@dora moor "C'est avec de bon sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature" dit-on (A. Gide), à quoi il faut aussitôt ajouter qu'un récit romanesque digne de ce nom ne saurait se concevoir sans émotion. La Lettre à l'amer ne déroge pas à ces principes. Adressée par une fille à une mère dont l'amour ne cesse de se dérober, elle est en fait le récit d'une profonde quête de soi et un formidable roman d'apprentissage, pour ainsi dire à l'envers. Il s'agit d'une mosaïque de souvenirs réagencés par une écriture alerte et rythmée qui en fait ressortir à chaque fois l'essentiel. Tantôt animée d'une (juste) fureur rétrospective, tantôt d'une délicate nostalgie, l'auteur dresse dans l'entrelacs subtil de ces multiples réminiscences une impressionnante fresque où s'exprime la tonalité générale d'une existence. Si, à la fin, la mère semble s'être définitivement échappée, cette lettre posthume montre qu'il n'en est rien. Avec La Lettre à l'amer, on comprend en quoi la littérature n'est pas autre chose que la "vie enfin éclaircie" – fût-elle une vie remplie "d'accidents" – et rendue à sa véritable épaisseur par le temps.
Publié le 30 Novembre 2022