Actualité
Le 21 Jan 2016

E. Sutton, ML. Cahier : les passionnarias du livre numérique.

Elizabeth Sutton, cofondatrice d’IDboox, journaliste et conseil en édition numérique et son acolyte et amie Marie Laure Cahier, fondatrice de Cahier&Co, consultante et coach d’auteurs ont posé leur stylo le temps d’un livre. En co-écrivant ensemble cet ouvrage hybride : "Publier son livre à l’ère numérique", elles diagnostiquent le marché du numérique. Elles ne sont pas avares en conseils, et tous les auteurs auto-édités devront y trouver là une pépinière d’idées, mais aussi les erreurs grossières à ne pas faire. Quelques questions larges puis plus pointues…
deux-specialistes-de-edition-numerique-livrent-leurs-conseilsDu papier au numérique au papier au numérique au papier au numérique

mBS : Quel est l’objectif de ce livre :"Publier son livre à l'ère du numérique" ?

Publier son livre à l’ère numérique poursuit un double objectif. D’une part, fournir une boussole aux auteurs, quels qu’ils soient, face à ce nouveau monde de la publication en voie de reconfiguration par le numérique. En effet, il naît à chaque instant de nouveaux prestataires qui draguent les auteurs, des plateformes de services en tous genres dont certaines ne sont qu’une version 2.0 du bon vieux « compte d’auteur », mais il existe aussi de vraies possibilités pour les primo-auteurs et les autres de rendre publics leurs textes et d’atteindre un lectorat. Mais ce nouveau monde doit être apprivoisé par les auteurs qui sont aussi les acteurs les plus isolés du système « édition »… sans craintes inutiles mais aussi sans excessives illusions. Nous voulions donc proposer aux auteurs un panorama nuancé des possibilités ouvertes par le numérique, afin qu’ils puissent devenir des « auteurs-entrepreneurs » capables de construire, étape après étape, leur propre stratégie de publication.

D’autre part, notre livre a aussi une ambition plus militante : montrer aux milieux de l’édition « tradi »  qui témoignent, pour la plupart, au mieux d’une méconnaissance de l’autoédition et au pire d’une attitude encore assez méprisante, que les auteurs indépendants ont de plus en plus la volonté de se professionnaliser à la fois en termes de qualité éditoriale et de maîtrise de nouvelles techniques de promotion. Il devrait donc y avoir de plus en plus de passerelles entre autoédition et édition traditionnelle. Les auteurs hybrides incarneront ce mouvement. C’est ce que nous avons essayé de montrer à travers notre propre modèle de publication hybride.

mBS : Vous parlez de coexistence pacifique entre édition numérique et édition papier : chacun a sa place. Comment, pourquoi et par quelle logique ?

Aujourd’hui, c’est plutôt chacun à sa place. Alors que cela devrait être : chacun a sa place, et demain, chacun a plusieurs places.

L’autoédition n’est pas faite que pour les auteurs débutants qui n’ont pas réussi/pas cherché à être édités par une maison d’édition. Elle est aussi ouverte à des auteurs ayant déjà publié classiquement mais qui ont un rythme de production trop rapide pour les éditeurs ou qui souhaitent publier dans des genres très différents (nous les appelons, les serial auteurs), à ceux qui se sont fait refuser leur troisième ou quatrième manuscrit parce qu’ils n’ont remporté qu’un « petit » succès, à ceux qui publient dans des genres délaissés comme les nouvelles, la poésie ou le théâtre, aux auteurs dont les ouvrages sont épuisés, non réédités ou laissés en jachère, à ceux qui pensent que les e-books d’éditeurs sont vraiment trop chers, à ceux qui font des livres si spécialisés qu’ils maîtrisent souvent mieux qu’un éditeur leur fichier clients, à ceux qui expérimentent des livres « cross média » ou « hyper média », etc.

