Au début quand on n’a pas « fait » de belles études, on passe le reste de sa vie à dévorer les livres pour rattraper son soi-disant retard, puis on prend l’habitude de ces études solitaires, on devient fort curieux de tout et on se décide à sauter le pas en se disant : si je noircissais du papier ! Oui, mais quoi ? Les rêves les plus absurdes vous traversent la tête. Il vous arrive de vous prendre pour romancier, puis nouvelliste, conteur, épistolier, historien, etc. pour vous apercevoir que vous ne ressemblez à rien du tout et l’apprentissage de l’écriture reste un long voyage où vous mesurez votre inaptitude à aligner une belle phrase. L’art de tenir la plume s’apprend tous les jours. Après avoir redécouvert les « joies » de l’orthographe et de la grammaire, vous avez l’impression d’être parfait pour noircir du papier. Que nenni, disait-on au Moyen Âge, vous n’y êtes pas du tout.
« La littérature n’est-elle pas la vie pour ceux qui la lisent et la mort pour celui qui l’écrit », j’ai lu ceci, je ne sais où, mais cette citation m’avait fortement impressionné. Est-ce le bon cap à suivre ?
À force, on pense « qu’il est inutile d’attendre que le bateau soit prêt pour appareiller; c’est le meilleur moyen pour ne pas partir. » Alors, je suis sorti des passes sinueuses de l’incertitude pour le grand large où le sillage se compose à l’encre salée.
J’ai essayé le roman : manque de souffle ! La nouvelle : j’ai fréquenté un atelier d’écriture, mais je n’y ai pas trouvé ma vocation ! Le conte, j’aime les lire, mais les écrire devient autre chose ! «Faire» du journalisme : dans ma jeunesse je me souviens de mes rêves de marin ou de journaliste, marin je connais, mais pas journaliste !
Je me suis rappelé qu’un de mes écrivains-professeurs conseillait :
J’aime les textes courts, abordant n’importe quel sujet. Même aujourd’hui je reste un lecteur des Causeries du Lundi de Sainte-Beuve, du Journal des frères Goncourt, sans oublier les causeries diverses et particulièrement sur le monde maritime. En France on aime causer comme le signalait Alexandre Dumas : « Dans tous les pays du monde, on parle, on pérore, on discute; on ne cause qu’en France. »
Un jour, on m’a dit : « Vous êtes écrivain ? » Oui et non ! Je rédige seulement des causeries. Alors vous êtes causeur ? Je n’avais pas pensé que je devais me placer dans une catégorie qui me définit dans le grand monde des lettres. Puisque je rédige des causeries dont les sujets relèvent essentiellement du peuple de la mer et depuis la création de la Maison des écrivains de la mer, je me devais de trouver un mot qui me qualifie pour permettre à autrui de me classer. Souvent on entend nos compatriotes demander : il fait quoi ? En France on aime bien mettre une étiquette sur chacun.
Cette définition, issue du Littré était suivi d’une citation de Voltaire qui ne me déplaisait nullement : « C’est esprit philosophique qui semble constituer le caractère des gens de lettres ; et, quand il se joint au bon goût, il forme un littérateur accompli ». Que cela me contentait, mais ne jouons pas au Bourgeois Gentilhomme de notre Molière, plus modeste j’avancerai vers, je le souhaite, la recherche de beaux textes à l’eau salée et des anecdotes littéraires. Une ombre au tableau idyllique suit la citation, cette remarque du savant Claude Bernard au sujet des scientifiques qui écrivent : « Un littérateur est un homme qui parle agréablement pour ne rien dire. Un savant qui écrit bien ne sera jamais un littérateur, parce qu’il n’écrit pas pour écrire, mais pour dire quelque chose ».
Faisons fi de la citation du grand scientifique et assumons le terme de littérateur !
Vous allez me signaler que l’on n’a pas beaucoup lu vos commentaires au sujet de tel ou tel livre de notre littérature maritime. Vrai ! Pour me rattraper, j’aimerais commencer par l’Odyssée de notre cher Homère.
