Regard sur un livre : Gloria de Ahmed Bouchikhi.

C’est un monde désolé, ça pourrait être Guernica puisque l’essentiel de cette histoire raconte la guerra civil española.

C’est le Rif marocain, puis le sud de l’Espagne, l’Espagne plus au nord ; pour certains la frontière française, la France, puis de nouveau le Maroc pour Nacer, et encore l’Espagne pour finir.

Le tempo est posé, celui du rigodon. On tourne en rond, on avance sur place, on tourne sur soi.

Alors, le synopsis : Nacer est le personnage principal. Il "naquit à Tamda, sur la dernière branche d’un arbre généalogique qui plongeait ses racines dans les fières montagnes du Rif".

Dès l’âge de sept ans, sa vie est marquée par la guerre du Rif à laquelle prit part son père. Quelque temps plus tard, commence son exode qui l’emmène aux portes de Tétouan, dans la ferme d’un colon où il tiendra brièvement le rôle de berger, puis à l’Hospicio de los Venerables, où il rencontrera ses premiers compagnons d’infortune. Ensuite ? C’est la fuite en avant, toujours poussé par la faim, et, pour finir, la chute dans la gueule du loup Franco "Toute personne qui rejoint les troupes du général Franco a droit à deux mois de salaire payé d’avance, quatre kilos de sucre, une boîte de pétrole de deux litres, du pain chaque jour. […] Le général Franco est un homme de parole. Il vous promet qu’après la guerre, vous retournerez à vos villages avec des chaussons en or". Ainsi, Nacer devint-il membre des Regulares, alors qu’"il avait horreur de ces mercenaires qui avaient combattu leurs propres frères au Rif".

Ensuite ? Eh bien, c’est la guerre. La guerre. Toujours la même depuis la nuit des temps de l’Humanité. Celle de la souffrance, de la frayeur, de l’écœurement, du désespoir et, par-dessus tout, de la folie, de l’ubris.

Alors, Gloria dans tout cela… La gloire des vaincus, des insignifiants, mais aussi la gloire de l’amour, de la conscience, du don de soi a donné son nom à Gloria, la fille dont Nacer sauve la Vertu, donc la raison, l’esprit, l’identité et probablement le corps également, car il semble assez normal au regard des mercenaires de détruire les corps de filles dont ils ont abusé.

Gloria est la soupape de sécurité qui empêche la cocotte d’exploser, un point de lumière placé par le peintre sur la toile du carnage. L’unique point lumineux. Inaccessible, et comme tout rayon de lumière, insaisissable.

Tout le reste est l’histoire contée par Ahmed avec réalisme, sans voyeurisme. Avec discrétion et pudeur. Pas de discours moralisateur non plus, la guerre se regarde froidement, de même la misère et la faim, car c’est aussi cela la vie pour certains.

La grande victoire de l’auteur est de nous montrer (peut-être serait-il plus juste d’employer le verbe désigner) l’âme humaine de Nacer, inviolée malgré tous les outrages subis. Une âme comme une herbe sauvage, poussant dans la poussière des routes, résidant dans une niche, comme un chien humain.

Ce livre a été récompensé d’un coup de cœur lors de la troisième édition du concours des Murmures Littéraires. Sans doute le jury a, comme nous-mêmes, été ému par la profondeur de cette écriture dense et classique.

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