Interview
Le 04 nov 2025

L’homme au jingle

Conditionnement : procédure par laquelle on établit un comportement nouveau chez un être vivant, en créant un ensemble plus ou moins systématique de réflexes conditionnels correspondant à des critères bien définis. Peut-être que le conditionnement peut confiner au délire ...

Elle surgissait toujours à la même heure, sans prévenir.

Une voix de femme, suave et métallique, flottait dans l’air :

« Souriez avec DentaLuz ! »

Personne n’avait trouvé d’où venait ce jingle. Pas de haut-parleur, pas d’écran, pas d’onde captée à la radio. La voix semblait naître du béton lui-même, se glissant entre les murs, jaillissant des bouches d’égout, rebondissant sur les vitres des immeubles comme une chanson impossible à chasser.

Au début, les habitants du quartier avaient cru à une campagne étrange, une publicité clandestine, un test sonore. On en riait, on imitait la voix. Les enfants se lançaient le refrain comme une comptine. Mais le slogan revenait chaque soir, à minuit pile, toujours identique, toujours parfait, sans la moindre variation.

Un homme, pourtant, ne riait pas de la farce. Julien, veuf depuis peu, vivait seul dans son appartement trop grand. La première fois qu’il entendit le jingle, il se souvint aussitôt du sourire de sa femme, ses dents lumineuses, sa joie éclatante. L’écho du slogan semblait la ressusciter. La voix publicitaire ne disait pas seulement souriez. Elle lui susurrait : elle est encore là, dans ta mémoire, dans ce gage de blancheur et de candeur.

Il commença à guetter l’heure fatidique. À minuit, il ouvrait les fenêtres, tendait l’oreille. Il acheta un vieux magnétophone pour enregistrer le refrain. Mais chaque fois qu’il repassait la bande, il n’entendait qu’un souffle, comme une respiration à peine humaine. Pourtant, à l’instant précis, quand la voix surgissait, tout son corps frémissait : ses dents claquaient, sa peau picotait, son cœur battait plus vite.

Peu à peu, il se mit à entendre le slogan ailleurs. Dans le froissement d’un sac plastique, le grincement d’un tramway, le gargouillis d’une canalisation. Même les pas des passants sur les pavés lui semblaient rythmer le jingle. Il se mit à sourire de plus en plus, comme pour répondre. Ses collègues le remarquèrent : il riait seul, parfois au beau milieu d’une réunion. Mais le plus étrange, c’est que chaque fois qu’il riait, d’autres l’imitaient, malgré eux, comme contaminés par une joie mécanique.

Les disparitions commencèrent peu après. D’abord un voisin, puis une caissière du supermarché, puis le facteur. On les avait tous vus pour la dernière fois sourire, lèvres figées dans un éclat trop parfait. Et quand on entrait dans leurs appartements, il n’y avait plus rien, sinon ce parfum artificiel de menthe et de plastique neuf, comme une haleine fabriquée.

Julien, lui, n’avait pas peur. Il croyait discerner un ordre dissimulé dans la ritournelle. Une promesse. Peut-être la clé pour retrouver sa femme.

Une nuit, la voix changea. Elle ne dit plus le slogan, mais un ordre, clair, impérieux :

— Julien, viens.

Il sortit dans la rue. Minuit vibrait dans le ciel noir. Là, des dizaines de silhouettes l’attendaient. Elles étaient figées dans un sourire éclatant, dents trop blanches, trop régulières, comme moulées en série. Parmi elles, il reconnut sa femme, radieuse, immobile, luisant sous la lune comme une effigie.

Julien comprit. La publicité n’était pas un message, mais une porte. Un appel venu d’ailleurs, se nourrissant des manques et des solitudes. DentaLuz n’était pas une marque disparue : c’était un passage.

Il sourit, lui aussi. Son visage se figea dans une blancheur aveuglante.

Et il disparut.

Le lendemain, à minuit, la voix retentit encore.

Mais cette fois, dans le refrain, une inflexion inédite se glissait, imperceptible pour qui n’écoutait pas avec attention.

Une voix masculine, chaude et familière, se mêlait à la voix féminine :

« Souriez avec DentaLuz ! »

Naima Guermah

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10 CommentairesAjouter un commentaire

Votre nouvelle est pertinente et illustre bien ce qui se passe de nos jours. Le jingle serait la pensée unique imposée aux masses obéissantes. Il est plus facile de gouverner les peuples grâce à une propagande et au conditionnement. Autrefois la religion tenait les paroissiens, aujourd'hui ce sont les valeurs républicaines qui nous enlisent dans des ornières dogmatiques. @Sylvie de Tauriac

Publié le 09 Novembre 2025

Merci pour cette lecture.