J’ai relu ses ouvrages, détestés lors de mes «études», avec beaucoup de plaisir. Les chants homériques ont traversé vingt-huit ou vingt-neuf siècles, un chiffre ou l’autre, aucune importance. Le temps figure aussi dans les attributs d’un chef d’œuvre.
Je laisserai de côté l’Iliade et sa flotte de cent navires. L’Iliade, représente la guerre, une des passions des Grecs à la fois le lieu de courage, de gloire et aussi de l’attrait du butin. L’Odyssée c’est l’omniprésence de la grande bleue, rare dans le monde où elle se marie et se mêle ainsi avec la terre. « Elle s’insinue, se creuse des lits en nombre infini, avance des bras, découpe des îlots, des îles, des presqu’îles, forme des isthmes, des caps. Elle va et revient, comme soucieuse d’aménager des refuges, des abris, de sorte que la ligne des côtes de l’Égée a, en extension, plus de quatre fois la longueur qu’elle aurait si elle formait une simple courbe ».
La confrontation de la mer avec Ulysse présente les aspects d’une lutte grandiose que l’on pourrait lier aux actes successifs d’une tragédie. Elle devient un être vivant, dont les accents, les gestes, la furie ne ressemblent pas un élément inanimé, mais à une force agissante et gigantesque que le héros devra combattre : « Amassant les nuages et saisissant le trident entre les mains. Poséidon bouleversa l’Océan. Les vents soufflèrent déchaînés, des vapeurs enveloppèrent soudain la terre et les eaux, tandis que, du ciel, les lourdes ténèbres descendaient. »
Et le pauvre et infime navigateur lutte au milieu de cet infini : « Comme en automne, Borée disperse à travers les plaines les duvets arrachés aux chardons, la tourmente poussait Ulysse sur les flots. Tantôt, c’était le vent du Midi qui le lançait, tel un jouet, au vent du Nord, tantôt c’était le vent de l’Ouest qui le rejetait plus loin. »
Après les assauts de l’onde, le poète nous décrit le premier émoi, le premier frisson du sentiment dans le cœur de la vierge : « À l’écart, sur la rive, il était assis, étincelant de beauté et de grâce. La jeune fille, qui le contemplait dit à ses suivantes aux belles chevelures : «Écoutez-moi, car j’ai des choses à vous apprendre, gracieuses servantes. C’est par la volonté des Olympiens que cet étranger a abordé chez les divins Phéaciens. Il y a un instant à peine, il me paraissait laid. Maintenant, je le vois semblable à ceux qui habitent les vastités célestes. Que les Dieux veuillent qu’il consente à devenir mon époux et à se fixer parmi nous ! »
Il donne à ses héros une existence patriarcale, toute bucolique. Pensez, à Ulysse qui prépare lui-même son lit nuptial en le décorant d’or, d’argent et de pourpre ? Même Nausicaa, fille d’un roi puissant, lave le linge de la maison, comme une servante, une vie simple parée d’une grandeur, d’une beauté qui efface sans cesse les limites qui séparent la nature humaine et la nature divine. Les humains et les Dieux vivent ensemble. J’ai lu quelque part qu’Homère se garde bien de faire exécuter à ses héros des prouesses absurdes que les poètes naïfs des épopées scandinaves (les fameuses sagas) et Franques attribuent à leurs paladins. Hector ne fait pas crouler les rochers comme Roland, etc. La Grèce constitue bien le berceau de la littérature occidentale. Tout est dit et écrit dans les poèmes homériques et quel style !
Mais, Ulysse regagnera-t-il son Ithaque et goûtera-t-il, auprès de Pénélope, les douceurs du foyer ?
Je vous laisse la relecture de ces deux poèmes pour vous soumettre une question : Homère a-t-il imaginé cette œuvre ; a-t-il existé ? J’ai toujours lu et entendu que nul ne le sait.
L’auteur fut-il un homme ou une femme, pour votre grand plaisir relisez les vingt-quatre chants ! Le littérateur n’est-il pas un simple vulgarisateur ?
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
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