Réel et fiction en littérature En littérature la fiction est-elle un appauvrissement du réel ou au contraire une prolongation un enrichissement de la réalité ?
Le réel, c’est d’abord ce que nous percevons par nos sens, ce que nous entendons, ce que nous voyons. C’est donc une chose qui nous est donnée et qui vient de l’extérieur, quelque chose qui apparaît avec une forme, des couleurs, une qualité tactile ( ce que nous avons à l’intérieur, comme une douleur, un plaisir, une sensation, c’est aussi du réel )… La fiction, c’est le produit de notre imagination. C’est donc une création de l’esprit.
Mais cette opposition est simpliste. Descartes dit que l’imagination n’invente rien. Elle produit un assemblage à partir des formes qui sont dans la nature. Regardons les monstres du peintre Jérôme Bosch, ils ont une figure presqu’humaine. Ces monstres ont une tête, un corps, des bras, des jambes. Comme tous les monstres, ils sont hideux, laids, mais ils ont une forme humaine.
Ainsi, la fiction ( que nous créons à partir du réel ) ne s’oppose pas au réel ( qui nous est donné ). Elle le continue, elle ajoute quelque chose de plus au réel. L’exemple frappant est la définition du surréalisme « Beau comme une rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». La table de dissection, la machine à coudre, le parapluie préexistent séparément à l’univers artistique, mais un parapluie sur une table de dissection, ça, c’est un produit de l’imagination. Les œuvres de Dali ( ou d’autres peintres comme Braque et la déconstruction de son violon ) sont parlantes à cet égard. La fiction n’est pas au-dessus du réel, elle est secondaire. Elle est à côté. Elle serait sans objet si le réel ne la précédait pas. La fiction est une construction à partir du réel, ou bien pouvons-nous dire, c’est une interprétation du réel. Le modèle, c’est le réel.
Aussi, lorsque l’on dit qu’on écrit des fictions, on construit en fait un monde appauvri par rapport au réel. Dans la fiction, nous avons enlevé du réel et avons remplacé par notre imagination le réel qui ne nous convenait pas et que nous ne voulions pas dans notre fiction. Par exemple, dans une fiction, les sentiments sont primaires, univoques alors que dans la réalité, nous avons tous les sentiments et leurs nuances. Dans la réalité, un personnage peut être colérique parce qu’un événement l’aura mis hors de lui, mais cette colère peut avoir mille nuances, alors que dans la fiction, l’auteur aura du mal à quantifier la colère. Il ne parviendra pas à définir la nuance colérique de son personnage. Il ne parvient à le faire que s’il s’inspire et copie le réel. Cette idée de la richesse du réel au regard de la fiction est donnée par Shakespeare : dans Hamlet « Il y a plus de choses sur la terre et au ciel que tout ce que votre philosophie peut imaginer ». Pierre Boule a repris cette phrase à la fin de « La Planète des Singes ». C’est d’ailleurs très intéressant de voir l’importance du réel dans un texte de science-fiction.
La force du réel dans les récits et les écrits.
*) L’auteur affronte le monde, il s’engage dans le monde, il a une action dans le monde. Autrement dit, il ne fuit pas dans le rêve. Il ne vit pas dans un autre monde, mais il est à côté de ses semblables. Il accepte son humanité.
*) Le réel qui est donné à l’homme comme à un auteur est un réel falsifié par les mythes, les idéologies. Regardez comme les guerres ont été enseignées ! Il a fallu attendre plus d’un demi-siècle pour apprendre quelques vérités dérangeantes sur la 1e guerre mondiale, sur la conduite sanguinaire des batailles par certains généraux ou sur l’injustice et l’ignominie des condamnations à mort par les tribunaux militaires. Que dire de la mythique guerre d’Espagne qui, dans les 2 camps, cache autant d’injustice ? C’est un des thèmes de mon livre « La Conversion de Don Pablo ».
Le rôle de la littérature, petite ou grande, est de remettre de la vérité dans la réalité et de refuser les falsifications, c’est-à-dire les aliénations. On y parle ( je devrais dire on y écrit ) essentiellement sur la condition humaine, c’est-à-dire, comment l’homme tient tête à son environnement. Soljenitsyne pour la Russie, Jane Austen ou Virginia Woolf pour la société anglaise, Henri James… et tous les autres.
