C’était un soir de Saint Jean, les gars voulaient aller guincher et Abel allait vivre la rencontre qui engagerait sa vie. Là-bas, dans la pâture à vaches, derrière l’église, il y a bal. Les villageois ont monté la chavande qui s’embrasera à la tombée de la nuit, les ménestrels font résonner accordéons, flûtes et épinettes et on se presse au caboulot.
Au bord du champ, les gars trinquent, heureux de profiter enfin après une semaine de fenaison. Abel ne reste pas longtemps à discuter, il est là pour danser. Il observe les couples qui se forment et les filles qui attendent l’invitation. Quand Léonie s’assoit près de l’abreuvoir, il n’a plus d’yeux que pour elle. À ce regard appuyé, la jeune fille esquisse un sourire et détourne la tête, un peu troublée par ses yeux presque impudents.
Elle doit avoir environ vingt ans, mais son visage, ovale et lisse, encadré de quelques boucles aux couleurs des blés dorés qui s’échappent de son bonnet de coton, lui fait paraître moins. Le teint rose et le sourire bien accroché aux pommettes hautes, elle semble s’amuser et affiche un air réjoui. Lorsque Léonie rit, ses lèvres charnues laissent voir ses dents bien alignées, aussi blanches que la coquille des œufs de ses volailles, des robustes, de la race Coucou de France, qu’elle bichonne avec amour. Subjugué, il ne remarque pas ce nez, légèrement camard, qu’elle n’aime pas.
Abel la regarde se lever et suivre le jeune homme qui vient de l’inviter. Mince et élancée, la silhouette bien dessinée dans un caraco à manches et une jupe qui laisse deviner ses chevilles au bas de son jupon blanc, elle enchaîne, les pas, les frappes dans les mains, les tours bras-dessus, bras-dessous, la ronde et les petits sauts qui font claquer ses sabots du dimanche, taillés dans le fil de l’érable. Garçons et filles se font face, se tiennent par la main ou s’agrippent pour danser la soyotte, le jurondé, la polka et le chibreli. On tente des rapprochements ou des regards fripons toujours en quête du bon ami. Léonie ne semble pas vraiment farouche.
Alors il se dit que la prochaine sera pour lui. Il s’avance, lui tend la main, souffle quelques mots flatteurs et l’entraîne pour une danse, puis une autre pour ne pas se lâcher trop vite. Pour reprendre haleine et se parler un peu, ils regagnent la table dressée dans le chemin. Abel perçoit dans les yeux de Léonie, l’émotion qui la transperce, trahie par les mouvements de ses paupières qui parpalégent comme dit le cousin de Provence.
Ça se voit à sa mine, à son allure, à sa façon de dire les choses, elle semble pétrie de sentiments simples et bons, pense Abel, humilité et probité transpirent de ses pores. Il ne se trompe pas, Léonie s’évertue à ne jamais nuire et tient éloigné tout ce qui, à ses yeux, est image du mal. À la douceur de son caractère, s’ajoute celle de sa voix qui a ensorcelé celui qui déjà lui offre son cœur et son âme pour la vie. Il suffit parfois d’un instant, d’une rencontre, pour décider d’une existence.
Catherine Clavier Lemaire
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Bonjour,
Merci @Zoé Florent, @F.J. Lécollier, @Françoise Roche pour vos mots doux et encourageants. Si Léonie la belle a fait battre un peu votre cœur, si ces quelques lignes vous on fait rêver la campagne d'un autre siècle alors nous avons partagé un instant sa vie. Au plaisir d'un autre échange peut-être. Belle journée.
@Catherine Clavier Lemaire
Ambiance des bals de campagne, bien décrit on s'y croirait ! un amour naissant et qui fait battre le cœur des lectrices, les belles années quand l'amour dansait avec toujours... merci
Françoise ROCHE
Bonjour,
Un bal de campagne au début du vingtième siècle... Joli décor pour une rencontre. L'ambiance est aussi bien rendue que le portrait de la jeune fille. :-)
Une nouvelle de facture classique, joliment écrite... L'ambiance et le vocabulaire collent bien à cette époque pas si lointaine où les rencontres se produisaient le plus souvent dans les bals... Une époque où les engagements pour le meilleur et le pire suscitaient peu d'interrogations ;-).
Bravo et bonne soirée.
Amicalement,
Michèle