1) Votre livre est un livre pour enfant et un livre pour adulte, on donne une dimension féerique à la résolution de problèmes et questions métaphysiques d’adultes ? Comment gérez vous cet entre deux ?
Pour répondre à la question, je pense que la féerie offre beaucoup plus de libertés que la narration de faits réels. On peut tout imaginer pour aborder de manière douce et optimiste des sujets aussi graves que la mort d’enfants ou le harcèlement d’enfants différents. L’imaginaire permet de créer des univers et des personnages aux vertus incroyables. Il n’y a pas de limite, si ce n’est l’imagination de l’auteur. Par exemple, créer un royaume imaginaire dans lequel nos êtres aimés disparus sont heureux permet d’adoucir la séparation et de mieux surmonter son deuil.
Par ailleurs, je tiens à préciser que ce roman n’est pas adapté aux enfants. Je le conseille à partir de 14 ans en raison de scènes inadaptées à des enfants et jeunes adolescents. Mon fils l’a lu à 11 ans, mais il savait à quoi s’attendre et nous en avions beaucoup discuté ensemble. Avant 14 ans, je conseille aux parents de le lire pour se faire leur propre opinion. Par contre, une adaptation pour les 6-9 ans sera bientôt éditée. C’est un album illustré et tous les thèmes du roman n’y sont pas abordés.
2) Il y a une dimension pédagogique dans votre récit, vous êtes vous fixée une mission ?
Oui, tout à fait ! La mission était de redonner le sourire à des personnes qui ont perdu un enfant. Drôle d’idée me direz-vous ! Impossible, rajouterez-vous très certainement ! Et pourtant, les témoignages s’enchainent et se ressemblent tous plus enthousiastes les uns que les autres.
Petite confidence, c’est à la demande de mes lecteurs que je me suis fixé cet objectif. Je vous explique rapidement sans vouloir abuser de votre temps comment j’en suis arrivée là. En février 2021, j’ai participé à un concours de nouvelles, que j’ai remporté. C’était la première fois de ma vie que j’écrivais. J’étais tellement stupéfaite d’être lauréate et même coup de cœur du jury que j’ai fait lire cette nouvelle à plein de monde et quelle ne fût pas ma surprise de recevoir des dizaines de témoignages de personnes qui ont perdu un bébé m’expliquant que la lecture de cette nouvelle leur avait fait un fou, mais qu’il fallait absolument en faire un roman et également un album jeunesse à destination des enfants qui ont perdu un petit frère ou une petite sœur. Comprenant alors que j’avais un réel « pouvoir » pour réconforter, je me suis mise aussitôt à la tâche.
3) La gravité des sujets traités : handicap, TOC, violence, suicide ne vous parait elle pas trop grave pour un livre jeunesse ?
Dans la version jeunesse, ces sujets ne sont pas abordés.
Par contre, je réfléchis à une version adaptée aux 10-14 ans qui aborderait ces thèmes. J’éviterais les scènes du roman qui ne sont pas adaptées à leur âge. Pour être franche, c’est quelque chose qui me tient à cœur. Je suis contactée par de nombreux parents désespérés parce que leurs enfants (différents ou pas) souffrent, notamment en raison du harcèlement qu’ils subissent. J’espère sincèrement que ce prochain livre pourra empêcher des adolescents de se suicider et en même temps, rendre les jeunes plus tolérants envers les autres. Je viens d’ailleurs d’envoyer mon roman à une psychologue, qui suit de nombreux jeunes suicidaires. J’attends avec impatience son avis pour la tranche d’âge 14-18 ans en espérant que mon roman puisse empêcher des jeunes de se suicider et en même temps rendre nos adolescents plus tolérants. C’est peut-être une utopie, mais quand je vois les résultats sur le sourire redonné aux personnes endeuillées et les parents d’enfants différents qui me disent qu’ils ne voient plus maintenant le handicap de leur enfant, mais ses capacités extraordinaires dans d’autres domaines, je me dis que tout est possible. « Le royaume de Séraphin » sera peut-être un outil de lutte contre le harcèlement.
4) J’ai appris récemment que les enfants ont deux missions sur Terre : certains apportent des rêves aux humains, et d’autres créent des arcs-en-ciel. La poésie est au rendez-vous pour adoucir la gravité des propos ?
Oui, c’est un peu ça. Je suis quelqu’un d’ultra-optimiste. J’essaie de toujours voir le bon côté des choses, même dans les drames les plus terribles. Imaginer que des choses aussi belles qu’un arc-en-ciel ou aussi doux qu’un rêve puissent être créées par des êtres surnaturels pour nous rendre heureux apporte une dimension optimiste. Pour reprendre une expression que j’utilise beaucoup pour décrire mon roman : « il fait voir la vie en couleurs et le soleil au milieu des nuages ». L’arc-en-ciel est très symbolique puisqu’il apparaît quand le soleil revient après la pluie.
