A Londres, où je travaillais comme réalisateur à la BBC, au sein de l'équivalent de France Culture, j'ai eu l'idée super-géniale d'initier le public anglais aux arcanes de ce qu'on commençait à appeler le "Nouveau Roman" français.
J'avais lu un peu Robbe-Grillet et entendu parler de Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Michel Butor et Claude Simon. Au diable l'avarice ! J'ai convaincu mon chef de les inviter tous sur les berges de la Tamise. Butor et Simon ont échappé à mon coup de filet, mais les autres sont venus. Me voilà donc en compagnie de ces "nouveaux romanciers" dans le but de les faire parler sur les ondes britanniques de leurs travaux novateurs.
Rien ne pouvait être plus éloigné des codes d'écriture anglo-saxonne. Tropismes de Nathalie Sarraute, de minuscules mouvements de pensée ; La Jalousie de Robbe-Grillet, une géographie de maison et de meubles ! Sans compter les problèmes de traduction. En outre, il fallait héberger et nourrir ces prestigieux écrivains. Bref, une logistique d'enfer. Je n'ai jamais su si les émissions étaient vraiment comprises et analysées par les auditeurs. Mes impressions des uns et des autres ? Les souvenirs sont flous : la moustache de Robbe-Grillet, la petite silhouette carrée et la peau tannée de Duras, les cheveux gris et raides de Sarraute. C'est avec elle, d'ailleurs, que je me suis entendu le mieux. Je lui ai rendu visite plus tard à Paris, une grande dame, chaleureuse et vive.
Le Nouveau Roman, a-t-il laissé des traces dans la littérature d'outre-Manche ? Il est permis d'en douter. Je ne sais même pas s'il a laissé des traces dans la littérature française. Si, peut-être, dans les broderies de style autour de l'action, mais, là, je prête imprudemment le flanc à vos estocades.
S'il est bien quelque chose que nous, les auteurs, aimons à revendiquer, avec plus ou moins de ferveur, c'est un certain droit à l'originalité. Ah, l'originalité ! Grand mot. Pour certains, étendard de liberté, pour d'autres, mirage poursuivi ; entorse faite aux traditions ou hommage aux diverses innovations et émancipations passées ! Un contexte où le terme prend toute sa place : le Nouveau Roman français. D'originalité, Owen Leeming n'en manque pas puisqu'il a résolu de nous faire part de l'expérience qui l'a intimement lié non pas à un seul auteur mais à un mouvement tout entier !
D'aucuns avancent que le mouvement néo-romancier, qui devint école littéraire du XXème siècle, a vécu de 1942 à 1970. Ce qui est certain, c'est que le roman tel qu'il avait été envisagé durant plusieurs centaines de décennies, passé aux flammes du Romantisme et de l'Humanisme, n'a été mis au ban des accusés qu'en périodes de guerre et après-guerre. Dans un contexte où les seules urgences du quotidien remplaçaient les considérations sociales et politiques, alors que le monde souffrait une brisure dont il ne se relèverait, sinon pas indemne, du moins, pas identique, comment le roman aurait-il pu rester le même et n'accuser aucune variation ?
Il y avait eu d'illustres précurseurs mais ont-ils été fondateurs, J.-K. Huysmans, en 1884, avec 'À Rebours', Franz Kafka et James Joyce ou bien, avaient-ils été visionnaires ? Toujours est-il que ce fut en 1963, alors que l'après-guerre touchait à sa petite majorité avec ses dix-huit ans tout juste révolus et que l'on commençait à peine à comprendre que ce qui avait été la glorieuse résilience d'un peuple ne pourrait plus suffire à le tenir debout mais qu'il lui faudrait vivre et inventer encore, qu'Alain Robbe-Grillet jeta l'encrier dans la marre. Ayant compulsé ses essais, l'auteur en fit un ouvrage synoptique tourné en façon de plaidoyer : 'Pour un nouveau roman'. Quelles idées brandissaient ces textes ? Celles qu'elles étaient bien surannées, désormais, les considérations balzaciennes. L'intrigue – les personnages, surtout – sont-ils absolument nécessaires à la tenue d'un bon roman ? La forme devait être revue mais aussi, le fond. Une œuvre romanesque était-elle tenue de voir ses ligaments toujours reliés au même squelette ? Pour parler crûment, voilà la question qui s'imposait ! Et l'auteur, alors ? Devait-il s'effacer, toujours ? Si on pouvait l'entendre, le suivre, comprendre ses motivations, cela n'apporterait-il pas un angle de vue nouvellement créateur...
