Le surnaturel, élément constitutif des récits fantastiques, est un topos littéraire, un lieu commun dès l’Antiquité et même, dirons-nous, la naissance de l’écriture avec l’épopée de Gilgamesh. Des auteurs innombrables y ont trouvé une inépuisable source d’inspiration. Pour autant, les codes de la littérature fantastique apparaissent seulement à la fin du XVIIIe siècle, et surtout au XIXe, et les noms ne manquent pas de ceux qui s’y sont complu. Ainsi, on ne saurait trop parler d’Edgar Allan Poe, de Théophile Gautier, de Guy de Maupassant, de Prosper Mérimée…
Mais de quoi parle-t-on ici ? Le terme "fantastique" renvoie, en littérature, à l’apparition subite et inattendue d’un élément surnaturel dans un environnement réaliste, familier. L’écrivain qui veut produire un ouvrage fantastique pose toujours d’abord un cadre parfaitement réaliste, dans lequel ensuite il fait intervenir un élément surnaturel dont la vocation est, entre autres choses, de dérouter le lecteur, lequel peut alors s’interroger sur sa véracité, au moins dans les premières pages : au commencement est le doute. En d’autres termes, le surnaturel n’est pas présupposé, n’est pas acquis, comme c’est le cas avec le merveilleux qui envoûte les romans arthuriens ou les contes de fées. Il doit surgir comme quelque chose d’anormal, d’inexplicable, et l’auteur, pour atteindre cet objectif, a besoin évidemment d’un prétexte : une expérience qui tourne mal, une rencontre à première vue fortuite, un lieu étrange… Ce prétexte dont il se sert devient ipso facto le lieu et l’instant de la rencontre entre le réel et le surnaturel.
Or, en tant qu’il est l’apparition anormale, inexplicable, mais bien présente du surnaturel dans le naturel, l’élément fantastique contraint le lecteur à intégrer cet élément surnaturel à sa représentation du monde bâtie par l’auteur. C’est la première et la grande "trahison" de l’auteur, puisque le lecteur, croyant dans les premières pages avoir affaire à un récit réaliste, se heurte soudain à quelque chose d’irrationnel et, donc, d’inexplicable. Mais cette apparition n’a pas besoin d’être toujours brutale. L’élément surnaturel peut se diluer lentement dans l’histoire, et parfois même n’être que suggéré, durant un temps au moins, n’être qu’un effleurement suffisamment perceptible pour que le lecteur s’en aperçoive, mais pas assez pour qu’il soit sûr de ce dont il s’agit. L’auteur peut laisser supposer qu’un événement surnaturel est arrivé, mais sans l’affirmer ouvertement, ce qui autorise le lecteur à penser qu’il existe peut-être une autre explication plus "rationnelle". Le lecteur, alors incapable de déterminer si cet élément surnaturel est bien réel ou seulement envisageable, parcourt l’œuvre sans avoir jamais la certitude de ce qu’il en est effectivement. Dans La Vénus d’Ille, par exemple, le narrateur n’a jamais vu la statue se mouvoir d’elle-même. Cet événement surnaturel n’est donc jamais explicitement donné comme vrai : il est seulement rapporté. Dans la nouvelle Le Portrait ovale d’Edgar Allan Poe, un homme admire un portrait si saisissant de réalisme que la jeune fille qui y est représentée paraît vivante. Tout au long de la nouvelle, on ne sait pas si le portrait est bel et bien vivant ou si l’homme n’est pas simplement si fasciné par le portrait qu’il se persuade lui-même qu’il est vivant.
Suggérer, au fond, c’est faire douter, et faire douter, c’est questionner. Le texte ne se lit plus comme un simple divertissement : il arrête, il retient le lecteur qui, cependant qu’il tente d’élaborer sa représentation du monde et des personnages présents dans ce qu’il lit, remet en cause ce qu’il croyait vrai. Il peut s’en trouver perturbé, se demander de quoi il retourne réellement et, par là même, vouloir connaître la suite de l’histoire pour, enfin, trouver la réponse qui lui manquait jusqu’à présent. Le suspense se nourrit ainsi de ce que le texte ne dit qu’à demi-mots. C’est là l’une des raisons qui peuvent amener le lecteur à lire un récit fantastique. Pourtant, un tel récit ne présenterait pas un si grand intérêt s’il n’offrait pas en même temps diverses réflexions sur le "réel", chacune d’elles constituant une bonne raison de s’intéresser à la littérature fantastique.
Dans le prochain article, Jonathan Chardin nous exposera quelques bonnes raisons de lire le genre fantastique.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Bonjour @Chardin
Merci pour votre article et pour vos réponses claires dans les commentaires. Je viens de redécouvrir les différences entre science-fiction et fantastique, et fantasy ! J'avais vu ça dans les typologies de jeux lorsque je débutais ma formation d'animatrice du jeu ! (Hier, donc !)
Votre article m'a fait repenser à mes lectures que j'aurais personnellement qualifiées d'étranges... Je vous en remercie !
J'ai vu "l''homme bicentenaire", tellement triste... Mais si intéressant !
A bientôt pour la suite !
