Nous avons pu voir rapidement dans l’article précédent que le récit fantastique pouvait très bien interroger le réel, être une porte ouverte à de nombreuses réflexions sur le monde et sur l’homme. Pourtant, on comprendrait que le lecteur féru de réalisme et haïssant tout ce qu’il ne peut pas voir et reconnaître comme vrai, s’interroge sur l’intérêt qu’offre une littérature qui se préoccupe de cet univers invisible. Mais il est improbable que la nature précise, véridique de l’au-delà – pour autant qu'on en admette l'existence..., intéresse fondamentalement un auteur (sauf peut-être s’il prétend lui-même en avoir eu un aperçu qu’il aurait ensuite le souci de partager), et ce n’est pas, conséquemment, à cela que le lecteur doit s’intéresser lui-même. Peu importe, au fond, que l’écrivain ait peuplé son au-delà de fantômes, d’un tunnel de lumière ou d’un vide infini. L’intérêt premier du fantastique se situe ailleurs, et notamment en ce qu’il décrit ce qui est inaccessible à une conscience humaine ordinaire ou ce dont la raison d’ordinaire reconnaît l’inexistence. On pensera par exemple à La Vénus d’Ille, une nouvelle dans laquelle Prosper Mérimée met en scène une statue vivante, ou à La Cafetière, où Théophile Gautier fait s’animer divers objets ou les personnages de toiles.
Le fantastique sonde des thèmes comme la foi, les croyances, les limites de nos connaissances, la nature humaine, la folie et les mouvements irrationnels de la conscience mentale, la nature même du monde et de ce qu’on appelle le "réel", la réflexion psychologique, le bien et le mal… En faisant apparaître un spectre, on peut inviter le lecteur à s’interroger sur ce qui existe après la mort et sur ses croyances. Selon l’orientation qu’on lui donne, on peut faire du récit une étude sur la psychologie humaine (comme c’est le cas du Horla où Maupassant fait du narrateur un personnage en proie à un "double"), sur le bien et le mal (ainsi du Diable amoureux de Cazotte, où le diable prend la forme d’une femme magnifique pour séduire le personnage d’Alvare)…
Les personnages surnaturels portent en eux tout ce que la raison humaine nie ou ne comprend pas. Avec le fantastique, l’auteur amène le lecteur à s’interroger, non sur l’invisible, mais sur lui-même et sur le monde qui l’entoure : l’au-delà est, paradoxalement, un phare qui éclaire le monde visible. Il doit conduire le lecteur, souvent à tâtons, sur les chemins mystérieux de l’au-delà et le forcer de cette façon à élargir progressivement le champ de sa compréhension du monde et de lui-même. Car c’est en élargissant "le champ des possibles" que l’auteur parvient à intégrer des thématiques et des questionnements qui, dans un autre genre littéraire, auraient été peut-être plus difficiles à traiter. Il peut donc être important pour l’auteur, avant de déterminer quelles créatures ou quels espaces fantastiques il va introduire dans son récit, de savoir de quoi précisément il veut parler. Les thèmes ainsi choisis préalablement donneront alors au texte une orientation, une cohérence et même une certaine densité, s’ils sont étudiés en profondeur. Lorsque cette étape est faite, l’auteur pourra déterminer la nature de la créature ou, plus largement, de l’élément fantastique qui servira ses réflexions. Or, sur ce point, les possibilités sont vastes et imagination de l’auteur sera sa seule limite…
Dans son prochain article, Jonathan Chardin nous présentera quelques caractéristiques des personnages de romans fantastiques.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
❤️❤️❤️
@Laura B.
Merci à vous pour votre commentaire. Tout dépend, je présume, de ce qu'on entend par "spiritualité", mais il est vrai qu'il y a dans l'élément surnaturel quelque chose de spirituel, si on comprend par là tout ce qui est intangible et qui est au-delà de la sphère physique.
L'imaginaire nous permet de dépasser les limites du monde physique, qui ne parvient pas à assouvir notre besoin de sens. La spiritualité n'est pas à la mode, mais les bouquins fantastiques font briller sa flamme de façon détournée. Merci pour cet article intéressant :-)
@Chardin merci à vous d’ajouter un avis très juste à mon idée
@Natalie Maack
Tout à fait d'accord avec vous. Il y a de vastes possibilités, alors pourquoi reprendre encore et toujours les figures du vampire ou du fantôme? Si je tente une explication, je dirais que c'est peut-être parce qu'elles portent en elles une symbolique forte et acquise à l'imaginaire populaire. Certains auteurs ont bien tenté d'inventer des créatures différentes (je pense à Lovecraft, par exemple), mais elles n'ont peut-être pas la même force symbolique, et certainement pas la même popularité auprès du public. Tout le monde connaît Frankenstein, mais combien connaissent Cthulhu ?
Ceci dit, c'est dommage en effet que trop peu d'auteurs s'engagent à imaginer des créatures originales (c'est peut-être d'ailleurs un mérite qu'on doit reconnaître à Mary Shelley d'avoir inventé la créature de Frankenstein et d'être parvenue à la rendre populaire).
@Anthony Valber
L'image du miroir me paraît très juste, un miroir déformant. Je vous rejoins également sur l'idée que le fantastique offre au lecteur de multiples interprétations, y compris celles latentes en lui. Peut-être à cause du caractère irréel (ou considéré comme tel) des éléments surnaturels, ce qui autorise alors le lecteur à y mettre plus de représentations et d'idées que n'en autorisent des personnages réalistes limités par leur propre condition, semblable à celle du lecteur.