En 1956, déjà, Nathalie Sarraute avait émis des objections et froissé ses conceptions du roman en publiant 'L'Ère du Soupçon'. Sept ans plus tard, pour 'Les Fruits d'Or', elle recevait le Prix International de Littérature. C'est le Prix Médicis que Claude Simon, lui, se voit attribuer, en 1967, pour le roman 'Histoire'. Mais alors, puisque la reconnaissance critique est au rendez-vous et que le roman est soumis à une déconstruction systématique de ses codes, qu'est-ce qui peut bien attirer concepteurs et lecteurs dans le mouvement néo-romancier ? Le parfum du mystère, peut-être. La certitude d'être surpris, tenu en haleine au fil des pages, malmené entre intrigue(s) et curieuses révélations, non seulement d'un auteur à l'autre mais encore, d'un ouvrage à l'autre. Une certaine participation est exigée du lecteur dans le Nouveau Roman ; passivement lire n'est, sinon plus possible, du moins, pas recommandé. On pousse à la réflexion, on interroge. On surprend. Georges Perec, en 1965, n'avait-il pas élevé 'Les Choses' – objets de la vie quotidienne et domestique – au rang d'héroïnes de son roman ? Une petite décennie plus tard, en 1973, Michel Jeury osait franchir le pas entre Nouveau Roman et science-fiction avec 'Le Temps Incertain'. L'ouvrage sera couronné du prestigieux Grand Prix de la Science-Fiction ! La bannière d'un certain absurde flotte sur ces nouvelles terres et l'air qu'elle brasse fleure bon...
Le Nouveau Roman a eu ses théoriciens. Jean Ricardou et Roger-Michel Allemand dirigèrent de nombreux travaux sur la question. Cependant, ce qui semblait régir l'exécution du mouvement nouveau-romancier, c'était bien la volonté de n'obéir à aucune règle. D'où l'originalité. Les auteurs eux-mêmes ne se revendiquaient pas de tel ou tel style, tant il est vrai que chaque ouvrage avait vocation de détricoter, de recomposer, de créer, de renouveler. Il y en a eu certains pour prétendre que la tendance n'avait rien à faire sur les bancs de la littérature et l'ont accusée de porter atteinte au « véritable » roman, d'autres ont avancé que le Nouveau Roman avait depuis longtemps cessé d'être neuf.
Ce qui est certain, c'est que l'action initiée par ceux qui se sont imposés comme reflets d'une époque moderne, n'a jamais fané. Le printemps revenu est, je le disais, une saison judicieuse pour aborder le sujet car, entre partisans de la conservation des vieux parfums qui nous font l'effet que sa fameuse madeleine fit à Proust et les adeptes de la valeur supérieure des fragrances neuves, il fait la liaison et prouve que les deux peuvent cohabiter. Après l'hiver, toutes les odeurs printanières font appel aux souvenirs de ce que l'on a déjà aimé et cependant, sont nouvelles ! L'art pictural avait connu la naissance de l'abstrait, la sphère musicale a essuyé avec succès la tempête jazz, la littérature s'est enrichie du Nouveau Roman. Voilà qui donne confiance. S'il en est un, Auteurs et Auteures, Lectrices et Lecteurs, qui saura toujours s'adapter, se (ré)créer, se réinventer et tout surmonter au grand bénéfice des générations à venir : c'est notre bon vieux roman.
Élizabeth M. Aîné-Duroc.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Cher @Patrice Dumas,
Bonjour ! Tout d'abord, je vous prie de m'excuser, je n'avais pas vu votre commentaire avant aujourd'hui. À dire vrai - j'espère vous faire sourire - je crois que je comprends ce que vous ressentez ! Disons que vous avez plus d'expérience que moi de ce que fut la vague du Nouveau Roman, je le sens bien, tandis que je n'ai fait que me documenter. De ce fait, pour me frayer un chemin entre les avis contraires et j'avoue qu'ils sont nombreux (la controverse fut âpre), j'ai résolu de m'appuyer sur le point de vue qui était celui des protagonistes, à savoir qu'ils estimaient devoir changer quelque chose et s'en sentaient capables. Effectivement et en l'occurrence, je n'ai pas constaté que l'héritage était au rendez-vous... Ce qui me peine un peu car je trouvais l'effort louable.
Espérons donc qu'un coin de son feu attisé, comme souvent près de l'âtre, le pauvre chaland évoqué aura le plaisir de se plonger dans une œuvre d'intensité, pour consolation !
Je suis ravie, cher Patrice, d'avoir découvert votre avis qui achève de m'instruire en la matière. Je vous souhaite de belles rencontres littéraires (et une bonne journée !).
Amicalement,
Élizabeth.