ce une façon convenable de vivre et faute de pouvoir s’occuper décemment d’un mouflet, fallait-il persister ?
Ces pensées étaient sans doute une énième façon maquillée de me dédouaner. En fin de compte, je restais seul responsable de cette déchéance. Combien de pas, dans ce sombre couloir, avait-elle fait en espérant me voir rentrer ? Sans doute trop pour être comptés.
Moi, pendant ce temps, sans une pensée, j’avais enchaîné les soirées, les femmes, les thèses de Bourdieu, Marx, Weber, Comte ou encore Simmel… Dans les travaux de ces grands penseurs, cherchais-je secrètement les raisons de mes propres contradictions ?
Les larmes bipolaires dévalèrent mes joues.

Elles y coulèrent encore lorsque, vêtu de la nonchalance la plus totale, je grimpais dans le train pour regagner ma vie parisienne.

Vergara Pablo

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Merci beaucoup pierre p.

Publié le 12 Juin 2021

Merci beaucoup pour ce texte. C'est très beau et très vrai. Les descriptions de l'arrivée dans la maison sont belles. On peut presque sentir cette odeur chaude et crade de l'abandon d'une vie.

Publié le 12 Juin 2021