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Du 21 Jan 2022
au 21 Jan 2022

D'accord, je te promets...

Rencontre avec une âme, où la réalité est transcendée. Une promesse qui devient un pacte. Tenue. La nouvelle de Ernesto Férié pour l'appel à l'écriture monBestSeller sur le thème de la rencontre
Un texte d'Ernesto Férié sur le thème de la rencontreUn texte d'Ernesto Férié sur le thème de la rencontre

J’avais quitté Paris sur un coup de tête, ayant besoin d’être ailleurs. Avais roulé d’une traite vers l’Atlantique, m’étais garé devant la plage de Trouville. Entre deux pavillons aux yeux aveugles, à la peinture écaillée, avais pris un chemin qui menait vers le sable. La mer était très basse. Des enfants pieds nus jouaient à chat. J’avais fixé l’océan comme on regarde un frère. Ne ressassions-nous pas, l’un et l’autre, les mêmes obsessions filamenteuses et froides ?

Soudain, elle entra dans mon champ de vision et je la vis. Une silhouette brune, très fine, que je pris d’abord pour ma sœur. Mais c’était impossible.

Elle marchait, traversée par le vent, poussée par la toile de ses vêtements noirs. Sa peau, rousse, ses cheveux longs jusqu’à la taille. Un sourire flottant sur ses lèvres. Je ne l’avais jamais rencontrée auparavant, mais j’avais vu son visage sur la couverture de ses romans et je la reconnus (maintenant, je ne sais plus) : Valérie Valère, l’auteure du Pavillon des enfants fous, et de quelques autres livres que j’avais aimés.

Bien sûr, elle était censée être morte. Deux ans auparavant, les journaux avaient annoncé son suicide. Mais que savent vraiment les journaux ? Elle était là, et quelque chose me disait que c’était bien elle. Peut-être s’était-elle arrangée avec son éditeur et la police pour faire croire à un suicide et recommencer sa vie incognito en Normandie, parce qu’elle ne voulait plus être identifiée à la narratrice de ses romans ?

Quand elle m’adressa la parole, je m’aperçus que je la dévisageais. Son sourire avait disparu. Elle m’offrait un visage aux yeux sérieux et au front grave, et je sus que, de sa vie, elle n’avait jamais jugé aucune créature. Jamais les mots « méfie-toi de lui, il est ceci ou cela » n’avaient passé ses lèvres. Elles étaient restées pures de médisance, signe d’une intelligence hors du commun.

« On se connaît ? » me demanda-t-elle.

« Euh…, bredouillai-je. Je vous demande pardon. Je vous ai prise pour quelqu’un d’autre. »

Elle fronça les sourcils.

« Ah oui ? dit-elle. Une personne à qui je ressemble beaucoup ? »

Elle réfléchissait.

« Une personne intéressante ? Qui vous est chère ? »

Ma réponse fut comme une évidence, qu’on découvre au moment où on l’a dit :

« Oui, répondis-je. Une amie, une grande amie. La plus importante. »

Le ventre de l’océan émit quelques gargouillements. Je me demandai si je n’avais pas fait fausse route, si je n’avais pas troublé, par des mots trop précis, le charme de cet instant qui ne se reproduirait plus. Sur le fil de la beauté, il n’y a pas de juste milieu : l’homme qui n’est pas funambule est une brute.

Mais elle me délivra en prononçant ces trois mots : « Je veux bien ».

Que dire de plus ? Nous parlâmes de nous.

 

Elle me confia que, « dans une autre vie », elle avait été écrivaine mais que, maintenant, elle préférait « être de passage ».

« Pas sage ? », lui fis-je remarquer.

Elle rit, d’un rire de jeune femme, subtilement voilé.

« Si tu veux, me répondit-elle. Ce n’est pas faux. »

Je lui expliquai que j’essayais d’écrire, mais, que, contrairement à elle, j’étais loin d’être écrivain.

Je lui rapportai ce que me disait ma fiancée, que je ne savais pas aimer.

« Est-ce que tu crois qu’il y a des gens qui sont vides ? », lui demandai-je. Je n’attendais pas de réponse, seulement que les flots s’ouvrent et se referment autour de ma question, comme la Mer Rouge sur les Égyptiens. Elle me répondit pourtant :

« Il y en a, mais pas toi. »

Je me sentis soulagé parce que, quand c’était elle qui le disait, j’étais certain que c’était vrai.

Pendant que nous parlions, le ciel s’était couvert de nuages. Soudain il plut, d’une pluie très douce qui coulait de mes yeux. J’aurais voulu qu’elle efface le temps. Mais le moment était venu.

Avant de me quitter, elle me demanda : « Tu écriras notre rencontre ? »

« Je ne sais pas, lui répondis-je. J’ai peur de ma maladresse. »

Comme elle s’éloignait, pour la retenir un instant, j’ajoutai : « D’accord, je te le promets. »

Je rentrai à Paris. Trente plus tard, je tins ma promesse.

 

Ernesto Férié

https://www.monbestseller.com/manuscrit/15307-le-mepris

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@Ernesto Férié
N'est ce pas là tous les doutes de l'écrivain que se demander s'il l'est vraiment ? Je pense qu'il est justement important de savoir que si l'on se pose la question, alors on a déjà la réponse.
Une rencontre unique, simple et efficace. Merci pour ce joli texte.
Amicalement
Maureen

Publié le 08 Février 2022

Belle ambiance. Les mots ne sont-ils pas faits pour cela, d'ailleurs ? Suggérer, affoler les papilles mentales.
Muchas gracias

Publié le 24 Janvier 2022

Cela s'appelle de la littérature, voilà !
Et ça suffit pour enchanter la fin de mon après-midi.

Publié le 24 Janvier 2022