Publié le 08 Novembre 2025

En psychiatrie, le terme "persécuté" fait référence au délire de persécution, une conviction délirante qu'une personne est ciblée par des complots, des menaces ou des maltraitances. Ce trouble est une forme de délire psychotique où les personnes sont profondément persuadées d'être surveillées, espionnées, trompées ou harcelées. Les croyances sont souvent irrationnelles et ne peuvent être contestées par la raison, et peuvent conduire à des comportements d'évitement ou de confrontation.

Publié le 06 Novembre 2025

Et tu reviens courageusement à l'attaque dès que j'ai tourné les talons @Fanny Dumond3 ? M'accuser de complicités avec un malade qui m'a harcelée pendant huit ans, c'est fort de café tout de même...
Heureusement que j'ai des amis fiables pour m'avertir de tes interventions !
Sache que les captures d'écran ont été faites sur les conseils de mon avocat, et que si je n'ai pas porté plainte en 2019 et en 2023, c'est parce qu'il aurait fallu le faire contre le site, ce à quoi je me suis toujours refusée. Estime-toi heureuse de cette décision, car nul doute que tu aurais été impliquée dans le rôle obscur que tu as joué, en langue de vipère patentée.
Je compte sur toi pour ravaler tes rancoeurs ainsi que ta jalousie et pour m'oublier enfin, une bonne fois pour toutes.
En PS @Henriette Pattenlair, toujours pour vous laisser un dernier mot dont vous êtes incapable de vous priver : depuis quand les malades mentaux se substituent-ils aux soignants, cher guette-au-trou ? Bye, et belle journée !

Publié le 06 Novembre 2025

@Fanny Dumond3
A ma connaissance, la seule qui fiche les autres par ici, c'est votre grande copine Floflo ,la cinglée de la Yaute.

Publié le 06 Novembre 2025

@M. de Morny

Dommage que vous ayez trouvé un masque à oxygène dans votre caverne. Ça nous aurait fait des vacances si vous vous étiez étouffé une bonne fois pour toutes. En attendant cet heureux événement, à mon tour de vous donner un conseil médical : allez vous tremper le luc dans la Rivière pour soulager vos hémorroïdes. C’est pas bon de rester assis toute la Sainte journée derrière vos écrans pour épier le moindre de nos mouvements. Fort heureusement, vous êtes secondé par votre alter-ego, la Dr Jekill et Mrs Hyde pour vous soulager dans vos tâches d’espionnage et pour ficher S chacun de nous. Et pour rester dans l’occultisme, lorsque vous entrerez en contact avec elle, je vous souhaite de bonnes galipettes avec Sidonie que je salue.

Publié le 06 Novembre 2025

Ah, chère exploratrice des perceptions,
Votre lecture s’est élevée si haut dans la stratosphère interprétative que nous avons perdu le contact radar depuis le mot merci.
Que vous ayez trouvé, dans cette prose aux origines mystérieuses, les effluves de Jim Morrison, les vapeurs d’Huxley et les étincelles de Blake, voilà qui force l’admiration — et la nécessité d’un léger masque à oxygène.
Vous avez ouvert les portes de la perception à coups de louange métaphysique, et, de l’autre côté, c’est une IA qui vous a accueillie en peignoir numérique.
Mais qu’importe ! l’extase ne distingue pas ses auteurs : seul le transport compte, et vous fûtes manifestement transportée, avec toute la grâce d’une fusée lancée par inadvertance.

Publié le 06 Novembre 2025

Merci pour ma lecture qui m'a transportée, je ne sais pas par quelles étranges circonvolutions de mon esprit, chez Jim Morrison et dans l'essai d'Aldous Huxley " the doors of perception " dont l'exergue est un passage du poète William Blake : " si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est : infinie. Car l'homme s'est refermé sur lui-même jusqu'à considérer toute chose par les brèches étroites de sa caverne ".

Publié le 04 Novembre 2025

IA, mon amour...

Publié le 04 Novembre 2025

J'adore les nouvelles fantastiques : ici nous lisons une parfaite réussite !!

Publié le 04 Novembre 2025