
Il y a des légendes qui ne s’expliquent pas. Par exemple, quand on est petit, on croit que les adultes savent tout. Puis, on devient adulte, et on réalise qu’on est juste des enfants avec le sourire en moins. Heureusement, il reste le chocolat suisse fabriqué par les Maîtres chocolatiers.
Chez moi, c’était sacré le tiroir à chocolat. C’était un sanctuaire. Aucun membre de la famille n’y touchait sans vérifier que personne ne lorgnait dans la direction du délit. Parfois, il fallait marcher sur la pointe des chaussettes et éviter les marches qui grinçaient. Le moment venu, on plongeait enfin la main dans le paquet. Et si c’était celui des Maîtres chocolatiers, alors là, on se sentait comme un espion de haut niveau qui avait accompli une mission de haute voltige.
Ce chocolat avait le goût de l’interdit doux et du mercredi après-midi où les enfants regardaient « le club Dorothée » qui passait « Ken, le survivant de l’enfer » et tant d’autres mangas. Ces dessins animés, accompagnés d’une boîte aux chocolats, dont parfois, on s’essuyait discrètement les doigts sur le rebord du fauteuil, avaient un air des longues vacances d’été.
À l’intérieur du chalet de grand-mère, on était tous entassés sur le canapé familial, un chef-d’œuvre d’ergonomie inversée, avec des ressorts qui avaient décidé depuis longtemps de prendre leur retraite. Papa ronflait en regardant un épisode inédit d’une série policière, pendant que maman tentait de tricoter une écharpe, mais le fil était systématiquement volé par le chat. Moi, j’essayais de faire durer le dernier carré de chocolat de la tablette, tel un moine tibétain pratiquant l’ascèse cacaotée.
Ce morceau de chocolat, ce n’était pas n’importe lequel. C’était le dernier de la marque des Maîtres chocolatiers. Celui, dont la pub montrait un laboratoire avec un chef chocolatier vêtu de son habit blanc plus propre que « master propre ». Un chocolat si doux, si fondant, que même mon cœur d’enfant un peu grincheux, car on avait acheté dernièrement une sous-marque, se gorgeait de petits plaisirs attendrissants.
En ce moment même, le chocolat fondait sur ma langue et avec lui, toutes les contrariétés de la semaine, telle que la dernière dictée sur le thème de la tarte aux pommes et le ballon crevé par ma faute. Il y avait eu également la punition de papa, parce que j’avais traité mon frère de cornichon moisi.
Maintenant, tout ça disparaissait dans une avalanche de bonheur absolu.
- Un jour, j’ai demandé à mamie, pourquoi c’était du chocolat suisse et pas du chocolat du coin ?
- Elle m’a dévisagé, comme si j’avais suggéré de mettre du ketchup dans une fondue. Parce que les helvètes, mon petit, ils ont le secret. Ils élèvent leurs vaches au son des clochettes et au murmure des avalanches. Et leurs chocolatiers sont des elfes, qui portent des pulls de laine de mouton d’alpage. De plus, ils sont protégés par des Saint-Bernards, aux poils blancs striés de roux et aux regards d’ambres où brûlait une sagesse ancienne de montagnard. Les touristes les voyaient, massifs, silencieux, portant autour du cou leur petit tonnelet de bois que plus personne ne remplissait depuis des décennies. Un objet, devenu folklorique, selon les voyageurs.
Je n’ai jamais su si elle plaisantait. Probablement pas !
Maintenant, je suis un adulte, avec un agenda qui déborde et des responsabilités plein les bras. Dans mon charmant appartement dans l’agglomération fribourgeoise, il y a mes chaussettes dépareillées et mes assiettes sur le bord de l’évier, ça arrive même aux grandes personnes !
Dernièrement, par mégarde, j’ai écrasé le jouet de ma souris blanche, que je nourris avec des flocons d’avoines et du chocolat râpé. D’ailleurs, qui n’aime pas le cacao ? Personne !
Nicola Niclass

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
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si l'on pouvait commenter sans se faire troller, je pourrais laisser mes messages
Une nouvelle sur le thème de la gourmandise, et quoi de mieux que du chocolat ! Elle m'a rappelé ma participation au concours concernant une pub avec un poisson rouge, merci pour ce texte.
Bravo ! Votre addiction pour le chocolat me rappelle cette histoire :
- Monsieur, pourquoi accrochez-vous des tablettes de chocolat aux branches de cet arbre ?
- Pour faire fuir les éléphants.
- Mais il n’y a pas d’éléphants ici.
- Évidemment, puisqu’il y a des tablettes de chocolat !
Une histoire gourmande !!