J’ai commencé à écrire vers vingt ans. Mon genre de prédilection : la nouvelle. Idéal pour l’écrivain du dimanche : concis et vite emballé. Influencé à l’époque par Kafka, Poe, Maupassant, avec des pointes de gidisme, je campais des personnages désemparés par l’inquiétante absurdité du monde. Attiré irrésistiblement par le pastiche, par la parodie, je commis quelques romans cocasses mais indigestes. Les mémoires grandiloquents d’un haut fonctionnaire, ancien combattant de 14-18. De plates amourettes étudiantes, ponctuées d’insipides dialogues rohmériens. Une cosmogonie wagnérienne transposée à l’hubris d’une entreprise pharmaceutique sans scrupules. Les personnages y portaient d’étranges noms imagés : Crapaudin, Pélardon, Frelon…
Mes ambitions littéraires démesurées n’avaient d’égale que ma timidité maladive. Mes productions n’ont que fort peu circulé entre les mains des éditeurs. Une fois, deux fois, tout au plus, je pris des risques. Une nouvelle soumise à une modeste revue, rejetée parce que banale. Une pièce envoyée à un metteur-en-scène-apparatchik d’un grand théâtre de la banlieue nord, retournée sans autre forme de procès.
Vieillir comporte au moins le bénéfice du détachement. Avec le temps, j’ai appris à sourire de tout ce fatras, de tout ce cirque, de tout ce pathos autour de la littérature et des « grands écrivains ». Un business comme un autre, en fait. Ecrire est pour moi un plaisir, un jeu. On s’amuse avec les mots, on se coule dans de multiples identités, on explore des idées qui ne sont pas les siennes, on ose ce que seule la fiction permet.
Fort de ma nouvelle indifférence, j’ai repris la plume ; parce que c’est mon bon plaisir, celui de coucher sur le papier des mondes nouveaux, des êtres bigarrés, fussent-ils boiteux, vaseux, abscons, voire sans intérêt pour le lecteur. Avec mon goût pour les règles et les exercices de style, je me suis imposé d’écrire un polar théologique sur une chanteuse de variétés. Les éditeurs semblent sceptiques quant au marché potentiel pour un tel ovni… à moins que ça ne soit mauvais, tout simplement… ce n’est pourtant pas ça qui les arrête… Il finira sur Internet, un jour.
Que dire de ce Bourgeois Bohème ? Que notre société a ses femmes savantes, ses Diafoirus et ses précieuses ridicules. Et surtout ses Tartuffes, à tous les étages. Bien qu’on n’ait jamais fait autant de théâtre, peu s’aventurent à les égratigner. Tiendraient-ils les cordons de la bourse ?
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Je ne pense pas que la nouvelle soit un genre facile. La nouvelle a le mérite d'être courte mais elle implique d'être de capter l'attention du lecteur, de la garder le temps qu'il faut, jusqu'à la chute qui doit être surprenante, voire inattendue. Je suis journaliste et j'y retrouve les conditions d'un bon article. Ou d'une bonne histoire drôle.
Sur la timidité, je pense qu'elle peut être "tétanisante" même quand on est seul devant une page blanche. Pour ma part, j'imagine toujours que ce que je m'apprête à écrire, même une fiction, va être lu (normal !) et du coup je peux me freiner, me censurer, me dire qu'on va me juger, que ce que j'écris a déjà été dit, en mieux...
Si l'acte d'écrire implique, je pense, de se mettre à la place du lecteur (car il faut susciter son intérêt), il faut aussi dépasser bien des peurs et y aller quand même. Se dire : le livre que j'ai envie de lire, c'est celui que je vais écrire.
L'acte d'écrire implique d'avoir éliminé le rêve de vivre de son écriture (c'est très rare, beaucoup d'écrivains ont eu un métier à côté) mais aussi d'oser dire qu'on n'aime pas tel ou tel écrivain, célèbre, qui passe à la télé, son style, ses histoires, ses concessions à l'air du temps, sa banalité... Il y a beaucoup de pédantisme, de suffisance, de modes, dans le monde des écrivains, comme dans celui des peintres.
Je pense que l'acte d'écrire appartient à tout le monde et que chacun peut s'y essayer pour le plaisir de chercher les mots justes et pourquoi pas de rencontrer un public, même restreint. Même une bouteille lancée à la mer peut un jour être découverte.
@Paul Charrier, vous avez raison : "... en écrivant, on ose ce que seule la fiction permet." Mes ambitions littéraires démesurées n’avaient d’égale que ma timidité maladive, dites-vous. C'est déjà bien (ou beaucoup) de pouvoir l'exprimer et ainsi de se guérir. D'autres tentent le théâtre pour vaincre leur timidité. Pourquoi pas l'écriture ? Peu importe le succès qui se fait attendre... et qui ne viendra peut-être jamais.
Avec l'écriture, comme vous le dites :
"On s’amuse avec les mots, on se coule dans de multiples identités, on explore des idées qui ne sont pas les siennes, on ose ce que seule la fiction permet." N'est-ce pas merveilleux ?
Oubliez "Que notre société a ses femmes savantes, ses Diafoirus et ses précieuses ridicules. Et surtout ses Tartuffes, à tous les étages."
Appréciez que votre "Le bourgeois bohème" ait des retours élogieux et ait été distingué par le Club de lecture de mBS.
Cette tribune m'aura permis de vous connaître et de me donner envie de lire votre bourgeois bohème.
Si vous ne comptiez pas faire de l'écriture votre métier "pour en vivre", Paul (comme probablement la majorité d'entre nous), alors faites en sorte que la vie vous soit belle et contribue à votre bonheur. A défaut de grande maison d'édition (qui vous aurait déçu en vous obligeant à modifier vos textes jusqu'à les dénaturer), vous avez ici un public utile à défaut d'être marchand.
Amitiés