À partir de là, je présume qu'il n'existe pas une seule ligne directrice, tant pour le lecteur que pour l'auteur. Dans la mesure où le fantastique repousse les limites du réel (ou au moins du connu), il faut peut-être envisager que le but ou la vérité évoqués par le texte puissent être, eux aussi, éloignés de ceux qui sont communément admis et tolérés dans des récits strictement réalistes.
Pour l'image, je ne saurais vous dire, ce n'est pas moi qui l'ai choisie.
@Chardin J'adore le roman fantastique pour cette évasion hors des limites de la réalité, qui permet de plonger dans un monde où tout est possible. Cependant, je déplore que trop souvent, on retrouve les mêmes personnages fantastiques avec des limites standardisées, comme s'ils suivaient un cadre prédéfini. Pourquoi ne pas oser davantage et laisser libre cours à l'imagination ? Un peu de folie créative pourrait vraiment enrichir ce genre et nous offrir des aventures encore plus captivantes et inattendues.
@Maud de Fayard
Il peut y avoir en effet un grand intérêt à donner une plus grande profondeur à ses personnages, laquelle d'ailleurs peut alors porter en elle la profondeur de la réflexion.
@Le philosophe 2
En effet. Si on part de l'idée qu'un récit de fiction est, dans une mesure plus ou moins étendue, une métaphore ou un miroir de notre monde, le fantastique, je trouve, nous offre de méditer sur des thématiques peut-être (j'insiste sur ce mot) plus vastes que le permettent d'autres genres littéraires.
@Tomoe Gozen
Merci pour "l'explication des plus vaseuses" ! :) (Bon, il est vrai qu'elle l'était... Ça m'apprendra à ne pas assez me relire.) Et je ne vous trouve absolument pas chiante comme la mort. J'ai réalisé ce matin qu'il y avait une erreur conséquente dans cette phrase. Il faut corriger (j'attends que les administrateurs apportent cette correction) et lire : "Mais il est improbable que la nature précise, véridique de l’au-delà" – pour autant qu'on en admette l'existence..." Ce que je voulais dire, c'est que, selon moi, l'auteur d'un récit fantastique ne se soucie pas (sauf cas particuliers peut-être) de savoir si l'au-delà existe vraiment ou s'il est peuplé de fantômes ou d'autres créatures quelconques. Une connaissance exacte, voire scientifique de l'au-delà ne l'intéresse pas, et par conséquent ne doit pas intéresser non plus le lecteur. Ce qui le préoccupe, ce sont les idées qu'il peut développer à travers le prisme de l'au-delà.
J'espère avoir répondu à votre question.
@Chardin
Sans doute, comme tant d'autres, allez-vous me trouver chiante comme la mort, mais seriez-vous assez aimable pour m'expliquer ce que signifie la phrase suivante : "Mais ce serait sans doute mal comprendre les véridiques de l’au-delà – pour autant qu’on en admette l’existence, intéresse fondamentalement un auteur (sauf peut-être s’il prétend lui-même en avoir eu un aperçu qu’il aurait ensuite le souci de partager), et ce n’est pas, conséquemment, à cela que le lecteur doit s’intéresser lui-même." Je vous avoue que, pour ma part, je sèche et ce, malgré votre explication des plus vaseuses, si j'ose dire... Mais c'est vrai que je suis conne.
Ce qui est formidable avec le fantastique, c'est qu'il est le miroir visible à tous nos questionnements les plus secrètes sur le monde et, par déclinaison, sur nous-même, élément fondateur du monde si l'on se base par rapport à certaines dogmes, bien évidemment.
C'est un univers puissamment riche en interprétations et où chacun peut y voir son propre univers divers et varié, mais surtout, peut-être, celui qu'il ne connait pas et qui est tapi en lui-même sans le soupçonner une seconde.
Mais la question qui me taraude est, est-ce que dans cet univers inextinguible qui se décroise et s'entrecroise, demeure une seule vérité ?
Les chemins aussi divers que variés mènent-ils à leur propre Rome, ou, finalement, il n'existe aucune ligne directrice à tout ce lacis à l'apparence onirique ?
Et au passage, est-il possible de savoir d'où est tirée l'image ? J'adore le montage. Merci.
C’est vrai que souvent un personnage magiques ou surnaturel qui apparaît dans notre quotidien est un excellent moyen d’ouvrir les yeux des lecteurs. Et par la parole du personnage de faire résonner une pensée, un thème qui est important pour l’auteur ou plutôt une cause qu’il veut défendre par la voie de son personnage. Après je dirais aussi qu’il faut veiller à ce que le personnage surnaturel est un arc narratif pour qu’il gagne en profondeur . Sinon on se retrouve soit avec un personnage qui est moralisateurs ou un pion qu’on transporte d’un point à autre qui sert juste à raconter sa thèse.
Oui c'est un éclairage qui permet de mieux comprendre l'étrangeté et la folie cachée de notre monde bien moins paisible qu'il n'y paraît !
Petite erreur: au lieu de "Mais ce serait sans doute mal comprendre les véridiques de l’au-delà", il faut lire : "Mais il est improbable que la nature précise, véridique de l’au-delà" – pour autant qu'on en admette l'existence...". A la fin, "l'imagination" (et pas "imagination", bien sûr).