5) Dans le royaume de Séraphin (un paradis bien organisé)Tout enfant a un pouvoir pour réparer les injustices. L’humour en est un. Quelle place donnez vous à l’humour pour soulager les peines ?
Comme j’ai dit, je suis hyper-optimiste. J’essaie toujours de sourire à la vie, malgré les obstacles que je peux trouver sur mon chemin. Le rire, c’est la joie. Mon but premier était de redonner le sourire à des personnes qui ont perdu un bébé. Quoi de mieux que l’humour pour faire sourire et adoucir les peines ?
6) Votre objectif : raconter la mort aux enfants. D’où vous est venu cette idée ?
Totalement par hasard. Quand j’ai eu envie de tester ma plume, j’ai cherché un concours de nouvelles avec un thème imposé car je n’avais absolument par sur quel sujet écrire. Le thème qui m’a inspiré était « d’ailes et de plumes ». J’ai alors imaginé un royaume dans lequel un bébé arrive après s’être étouffé avec son cordon ombilical. Des ailes lui poussent dans le dos et il découvre qu’il a une mission à accomplir pour redonner le sourire à sa famille restée sur Terre. C’est de là que toute cette histoire est partie.
A la lecture de ma nouvelle, tout le monde pensait que j’avais moi-même perdu un bébé. Ce qui n’est pas mon cas. J’ai une certaine sensibilité, je ressens les émotions des autres et je découvre que mes mots ont le pouvoir de réconforter les personnes endeuillées. Jamais je n’aurais pu imaginer cela. C’est donc un pur hasard si je suis partie dans ce thème. Et si je l’ai approfondi et que je l’aborde avec les enfants, c’est à la demande de mes lecteurs.
7) Avoir sa place sur terre est un autre thème central pour vous. L’acceptation de la différence, la tolérance… Des thèmes universels qui vous tiennent à cœur ?
Oui, ce thème me tient à cœur parce que mon fils a un TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité) et qu’il a déjà subi à plusieurs reprises du harcèlement. Mais ce n’est pas la seule raison. Aujourd’hui, le harcèlement fait de plus en plus de victimes, parfois très jeunes et le cyberharcèlement apporte une dimension encore plus dramatique à ce phénomène qui touche la jeunesse actuelle. Désormais, le harcèlement ne s’arrête plus à l’enceinte des établissements scolaires ou de la rue, il continue de manière insidieuse sur les réseaux sociaux, 24h sur 24. C’est un véritable problème de société. Il ne s’arrête pas aux enfants « différents » : être roux, avoir de l’embonpoint, les oreilles décollées, un tic de langage,…un rien suffit pour en être victime. Je suis persuadée que la tolérance et l’acceptation de l’autre dans sa différence est un outil efficace de lutte contre le harcèlement et qu’il faut l’enseigner dès le plus jeune âge.
8) Il y a un cinéma au Royaume pour visionner ce qui se passe sur terre et voir ses proches dérouler leurs vies, est-ce pour signifier que les connexions entre morts et vivants sont évidentes ?
Je ne dirais pas cela. Je ne sais pas s’il y a des connexions entre les morts et les vivants et je ne souhaite pas me poser cette question. Il est doux de s’imaginer que les êtres chers disparus existent encore, qu’ils sont heureux dans un autre univers et que nous pouvons voir des signes de leur présence dans notre quotidien. C’est rassurant de se dire cela. Y croire ne fait pas de mal, bien au contraire et personne ne peut dire ce qu’il en est réellement. Mon univers est totalement imaginaire. Je ne fais jamais référence à des croyances religieuses. Je compare plutôt le royaume de Séraphin au pays des schtroumpfs, un monde imaginaire, rien de plus.
Mélodie Ducoeur, belge, triathlète, mère de quatre enfants écrit pour ses quatre enfants et un en particulier
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@bernadetteL Merci d'avoir pris la peine de commenter mon interview. Depuis, j'ai sorti la version pour les ados et il ne fait aucun doute, au vu des retours des enseignants et des jeunes, que j'arrive à m'adresser à cette génération et cela me touche. J'ai mis tellement d'espoir dans cette version pour en faire un moyen de lutte contre le harcèlement que je suis émue de voir que les enseignants m'encouragent à le faire rentrer dans le programme scolaire, comme lecture imposée. N'hésitez pas à le lire s'il vous tente.
C'est toujours une démarche complexe que de s'adresser aux ados et aux adultes en même temps surtout avec douceur.. Car ce sont des registres totalement différents. Si la poésie peut-être un langage commun, il est loin d'être universel. Interview intéressant.