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Du 18 oct 2023
au 18 oct 2023

« ROSE MADDER »

Ma mie, peux-je vous parler au bec à bec à la franche marguerite ?Ma mie, peux-je vous parler au bec à bec à la franche marguerite ?

C’était un 14 mai, j’étais entrée dans ce musée. Le regard d’un jouvenceau me suivait.

   Vêtu d'une robe courte et bouffante dans les tons rouge fané, fermée par de multiples petits boutons et barrée d’un cordon bleu, il semblait paré pour un bal costumé. Une large collerette blanche en dentelle empesée lui enserrait le cou. Aux pieds, des souliers assortis et ornés d’une faveur sur le dessus venaient prolonger des jambes fluettes gainées de bas blancs qui hésitaient à tirebouchonner sur les genoux. Je m’attardai sur ce visage poupin. Les yeux marron et la bouche en cœur oscillaient entre sourire et sérieux, tandis que ses cheveux noirs abondants, ondulés et ébouriffés, accentuaient son air polisson. La main droite reposait crânement sur la hanche, alors que la gauche se fermait sur la garde d'une épée. Malgré cette bouille canaille et la stature enfantine, l'ensemble dégageait une impression de grandeur, de majesté.

   Alors, une voix ténue m’intrigua :

Ma mie, peux-je vous parler au bec à bec à la franche marguerite ?

   Étonnée par ce langage, je m’approchai du tableau et me retrouvai devant le lit d’un moribond qui parvint à articuler :

À la parfin, je m’en vais l’âme en paix, malgré tous les tourments endurés depuis mes enfances. J’avais neuf ans à la mort de mon père tant aimé. Ma mère Marie, dont je n’ai jamais reçu un baiser, ne cessait de me houspiller. Lorsqu’elle me surprenait à m’amuser, elle me traitait de dégénéré. Tant et si bien que, si peu sûr de moi, je bégayais quand j’étais contrarié. Curieux de tout, mais toujours dans la lune, je préférais la chasse à l’étude, et je devins la risée des délateurs. J’adorais ma sœurette Elisabeth avec qui je jouais parfois et, pour l’amuser, je lui cuisinais des omelettes parfumées de nos éclats de rire. Nos mariages étant arrangés, notre mère, agacée par nos larmes de désespoir, nous sépara à jamais. C’est ainsi que ma sœur chérie rejoignit son destin ibérique et que ma mère récupéra Anne, ma promise Espagnole. Nous n’avions pas encore atteint nos quatorze ans, pourtant le soir de mon union avec cette inconnue, Marie exigea que nous consommions notre mariage sur le champ, sous les regards de nombreux témoins. Cette humiliation resta à jamais dans mes remembrances. Bien qu’étant marié, je n’avais pas atteint l’âge de suivre la voie de mon père, aussi Marie, l’écervelée, piochait allègrement dans les pécunes de mon père pour s’offrir des diamants et engraisser un couple diabolique qui nous dépouillait. Pour un oui ou pour un non, elle entrait dans des colères terribles. Sous les yeux ébahis de l’assemblée, elle se dépoitraillait, se roulait par terre, hurlait des insanités telle une charretière, s’arrachait les cheveux et suait des gouttes grosses comme des pois. Durant ma lourde charge, soutenue par Anne, mon frère Gaston et ses nombreux affidés, elle montait des cabales et des complots contre moi et mon conseiller pour nous… assassiner. Meshui..., je me meurs… ».
Qui êtes-vous ? m’empressai-je de lui demander.
J’étais… Louis XIII, le Juste.

de Fanny Dumond

 

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Cette nouvelle captive par son mélange audacieux de réalité historique et de fantastique. L’auteure joue avec les codes de la rencontre imaginaire, faisant surgir Louis XIII d’un tableau pour lui donner la parole. Le contraste entre la description du jeune monarque en tenue exubérante et la gravité de ses confessions sur une enfance tourmentée et une vie marquée par la solitude est saisissant. Le style, riche en détails et en archaïsmes, donne par moments une impression de surcharge. Si cette densité rend hommage à l’époque et au personnage, elle dilue quelque peu l’émotion brute de ses aveux. Néanmoins, la nouvelle parvient à humaniser ce roi et à nous inviter à une réflexion sur le poids d’une telle destinée.

Publié le 18 Octobre 2024