Dans l’autre sens, les maisons d’édition peuvent « récupérer » des auteurs de l’autoédition et se servir de celle-ci comme d’un banc d’essai de futurs « édités » disposant déjà d’une base de lecteurs. Certaines maisons ont déjà commencé à le faire. Comme le dit la scénariste de BD et écrivain Audrey Alwett dans notre livre (label Bad Wolf en autoédition), de même que le livre de poche donne une deuxième vie au livre, une sortie numérique pourrait représenter une première actualité, un tremplin pour la sortie de l’édition papier. Encore faut-il pour cela que les maisons d’édition aient une attitude de veille et de défricheur, et qu’elles ne se contentent pas de « reflécher » vers elles le top 10 des indés d’Amazon.

mBS : Aujourd’hui, le marché est en mouvement. Le numérique peine à décoller, l’édition traditionnelle stagne voire régresse. Avez-vous une idée de la place qu’ils occuperont dans 10 ans ?

Franchement, nous ne nous risquerons pas à ce genre de pronostic. Vous connaissez la phrase de Mark Twain : « L’art de la prophétie est extrêmement difficile, surtout pour ce qui concerne l’avenir ». En revanche, ce que nous pouvons dire, c’est que l’évolution de l’autoédition (et donc aussi de l’édition) va dépendre de plusieurs hypothèses : y aura-t-il de plus en plus d’auteurs tradi qui se saisiront des possibilités ouvertes par l’autoédition numérique (par exemple dans les cas de figure énumérés ci-dessus) ? Après une expérience en autoédition réussie, certains auteurs exigeront-ils dans la négociation avec leur (futur) éditeur de conserver leurs droits numériques ? Comment réagiront les maisons d’édition à ces demandes ? Les éditeurs vont-ils finir par baisser les prix de leurs ebooks ? La répartition de la valeur ajoutée entre auteurs et éditeurs va-t-elle se modifier ? L’autoédition produira-t-elle un succès dont l’indéniable qualité littéraire ne pourra être contestée ? Pour l’instant, il ne s’agit que d’hypothèses (dont certaines s’appuient quand même sur des exemples), mais nous pensons que ces questions vont se poser très concrètement dans les années qui viennent.

mBS : Aujourd’hui les grands succès de l’autoédition finissent généralement par être édités. Est-ce un circuit obligé ?

Par construction, les succès de l’autoédition dont nous entendons le plus parler sont ceux  récupérés par les maisons d’édition. Celles-ci ont les moyens de les faire connaître aux grands médias, et elles utilisent cet argument marketing qui va finir par s’épuiser. D’ailleurs, cette « récup » correspond également aux intérêts des géants du numérique qui ont besoin de construire des modèles incitatifs pour attirer les autoédités sur leur plateforme : « Venez chez moi, gagnez des lecteurs et vous pourrez être édité en papier chez un éditeur ». En réalité, il y a des succès de l’autoédition qui passent inaperçus des grands médias. C’est le cas par exemple de Jacques Vandroux qui plaisante sur le fait qu’il n’a pas été approché par des éditeurs malgré des ventes remarquables (mais qui est évidemment très soutenu par Amazon). Donc, la réponse est non. Ce n’est pas du tout un passage obligé. Maintenant, si les auteurs ont besoin de la reconnaissance des maisons d’édition pour (se sentir) exister… c’est un autre sujet.

mBS : Vous donnez beaucoup de conseils aux auteurs autoédités sur les techniques de promotion, et le comportement à tenir pour réussir. S’il devait n’y en avoir qu’un, quel serait-il ?

Accepter de se mêler à la foule numérique et apprivoiser les réseaux sociaux. Point. Et c’est déjà assez compliqué.

mBS : C’est un livre résolument tourné vers les auteurs, vous ne parlez pas des lecteurs qui subissent parfois l’amateurisme de beaucoup d’auteurs indépendants. Y avez-vous pensé ?

