J’ai commencé à écrire à 24 ans, à l’âge où d’autres, moins chanceux, sont diagnostiqués schizophrènes. Ce rapprochement n’est pas fortuit, car mes premières expériences d’écriture avaient à voir avec la folie. Je restais plusieurs jours d’affilée, enfermé, sans presque manger ni dormir, à remplir au stylo bille et d’une écriture serrée, des versos de listings usagés. Comme en transe à force de fatigue, je me laissais glisser dans un état nervalien qui, malheureusement, ne donnait pas des résultats aussi probants que le Ténébreux. Alors, avant de traverser l’Achéron dont je ne serais pas sorti vainqueur, j’ai complétement arrêté d’écrire, comme on arrête de fumer. Dix ans et deux enfants plus tard, j’ai repris les travaux avec plus de sérénité et de vécu.
Aujourd’hui, si j’écris tous les jours c’est pour ne pas perdre le fil de mes romans et de mes personnages. C’est un piège dans lequel je me suis empêtré tout seul. Si je les lâche quelques jours, leur image se trouble, ils fondent comme Magnum au soleil, ils coulent sur mes doigts.
Je pourrais me dire laisse-les disparaître, ils n’intéressent pas grand monde, ils ne rapportent rien d’autres que des réponses négatives d’éditeurs et te bouffent la moitié de ton sommeil. Et pourtant ça ne me traverse pas l’esprit. J’ai l’impression que si je les laisse partir, ils emporteront une partie de moi avec eux, qui se dissoudra dans le courant.
Parce que l’écriture est aussi, dans mon cas, un travail de mémoire. Un peu à la manière de Modiano, mais sans la précision de l’enquêteur. J’accepte de me laisser leurrer par mes souvenirs à tel point qu’il m’arrive de confondre ce que j’ai réellement vécu avec ce que j’ai écrit. Sans compter que ce ne sont pas les faits qui m’intéressent en priorité, mais la trace des sentiments et des impressions qu’ils ont laissés.
Finalement, mes romans n’ont rien d’autobiographiques et pourtant ils me sont indissociables et indispensables. Ils me gardent entier.
Philippe Mangion
10/9/17
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci chère @Maryse Wolfang, je vous sais lectrice exigeante et déjà votre reconnaissance, avec celle de quelques autres, m'oblige, avant d'en envisager de plus aléatoires...
Bonsoir @Yannick A. R. FRADIN . Pour ma part, désormais j'essaie de faire assez propre dès le premier jet. Pour mon deuxième roman La Résolution , j'avais été paresseux en privilégiant d'avancer et en remettant la qualité à plus tard. Le relecture n'en finissait plus, c'était pénible et donc peu efficace, l'équivalent de muscles refroidis et douloureux. Désormais, la relecture, c'est environ le tiers de l'écriture, sans cette impression d'avoir décroché. Bonne soirée, Philippe.
Bonjour @PhilippeMangion et merci pour cette intervention. Un long travail de relecture et de réécriture, je pense que la plupart des auteurs qui veulent être lus passent par là. De mon côté, ça représente bien plus de travail que la recherche / documentation et écriture du premier jet réunis.
Bonsoir @Ivan Zimmermann . Merci pour ce commentaire. Oui, bien sûr, la cohérence demande, pour ma part, un long travail de relecture et réécriture. C'est sans doute là, après la première mouture, que la qualité se joue principalement, au moment où l'on a hâte d'en finir et où il est facile de se déconcentrer.
Amitiés,
Philippe