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Le 16 mar 2023

Regard sur un livre : "Ecrire la maladie" d' Elisabeth Pradoura

Elisabeth Pradoura n'est plus, mais elle s'impose ici, éclairée par l'hommage de Marie Berchoud sur son ouvrage : écrire la maladie. Comprendre la souffrance, la vivre est une manière d'apprivoiser la mort. Mais, à l'inverse, être malade transcende la conscience : c'est être plus vivant que jamais. Découvrez ce texte de Marie Berchoud qui analyse, révèle et explore la richesse du livre d'Elisabeth Pradoura. Elle nous aide à comprendre pourquoi l'auteure ne se sentait bien que derrière son clavier.

La maladie aurait-elle du mal à s’imposer comme thème littéraire ?

Ecrire la maladie d’Elisabeth Pradoura s’apparente à un testament à destination de ses proches, mais aussi de toutes les femmes.

Lu d’une traite et malgré le soleil au-dehors. Ce qui m’a captivée ? Le questionnement : « le thérapeutique équivaut-il seulement à faire du bien ? », et puis, quel lien avec l’écriture ? Une traduction… peut-être. Plus que ça, semble-t-il, au feeling, bien plus. Et puis, il y a la justesse de la voix, son honnêteté… et cette capacité de décentrement, de lien à l’universel, soi-autrui-le monde-l’histoire, si forte et vive qu’elle ne restreint en rien la capacité du dire intime corps et cœur et âme et peau, sans oublier les os, parfois si douloureux. Et avec ça, le tressage exigeant et subtil entre objectivité et subjectivité.

 

« Alité, ton regard s’élève »

Je voudrais faire approcher sans l’épuiser la richesse de ce livre. Et son universalité, car nous finirons tous alités : « alitée, ton regard s’élève », certes, mais, « le refus du corps souffrant n’élève pas,… il abat » ; le risque est que, parfois, « on oublie de guérir ». L’auteure lit, et pas que dans son lit : « lire affine la sensibilité », « décolle de la souffrance », lire « augmente [chez qui lit] le sentiment de son existence ». Ces pages et les suivantes développent un bel éloge du roman. Mais aussi, et je plussoie, la révélation au grand jour des simagrées universitaires et de recherche. Exemple : la traduction non féminisée de Survivors, alors qu’il est question de femmes. Tomber malade rend lucide, tomber vous relève ! « l’expérience de la maladie est un processus », et ce processus vous rend la dignité.

« Décoller de la souffrance » ? celle qui vous fait dire : « Pourquoi moi ? ». Une souffrance insondable et sans réponse au final. Si les causes du cancer sont multiples, le constat est unique : une « rupture de l’harmonie du corps à la nature ». Serait-ce un conflit psychique ? Lisons donc, avec l’auteure Le Livre du Ça, de Groddeck, Mars, de Fritz Zorn, qui a pris le nom de Colère [Zorn en allemand] pour exprimer son refus du cancer qui finira par l’abattre ; mais au moins aura-t-il lutté. Notre auteure ajoute un peu plus loin dans le roman, un point sensible : « la perte », « condition première de l’écriture » pour « relier le patchwork ». Cela, qui ne l’a pas éprouvé ? Car « être malade, c’est aussi être vivante », et Antonin Artaud, cité dans la foulée : « Guérir une maladie, c’est un meurtre ? ». En fait, il lui faut un « courage de dompteur de bêtes sauvages » pour revenir à un traumatisme enfoui, une IVG ; mais qu’on n’aille pas établir là un lien de cause à effet, c’est l’acte d’enfouir qui est visé, et non son contenu. « Étais-je un corps ? Avais-je une maladie ? Étais-je malade ? » grosses questions, comme on dit qu’il y a des gros mots.

Ne passez pas à côté de cette leçon de vie. La maladie et la mort sont des maîtresses absolues, et le propos, sans originalité depuis Montaigne et même les Anciens. Virginia Woolf, avec sa santé fragile, retient l’attention d’Élisabeth Pradoura, notamment quand elle pointe « l’indigence de la langue » pour dire la maladie, et puis, aussi, ce refus en soi du corps souffrant : non, non, pas moi, pas à moi, ce corps, en quelque sorte.

 

S’allier avec la part du rêve

Au-delà de la chronique de sa maladie, l’auteur entend s’allier aussi avec la part du rêve, essentiel à la vie, même si c’est un cauchemar, comme dans son développement de la métaphore de la boue qui entre dans ses rêves et colle : ta boue tabou, mais de petites fleurs un jour y poussent et plus tard, elle réussit son évasion dans l’ascension d’une colline [métaphore du sein ?]

Par le biais de l’écriture, les rêves deviennent supports d’exploration de soi et de connaissance : « je n’ai rien appris, sinon qu’il faut cesser d’attendre ». Ce qui nous ramène à la classique interrogation : et toi, que ferais-tu si la fin de monde était imminente ? Continuerais-tu la tâche en cours, ou bien ?

Écriture et reconstruction de soi font la matière de certaines pages qui ne sont pas sans rappeler l’ouvrage de Philippe Lançon, Le Lambeau, récit de sa reconstruction après Le Bataclan. Le rapport aux médecins fait la matière de l’autre partie du roman, avec des observations fort partageables, et les divers portraits assortis de chroniques de consultations sont vraiment dignes d’intérêt. Où l’on en vient à se demander : quel élément fait la différence ? Sans doute la réponse est-elle dans la relation.

La maladie serait-elle une « faute d’orthographe dans l’ADN » ?