*) Puisque l’écriture influe sur le réel, l’écriture est une action. La volonté est bien d’agir sur le réel, de lui donner un sens. L’écrivain est semblable au philosophe. Ce qui advient dans la société lui importe.
L'écriture collective est un leurre à l'inverse de travaux collectifs dans d'autres domaines
Depuis le 18e siècle, l’auteur est toujours considéré comme un homme seul. L’écriture n’est pas une activité collective, les normes sociales ne font pas de l’écriture une activité à plusieurs mains. De plus, la condition du génie est son unicité. Plusieurs auteurs peuvent écrire une nouvelle et réunir l’ensemble de celles-ci dans un recueil, mais chaque nouvelle sera écrite par une seule main. Autant l’artiste a besoin d’être reconnu dans son originalité, autant le public demande que le mérite soit reconnu dans un seul homme. L’écriture collaborative ne s’accorde pas avec l’idée de l’originalité et de la qualité.
Par opposition à cela, la pluralité des intervenants joue pour la recherche scientifique. Les travaux et leur rédaction se font à deux ou trois, comme le confirme la remise des prix Nobel de chimie, physique, médecine qui sont souvent des prix collectifs. Durant la Renaissance italienne, les peintres avaient leur atelier et plusieurs peintres intervenaient pour la réalisation d’une toile, d’une fresque alors qu’aujourd’hui, l’activité picturale est également l’activité d’un seul homme. Cela est vrai également pour le cinéma. Les films à sketchs sont rares. L’industrie cinématographique privilégie un seul réalisateur.
Tout écrit part du réel, le reste n'est que littérature
Ecrire , c’est construire un monde. Que nous empruntions la forme poétique ou romanesque, que nous écrivions un roman policier ou un roman érotique, nous avons, bien malgré nous, le réel comme modèle. Les transgressions, les révoltes dont nous usons pour nous affranchir de ce modèle n’y font rien. Le réel est la première donnée pour un auteur et certains ont beau se lamenter sur la tristesse et la misère du réel, et les mêmes peuvent bien se gausser de la force de leur imagination, ils ne font toujours qu’avec ce qu’ils ont d’abord trouvé dans le monde réel.
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@Christian Vial
Oui, c'est cela. Notre imagination ne crée pas, elle reproduit, elle réécrit...
Bonjour, @Christian Payen,
Je ne me souviens plus où j’ai lu ça, il y a des années, la science-fiction semble pour une bonne part être le fruit du réel… L’auteur du texte dont je parle expliquait que pour lui la forme des soucoupes volantes « vue » par les humains lui posait question, car l’humain imagine à partir de ce qu’il a au moins aperçu…
Merci pour votre texte.
@ FANNY DUMOND
Mon propos de départ était simple. Il pourrait se résumer à: "la réalité dépasse la fiction".
Cela n'engage que moi bien sûr, mais la création, l'écriture, l'imagination ne créent pas un monde au-dessus de notre monde quotidien. Elles en sont issues. Ce qui signifie que la littérature n'est pas un arrière monde.
Merci pour votre intervention.
Bonjour. Je pense que par l'écriture, dans certaines circonstances, nous donnons de la réalité à ce qui nous échappe, à ce que nous ne pouvons concevoir. Nous sommes parfois étonnés par notre imagination, mais ne reflète-t-elle pas notre vrai moi, notre réalité ? Chacun perçoit le réel à sa façon, si tant est qu'il existe vraiment, et nous sommes tous aptes à le déformer par nos mensonges auxquels nous nous accrochons, à prendre pour exactes les informations que l'on s'approprie à l'école, au catéchisme, dans nos lectures, à la télé, sur les réseaux sociaux... Je pense, donc je suis réel. Alors qu'en est-il de la faune, du végétal, du minéral qui sont palpables, mais qui ne pensent pas ? Sont-ils réels ? Tout n'est que leurres dans cette grande comédie qu'est la vie. Voilà pour ma réflexion, autant embrouillée que la vôtre ;-)
@ zoé c
Un grand merci pour votre intervention argumentée par de nobles références. Proust que je lis et relis, par plaisir, Dostoïevski dont les lectures m'ont marqué même si elles datent, Joyce que je vais reprendre pour la 3e fois, mais dans la version de la Pléïade qui est, je crois, très bonne, Musil, Zweig que je n'ai pas lu, mais vous auriez pu citer Virginia Woolf. Peu importe!
