Dans l’article précédent, nous avions souligné l’importance et la fonction de la créature surnaturelle dans le récit fantastique. Or, cette créature est souvent associée à un environnement particulier qui l’autorise à exister et à prospérer. Nous connaissons tous le motif de la maison, du manoir ou du château hantés qui, oserions-nous dire, hante la littérature depuis au moins le XVIIIe siècle. L’espace hanté, que l’auteur peut choisir pour poser le cadre du récit fantastique, est le plus souvent un espace douloureux, un espace tragique. Il garde en lui la marque d’une violence, d’un échec et, plus largement, de l’esprit agité qui l’habite. Si le manoir du Fantôme de Canterville, d’Oscar Wilde, fait figure d’exception par le caractère léger et comique de la nouvelle, les auteurs qui abordent la thématique de la maison hantée veillent d’ordinaire à ce que de ses murs suintent les peurs des personnages « vivants » auxquels le lecteur s’identifie le mieux, et les tourments des "morts". Le spectre, parce qu’il est invisible et inconnu, donc hors de contrôle des mortels, éveille leurs sentiments les plus négatifs.
C’est ce qu’on observe dans la littérature gothique des XVIIIe et XIXe siècles. Entre le fantôme qui parcourt de long en large les couloirs du Château d’Otrante et les esprits qui peuplent celui d’Udolphe dans le roman d’Ann Radcliffe, le château est, dans les romans gothiques, le lieu par excellence du mystère, du surnaturel et de l’impossible, ou plutôt de ce qui devrait être impossible. Ses murs, son lustre ne forment que son apparence, car en vérité il appartient surtout à l’invisible, à ces créatures qui, remuant les eaux tranquilles des vivants, font du château hanté un lieu maudit, c’est-à-dire un lieu qui n’appartient à rien de ce qui est terrestre et vivant. Voilà à quoi peut penser l’auteur : le bâtiment lui-même ne doit pas exister en soi, il doit être seulement le prolongement des esprits invisibles qui l’habitent, leur matérialisation presque.
Alors, bien sûr, il peut s’agir aussi d’autres espaces que ceux qui relèvent d’une construction humaine.
L’île, par exemple, peut être un environnement propice à un récit fantastique mettent en scène des fantômes ou d’autres créatures fantastiques. En tant qu’elle est un lieu isolé, séparé du continent, avec donc tout ce qu’elle peut abriter de mystérieux, de secret, elle est un motif littéraire qui peut accueillir des figures surnaturelles, comme on le voit dans La Tempête de Shakespeare, ou simplement qui n’existent pas, comme on en trouve dans L’Île du Docteur Moreau de Wells. Mais, en définitive, peu importe l’espace où surgit l’au-delà : si l’auteur veut qu’il joue un rôle déterminant dans l’élaboration de son récit, il semble pertinent qu’il soit évoqué comme un lieu que l’homme ne maîtrise pas, qu’il contienne sa part d’ombre (et d’ombres), qu’en somme il n’appartienne pas tout à fait à l’homme, au "vivant".
Il est intéressant également de mettre dans cet espace des éléments qui, par leur symbolique ou leurs propriétés, offrent à l’imagination de l’auteur et du lecteur la possibilité d’envisager un au-delà : un passage secret, un vieux grenier, une pièce condamnée depuis longtemps… sont assez commodes pour installer une atmosphère qui autorise l’irruption du fantastique. Ces éléments, d’ailleurs, ne doivent pas nécessairement appartenir en propre à l’espace lui-même, mais peuvent venir de l’extérieur : des phénomènes météorologiques inhabituels, comme on en trouve par exemple dans Dracula, peuvent très bien être également des portes ouvertes au fantastique.
Jonathan Chardin est l’auteur de plusieurs titres disponibles sur monbestseller, dont un dictionnaire thématique de la littérature mondiale
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Le décor oui bien sûr, mais on oublie trop souvent de le mentionner !