Plus loin dans le texte, la rencontre avec le psychanalyste est marquante et juste quand il lui propose par exemple de « décoller le nez de la vitre, loin de son corps malade », pour sentir « le souffle de vie qui l’anime ». L’existence de l’auteure est cependant organisée autour de « l’écriture, la douleur, la peur, les rêves ». Devant son clavier, elle « se sent vivante », et ça n’a pas de prix. Mais on en vient « au bout de tous les traitements », « de toutes les chroniques » à l’inéluctable conclusion. « … Et le cours de la vie continuera sans moi. Sans même mon absence ». Cette écriture tenue, têtue, force le respect ! Ainsi que l’apprentissage d’un « nouveau métier, celui de malade » qui « doit être intelligente, obstinée, sans scrupules et armée… elle n’a pas le droit d’être faible ». Leçon à retenir

En définitive, la maladie serait-elle une « faute d’orthographe dans l’ADN »  « Et si le secours était aussi impersonnel que la vie […] une place chauve… cœur de la relation humaine ». Alors il resterait à « danser sur la place chauve du cœur vivant de la relation humaine… » La fin approche et la Fin. Merci l’auteure !    

 

Marie Berchoud

 

 

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@mBS Merci pour votre réponse et bonne soirée !

Publié le 20 Mars 2023

@Phillechat. Oui, Georges Canguilhem! J'ai beaucoup aimé le livre d'Elisabeth Pradoura, et la chronique coulait de source, quasiment. Quel livre et quelle leçon !

Publié le 20 Mars 2023
mBS

@Zoé Florent. Le portrait d'Elisabeth est de E. Pothier. Daté 2011.
Merci à tous et à toutes pour vos interventions sur ce très beau livre.

Publié le 20 Mars 2023

@Elisabeth Pradoura (Pascale Moïse) @Marie Berchoud Merci pour ce regard sur "Écrire la douleur" ; un regard plus que mérité pour un roman que j'ai énormément apprécié.
Il m'a permis de faire la connaissance d'une femme brillante, douée, passionnée. Sa lucidité, sa ténacité et son courage m'ont impressionnée. Mais plus que tout, sa franchise, son accessibilité et la façon digne dont elle met lentement le genou à terre pour s'incliner devant la maladie, m'ont profondément touchée.
Alors oui, @Phillechat, l'épistémologie est omniprésente en toile de fond de ce roman. Comment aurait-il pu en être autrement sous la plume d'une femme aussi intelligente et érudite, d'ailleurs ? Mais là encore, c'est en nuance que doutes et conclusions sont évoqués, puisqu'ils émanent d'une personne consciente d'un état de dépendance qui suppose une part de soumission et une certaine confiance en la capacité de ses thérapeutes. Il me semble qu’Élisabeth a fini par admettre que sa supériorité intellectuelle ne lui serait d’aucun secours. Cela lui donne une allure émouvante de lionne rejetée par sa meute, d’ailleurs.
J’ai lu une grande solitude derrière les mots.
Mais ce qui m'a réjoui sont ses deux coups de gueule ; celui du début, au sujet de "survivors", traduit en "survivants", et celui de la fin, avec cette brève remise en cause de la fiabilité du corps médical… Un baroud d’honneur que j’ai lu comme un « nique ta mort » salvateur. Je crois bien que c’est de cette Élisabeth-là dont je garderai le souvenir : Élisabeth la rebelle ;-).
Bonne fin de journée !
Michèle
PS : le portrait dans le macaron est-il d'elle ? Je veux dire : de sa patte ?

Publié le 20 Mars 2023

Je vous remercie pour cet éloge mérité d'un excellent ouvrage. C'est un livre profondément humain qui traite le lecteur en adulte. Paradoxalement, il donne de l'espoir, ce désir de vivre, vanté par Dolto, sans jamais tomber dans la facilité.
C'est le genre de livre à lire, si l'omniprésence marketing du "feel good" vous exaspère. Car vous vous sentirez heureux, sans devoir mettre votre cerveau en jachère.
Je suis juste surpris d'être le seul lecteur à insister sur l'importance de l'épistémologie dans ce livre. Pourtant les références à Canguilhem sont centrales.
Je conseille aux lecteurs d'approfondir leur réflexion en lisant le "Normal et le Pathologique",puis de relire cet ouvrage remarquable, que Monbestseller a judicieusement mis en avant !

Publié le 18 Mars 2023

J’ai eu la chance d’avoir pour amie Élisabeth Pradoura. D’une vitalité peu commune, elle aimait la vie passionnément. Malade, confrontée pendant plus de trente ans au cancer elle m’a donné une leçon de vie. Sa vaillance, sa créativité, sons sens de l’humour, son attention aux autres, comme son talent littéraire ont forcé mon admiration. Élisabeth a fréquenté les Ateliers Beaux-Arts de la ville de Paris à Montparnasse avec enthousiasme, réalisé des sculptures et dessiné de nombreux portraits. Elle a beaucoup lu, beaucoup écrit. Ses deux premiers livres l’Oursein et Pourquoi le cauchemar sont en attente d’un nouvel éditeur. Écrire la maladie est son dernier livre. Il reste cependant des textes inédits à découvrir. Élisabeth Pradoura, grâce à ses écrits, demeure bien vivante.
Pascale Moïse
(Je suis l'ayant droit d'Elisabeth Pradoura)

Publié le 17 Mars 2023

Un livre qui ne vous habitera tellement les mots, remarques et anecdotes sont justes, qu'elles soient tendres, lucides ou douloureuses. A ne pas rater !

Publié le 16 Mars 2023