Bien sûr. C’est pourquoi, nous insistons sur le fait que les auteurs autoédités doivent se professionnaliser (relectures, corrections… des livres impeccables sur la forme) par respect pour les lecteurs et en raison de la concurrence entre e-books autoédités qui est féroce. Mais ce qui est formidable, c’est la curiosité des lecteurs. Plus ils lisent, plus ils ont envie de lire, et de dire ce qu’ils pensent de leurs lectures. Blogueurs, YouTubers, participants à des plateformes de lecture en ligne ou à des plateformes de partage entre auteurs, ils s’expriment nombreux et sans tabous. Même si le code des lecteurs à l’ère numérique, c’est plutôt de dire ce qu’ils aiment que de démolir ce qu’ils n’aiment pas. Ce qui est plutôt sympa. En général, ceux qui lisent beaucoup en numérique lisent aussi beaucoup en papier. C’est le fameux vivier des grands lecteurs (lectrices surtout) dont on claironne partout qu’ils sont en voie de disparition. Pas si sûr !

mBS : Ecriture et marketing sont indispensables pour réussir comme auteur indépendant. Cela ne risque-t-il pas de nuire à terme à la qualité de la création littéraire ?

C’est un point qui est souvent évoqué par les auteurs autoédités eux-mêmes : passer plus de temps à faire son buzz et sa promo qu’à écrire. C’est effectivement un risque. Il faut apprendre à séquencer les temps et à lâcher son livre précédent pour passer au suivant. Ou alors en faire un business familial avec un conjoint qui vous aide sur tous les aspects pratiques. On peut aussi recourir aux services de sociétés spécialisées qui sont véritablement dédiées aux auteurs entrepreneurs et prendront en charge une partie des actions pour donner au livre un début de notoriété. Nous citons des exemples d’auteurs qui procèdent ainsi. Mais nous ne pensons pas qu’il y ait tant de différences avec des auteurs édités traditionnellement : eux aussi passent beaucoup de temps à « mouiller la chemise » dans des salons, chez les libraires et… sur les réseaux (Voir La Politesse de François Bégaudeau, Verticales, 2015 ; Splendeurs et misères de l’aspirant écrivain de Jean-Baptiste Gendarme, Flammarion, 2014). Et ils sont souvent moins aidés qu’on ne l’imagine par leur éditeur.

mBS : Un mot pour conclure…

We have a dream. Le jour où les auteurs pourront naviguer d’un mode de publication à l’autre sans se sentir ni particulièrement valorisé, ni particulièrement stigmatisé.

(Publier un livre à l'ère numérique édité chez Eyrolles pour la version imprimée et en autoédition gérée par les auteurs pour la version numérique).

Propos recueillis par Christophe Lucius

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Ça ne m'étonne pas, j'arrive derrière lamish que je connais bien ( Nous essayons un livre à deux mains, par mails ). On connaît ma position: Dans cinquante à cent ans, il n'y aura plus de maisons d'éditions papier. ( On peut le déplorer ). De même qu'il n'y a plus de production de papyrus, ni de calligraphies monacales. Les maisons d'éditions actuelles ne proposent pas des oeuvres, mais des produits destinés à gagner de l'argent. La part du  tam-tam est devenue si importante qu'on ne voit plus le travail de l'auteur. Les promotions par la multiplication des Prix littéraires amènent Le Vigan à être élue par les bambins dont tout le monde regrette qu'ils ne sachent plus ni lire, ni écrire à la sortie du Bac !... Ecologiquement, il n'y aura plus de papier à livre ( on peut en rire ou en pleurer ). Il faut des oeuvres pour lecteurs, qui choisiront, indépendemment du très respectable M. Pivot., parce qu'ils auront accès sans payer ( ou pour de modiques sommes). Payer un navet 20€ est un scandale, même s'il est promu par  Le Point. Bien sûr, il faut que les auteurs indépendants se responsabilisent pour offrir de la qualité. Il faudra aussi qu'ils admettent qu'on ne devient pas riche parce que l'on a inventé ou rêvé. C'est ce qui les différencie des marchands de pétrole, ou de pâtes dentifrice...Comme dans toute activité innovante, des tricheurs vont se glisser, puis les bonnes volontés, comme ces deux dames et d'autres, auront raison.La preuve: elles se demandent comment faire.

 

 

 

Publié le 21 Janvier 2016