Gwenn
Il faut distinguer en effet le fantastique de la fantasy, mais aussi du merveilleux et de ce qu'on a appelé le réalisme magique. Je serais tenté, d'après ce que j'ai pu comprendre, de résumer les choses de cette manière: le fantastique fait intervenir un élément surnaturel dans un contexte préalablement réaliste, alors que la fantasy pose, en partie en puisant dans le vaste vivier des mythes, le surnaturel et la magie comme des éléments d'emblée acceptés par le lecteur en tant que faisant partie intégrante de l'univers imaginé par l'auteur : le surnaturel et la magie participent des lois et de l'organisation mêmes du monde imaginé par l'auteur, ce qui laisse effectivement à l'imagination de l'auteur une grande liberté. Elle se rapproche du merveilleux qui, avec les romans de chevalerie et les contes de fée surtout, se caractérise par une présence acceptée comme normale de certains éléments surnaturels. Dans le merveilleux cependant, le surnaturel est circonscrit surtout à des créatures (fées, sorcières...), des objets (épée d'Excalibur...) ou des lieux (forêt de Brocéliande...) qui n'interviennent pas forcément tout au long de l'histoire. Quant aux récits empreints de réalisme magique, ils sont traversés d'éléments surnaturels qui sont acceptés comme tels dans un environnement par ailleurs tout à fait réaliste, mais qui, apparaissant souvent ici et là, ne fondent pas l'essentiel du récit, comme c'est le cas dans le fantastique ou la fantasy. Il me semble, à première vue, que ça se résume à ces points-là, même s'il est très possible que j'en aie omis certains.
Merci de bien précisé la différence entre fantastique et fantaisy même si sur le site c’est un peu mis dans le même paquet. Alors que fantaisy est un mot anglais à la base qui englobe les genres imaginatifs à la traduction. Je pense que sait la raison pour laquelle tout le monde ce mélange les pinceaux. Et aussi le fait que Disney nous à habitué à tout mettre dans le même groupe. Jamais petits ont nous avaiient appris à faire la différence. Pour moi je reste une rêveuse en puissance, j’aime très souvent m’évader du contemporain pour rejoindre le fantastique et le fantaisy pour un détour en science-fiction et revenir de temps en temps, rarement au contemporain. C’est ainsi que dans mes livres de fantaisie j’adore inventer des personnages avec des pouvoirs pour m’amuser à rendre le réel plus drôle et plus beau . Ils doivent respecter d’abord la nature pour ensuite apprendre avec leur pouvoir. J’aime aussi inventer des nouveaux monde ou ma chère nature n’est pas ruinée. Passionné de biologie, de sciences en tout genre, j’aime inventer des peuplades qui se passionnent à décrire la faune, la flore et l’océan comme un amie à respecter, à connaître et non à dominer et aussi nous apprendre énormément sur leurs vécus de leurs familles qui est le mien en réalité. Là fantaisy n’est pas plus dur à écrire qu’un autre roman, tant que tu connais certains code structure et de plan, tu peux réaliser de très beau roman à rythme plus rapide qu’un roman de vie réel. Passionné de psychologie, je trouve que tu peux aussi en fantaisie approfondir la psychologie du personnages qui doit vraiment creuser dans ses cauchemar avant de pouvoir connaître son talent à fond ou pour réaliser sa quête. Pour moi c’est un style plus facile à écrire, tu as une grande liberté de thème, de valeur que tu peux aborder dans la culture des peuplades Inventée. À rêver de ne plus être enfermé dans ces petites cases de la vie et se libérer du réel nous mets du baume au coeur.
Mon livre : Si les secrets ouvraient l’océan.
@M.France
J'aime beaucoup aussi l'anticipation (je pense à Frankenstein, aux romans verniens...) et la science-fiction (au moins à ses débuts : La Machine à explorer le temps, certains textes d'Asimov...) pour les raisons que vous invoquez. J'ai adoré, par exemple, L'Homme bicentenaire (dont on a tiré d'ailleurs un très beau film), qui interroge sur la nature humaine, sur ce qui distingue le robot de l'homme, sur l'immortalité, sur la liberté, sur l'asservissement aux technologies... C'est l'une des caractéristiques fondamentales, à mes yeux, qui définit un bon livre : il pose des questions essentielles et y apporte des éléments de réponse percutants.
@Jonathan Chardin
Merci pour ces informations. Je ne savais pas que le texte de la littérature fantastique partait « d’un cadre parfaitement réaliste, dans lequel ensuite il faisait intervenir un élément surnaturel », je pense que je le confondais avec le roman de fantasy.
Ceci étant, j’adore le type de roman fantastique, tout autant d’ailleurs que le roman d’anticipation et de science-fiction, car je trouve que ces trois styles de roman permettent à la fois de s’évader dans des lieux et histoires surprenants, mais surtout je les aime quand ceux-ci amènent à nous interroger sur notre monde actuel et futur. Sinon pour moi il n’a aucun intérêt (hormis évidemment de passer peut-être un bon moment). Mais au final j’aime tout genre littéraire quand celui-ci offre en fin de compte comme vous dites : « diverses réflexions sur le "réel "».
J'ai un faible pour le fantastique, mais pour un écrivain c'est un genre difficile à manier !
@Thierry Rucquois
Les nouvelles de Poe sont en effet souvent saisissantes, et leur format court, je trouve, facilite l'immersion du lecteur dans le fantastique. J'avais beaucoup aimé notamment Le Portrait ovale, Bérénice et La Chute de la Maison Usher.
Pour les amateurs de littérature fantastique (ou pour bellement s'initier au genre), je conseillerais l'anthologie de Roger Caillois parue chez Gallimard. Une référence !
@Thierry Rucquois
Si vous aimez les histoires ambiguës, n'hésitez pas un seul instant !
@Tomoe Gozen
Je rejoins votre analyse : je garde moi-même un bon souvenir de la lecture du "Tour d'écrou", qui avait su me tenir en haleine et m'inspirer d'intéressantes réflexions. Il est évoqué rapidement dans le troisième des quatre articles qui vont paraître.
@Jonathan Chardin
Peut-être l'évoquerez-vous plus tard, mais je tiens "Le Tour d'écrou" d'Henry James pour l'un des livres les plus fins et les plus achevés de la littérature fantastique.