Depuis deux semaines, confinée dans son petit logement, Isola ne voyait plus d’humains. Elle réalisait que ce qu’elle endurait était pire que la prison : au moins les reclus côtoyaient des compagnons de cellules, recevaient des visites de parloir, pouvaient se dégourdir les jambes dans la cour alors qu’elle était immobilisée dans son minable studio. Plus aucun contact physique avec un humain depuis les consignes de confinements, elle obéissait à la lettre à cette consigne et ne se nourrissait que de pâtes et de riz.
Pas âme qui vive. Les voisins, jadis bruyants, étaient partis en province. Un silence opaque envahissait ses quatre murs vu qu’elle ne possédait pas de téléviseur et qu’elle ne retrouvait plus la batterie de son portable qu’elle n’avait pas rechargé depuis une semaine. Du coup ses enfants devaient s’inquiéter qui ne pouvaient pas la joindre.
Ses fenêtres donnaient sur une courette et les seuls êtres vivants qu’elle apercevait étaient ces fichus pigeons qu’elle avait toujours détestés. A présent elle attendait leurs roucoulements pour meubler ce silence qui permettait à sa petite voix intérieure de s’exprimer dans toute la violence de son pessimisme. La lecture aurait pu la distraire d’elle-même mais elle n’avait jamais aimé ce loisir intellectuel, lui préférant les écrans.
Si au moins elle avait eu un chien ou un chat pour lui tenir compagnie, mais elle n’aimait pas les animaux. Et puis un animal domestique, il fallait le sortir et vu le confinement imposé ils auraient fait leur besoin sur son parquet. D’ailleurs c’était la faute aux animaux si les hommes avaient attrapé le Sida, la vache folle, la peste, le cholera, la malaria, le chikungunya et aujourd’hui le Covid-19.
Elle se surprit à donner à manger aux pigeons, des grains de riz, à avoir envie de les toucher. La nuit elle rêvait que des êtres ailés la berçaient dans leur giron, sans doute à cause de ces pigeons qui symbolisaient la vie. Aucune perspective ne se dessinait sur l’écran de sa destinée et jamais elle ne s’était sentie aussi délaissée
Pour se distraire elle parlait toute seule et jouait au portrait chinois avec elle-même : Si j’étais un animal, je serais une colombe, si j’étais un pays je serais la Colombie, si j’étais un fruit je serais une mangue, si j’étais un dessin animé je serais un Manga, si j’étais un fleuve je serais la Seine, si j’étais un écrit je serais un scénario…Elle ne pouvait pas faire mieux.
Pour faire de l’exercice elle levait les jambes en cadence et moulinait ses bras en comptant jusqu’à cent, jusqu’à ce qu’elle sente son cœur batte un peu plus vite et son souffle se tarir, juste pour expérimenter ce que cela lui ferait si elle était en détresse respiratoire à cause du Coronavirus ; il fallait bien s’exercer à mourir.
Elle était couchée quand soudain elle entendit un grattement suspect qui l’effraya. La lumière allumée, elle distingua une petite créature qui en tant normal l’aurait fait hurler de frayeur : une souris grise se baladait sur son parquet à l’affut de petites miettes de pain. Elle se surprit à lui demander comment elle allait. Le lendemain elle tenterait de l’attraper ….pour l’enfermer dans la petite cage d’un hamster qu’elle avait conservée.
De Brigitte Bloch-Tabet
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