1) Le surréalisme a rompu avec la notion d'harmonie, et il a fait l'apologie de l'analogie. Pour cela, je vous renvoie à Signe Ascendant de Breton, page 7 et page 9, dans la collection Poésie/Gallimard. Convenez avec moi que c'est la même chose pour la peinture, un tableau surréaliste met sur le même plan les objets les plus disparates. Ce n'est pas le lien fonctionnel entre les objets, mais les résonnances entre des choses, des éléments différents les uns des autres qui appellent à leur mise en place sur une même toile. Le surréaliste crée l'étonnement, mais à partir du réel, que ce réel soit des objets à représenter sur une toile, ou des rêves, des automatismes comme dans l'écriture surréaliste. A. Breton ne sort pas du réel, il ne fait qu'associer entre eux des éléments disparates, et leur association crée l'art. Notre intériorité, notre intimité, c'est aussi du réel.
2) Vous écrivez "que le réel est lui-même une fiction... notre réel n'est qu'une version incomplète de la réalité.
Permettez-moi, comme vous en avez pris le droit, de rire de cela. Je dirais, pour vous répondre: mon oeil. Le réel est donné, dans sa totalité, même si, à cause de notre éducation, de nos habitudes, de notre finitude, de notre perception, de l'idéologie, nous n'y accédons que d'une façon imparfaite, ou partiale. Le monde est déjà là quand j'y mets les pieds. Evidemment, il serait différent si je n'étais pas là. Par exemple, pas de réchauffement climatique et les paysages ne seraient pas les mêmes puisque c'est l'agriculture qui les a façonnés. Mais pour autant, le monde n'est pas ma création, il existe là avant moi, et j'ai beau créer du réel, le mathématicien a beau dire qu'il a une nouvelle formule, le chimiste une nouvelle molécule, ces nouveautés ne sont qu'une adaptation au réel. L'ambiguïté vient de ce que l'on prend ces nouveautés pour la totalité. Avec la science, l'art, la connaissance, l'homme ne fait que se frayer un chemin vers le monde.
3) Vous citez Proust, et vous avez raison. Proust travaille, écrit sur le réel. Sa vie est son inspiration et lorsqu'il écrit sur Françoise, Verdurin, Charlus et les autres il écrit la Recherche avec le matériau de sa vie. Il n'y a rien de fictionnel là dedans. C'est bien le réel qui est sa matière. Bien sûr, on peut dire qu'il ( Proust ) transcende la réalité, mais sa vie, son réel est bien la matière de la Recherche. Ainsi le réel est bien la condition de la fiction. Vous citez Joyce, vous faites bien, relisez Gens de Dublin, vous pourriez citer aussi V. Woolf qui fictionne elle aussi à partir d'elle.
4) L'écriture collective est un leurre. Ne vous arrêtez pas à ce point! Il est inintéressant, je vous assure. Mais Deleuze et Guattari n'ont pas écrit une fiction littéraire, ils ont écrit des ouvrages philosophiques. Cela n'est pas la même chose... Mais je préfère ne pas m'attarder ici. Il fallait comprendre que l'économie de la littérature privilégie l'auteur singulier, plutôt qu'un groupe.
5) Je termine par ""tout réel est une fiction"... Je n'aime pas votre subjectivisme, je préfère mon objectivisme, certes imparfait mais préférable à tout ego libéral ou néo libéral. Tout cela pour dire que j'aime l'humilité. Pensez que toute fiction est dans une tête, c'est une création, elle est du côté de la subjectivité. Si vous n'écrivez pas votre fiction, le réel perdure, mais si vous n'avez pas de réel, vous n'aurez pas de fiction.
Conclusion: ne prenez pas cela à coeur! J'ai ressenti derrière votre humour une pointe d'agacement, de méchanceté ( défoncer les portes ouvertes ). Cela n'en vaut pas la peine. Lisez plutôt "La Conversion de Don Pablo", le manuscrit que j'ai mis en ligne sur Monbestseller.com. Commentez-le, cela le fera grimper.
Bien sûr, j'apprécie votre grand-mère et vos rossignols.
Bien cordialement