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Le 10 Jan 2025

Baptiste

Les rencontres fortuites sont parfois des rencontres forcées mais nécessaires. Une jolie nouvelle d'Antonia Delpopolo pour le concours de nouvelles monBestSeller

Assis par terre, dos contre le mur près d'une des portes de la gare de Nice, Baptiste regarde sans vraiment la voir l'interminable liste des trains qui varie sans cesse. Baptiste s'en fiche, les destinations défilent devant ses yeux comme les wagons passent à travers les paysages et les villes qu'ils traversent, sans s’arrêter, un grand bruit, puis plus rien. Comme si rien ne c'était passé. Juste un éclair de lumière et de bruit.

Il est assis par terre, il a passé la nuit caché dans un recoin du jardin Albert Ier, juste après les grilles du théâtre de Verdure où il s'est laissé enfermer. Il ne sait trop quoi faire. Quand il a quitté la maison du Mont Boron, il s'est juré de ne plus jamais y remettre les pieds. En début de semaine, il était arrivé là un peu à reculons mais avec tellement d'espoir et puis voilà. La talentueuse brodeuse, Agate Dalmasso, sa maîtresse de stage, ne l'a pas plus considéré que tous ces autres qu'il a connus jusque-là. Pas un mot sur ses projets, ses attentes, seulement l'ordre de ranger des boites de fils à broder et de perles. Un coup de poing en pleine face lui aurait fait moins mal. De ça il a l'habitude. Depuis il est muré dans cette sorte de colère têtue que seuls la tristesse et le désespoir peuvent engendrer. Car, a dix-huit ans, il ne sait pas encore qu'il faut avoir le cœur assez ouvert pour admettre qu'une forme de distance ne veut pas dire mépris. Qu'il faut du temps pour que l'on s'apprivoise, que l'on se comprenne, que l'on s'apprécie. Pour Baptiste tout n'est que rejet d'office, offense permanente, porte fermée avant même d'avoir pensé à sonner pour l'ouvrir. Pour Baptiste le temps de l'écoute et de la confiance ne sont pas encore venu.

C'est pourquoi, la veille, dans la très longue volée d'escaliers qui part de la place du Mont Boron jusqu'au boulevard Franck Pilatte, quelques deux cents mètres plus bas, descente qu'il a dévalée coudes au corps sans même reprendre sa respiration, il a décidé de repartir tout de suite à Paris. Sans rien dire à personne et surtout pas à elle qui doit d'ailleurs être bien contente de s'être débarrassée d'un sale gosse encombrant. Toujours enragé, il a traîné dans la ville sans manger, juste boire aux fontaines de la Coulée Verte, puis a fini par s 'écrouler sur un banc et s'est rendu compte tout à coup d'un détail qui lui avait échappé jusque-là. La légèreté de son sac à dos. Et là, la peur, le cœur à la gorge, le froid qui glace la sueur, la vie qui marque le pas. Ce n'est pas possible, ce n'est pas vrai ! Les mains tremblantes il ouvre le sac. C'est vrai. Il n'a pas la force de crier, de bouger, de faire quoi que ce soit, c'est vrai, c'est tout. Il ferme les yeux, se retient de pleurer, de hurler. C'est vrai, c'est tout.

Agate aussi l'a vu. Là, sur l’étagère où elle l'a rangé, le classeur de Baptiste, ses dessins si beaux, son trésor, cette part de lui-même, la plus inattendue, la plus importante. Elle n'ose pas le prendre, elle le regarde, elle espère : il reviendra ?

Antonia Delpopolo

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