Bonjour Gilles,
Avant de te concentrer, ces dernières années, sur l’écriture, tu es d’abord auteur et réalisateur. Tu as à ton actif plusieurs cours et moyens-métrages de fiction, et tu as également beaucoup travaillé pour la télévision (documentaires, émissions, et reportages). Dans ton travail audiovisuel et littéraire reviennent souvent les thèmes de l’errance, de la marginalité et de l’empathie. Tu as publié ici même « 8. Toute une nuit. », roman qui est entré dans le Best Of l’an dernier, qui a beaucoup plu aux lecteurs et leur plaît encore. J’aimerais que tu nous parles de ton expérience de l’image, du cinéma et plus précisément du moment où tu laisses « la caméra » pour prendre le « stylo » dans le but d’écrire un roman
1. Comment fais-tu la différence entre l’écriture d’un scénario et celle d’un roman ?
La différence se fait déjà en amont de l’écriture. Telle histoire se prête plus au roman ou au cinéma, pour des raisons artistiques… ou pratiques ! Il y a en effet des sujets trop chers pour le cinéma ou trop décalés.
Ensuite, je dirais que, dans l’écriture de scénario, je suis très rigoureux sur les étapes de travail (intentions, structure, plan, personnages…). En effet, certaines choses ne peuvent pas être laissées au hasard, notamment la longueur du texte qui correspond à la durée du film.
À l’inverse, pour moi, le roman est un espace de liberté. Je peux écrire ce que je veux, sans me soucier de ce que cela va coûter ou de la difficulté à mettre telle idée en scène. Je peux aussi écrire sans me soucier de longueur. Enfin je peux écrire de manière plus stylisée, à l’inverse du scénario qui est un document technique qui doit rester descriptif et compréhensible pour toute l’équipe technique. En écriture scénaristique, le style est à proscrire.
2. On lit de plus en plus de romans qui décrivent tout dans le détail. Est-ce que, selon toi, c’est cela un scénario ?
Un scénario peut donner quelques indications de lumière, de costumes ou de décors. Il a même l’obligation de le faire brièvement quand ces notions sont importantes pour le récit. Pour le reste, les techniciens en charge de ces postes vont faire un travail cohérent par eux-mêmes, pas besoin de tout leur indiquer.
Je pense que c’est pareil en littérature. On peut pointer quelques détails pour « poser le décor » en terme sociologique, ou transmettre une idée visuelle de façon rapide (par exemple, j’invente : « Elle : une robe rouge sur un ciel bleu »), mais il ne faut surtout pas tout décrire ! Quel intérêt pour le lecteur ? Dans ce cas on risque surtout de le lasser.
1. As-tu l’impression que ton expérience de réalisateur de films influence ton écriture ?
Je suis sûr que ma formation aux métiers du cinéma influence ma façon d’écrire. Au cinéma, on doit tout imaginer par avance de façon visuelle et sonore et le transcrire dans le scénario afin que les techniciens sachent ce que l’on doit tourner, et comment. C’est un réflexe maintenant chez moi : je regarde les scènes dans ma tête, comme dans un film. Je vois les angles de prises de vues et les décors. Ce qui était un effort sans nom au début de ma formation de cinéaste est aujourd’hui devenu un conditionnement. Idem pour le montage et surtout la notion d’ellipse. En cinéma, il faut aller le plus vite possible pour raconter. 90 minutes c’est très peu ! Donc j’ai appris à aimer travailler les sauts temporels autant que les raccords (d’une séquence à l’autre, ou d’un chapitre à l’autre).
4. Crois-tu que l’on puisse écrire comme on filme ? (avec les mêmes techniques, ou les mêmes structures narratives). As-tu déjà essayé ?
Oui bien sûr, c’est même très intéressant de transposer des effets de cinéma dans la littérature (et inversement !).
Par contre, je crois que je le fais inconsciemment, comme je viens de l’expliquer. Par exemple je vais passer d’un plan très large, à un gros plan (Exemple : « Le hall était immense et résonnait à chacun de mes pas. Sur le mur, une fissure dans laquelle s’enfonce un cafard. »).
Pour faire un travelling sur un paysage, j’imagine qu’on pourrait faire une longue phrase descriptive, pleine de virgules. À l’inverse un plan très cut, rapide, violent serait sûrement traduit par une phrase d’un seul mot, pourquoi pas isolée, avec un retour à la ligne pour en augmenter l’impact.
1. Il y a des gens qui écrivent « cérébralement » : en pensant une histoire, en la cherchant dans les mots. D’autres laissent venir des images, des sensations. Il n’y a pas de règles pour écrire. Quelle te semble être la tienne ?
Je pense que certains se laissent guider par les mots. C’est évident en poésie, si on pense à Saint John Perse par exemple, dont les mots rares et exotiques sont choisis pour nous emporter vers un ailleurs.
Pour ma part, une fois que j’ai posé la structure de mon chapitre (ce qui doit être dit et les éventuels twists qui vont donner de la dynamique), je me laisse emporter par l’imagination et les sensations. Je vis la scène comme un acteur, je me mets dans la peau de chaque personnage successivement. Pour être honnête, il m’arrive de parler à voix haute et de m’agiter dans ces moments — là : je dois avoir l’air d’un fou ! Et à un moment, je trouve l’impulsion pour entrer dans la scène, pour déterminer à quel endroit elle va commencer.
1. Que l’on écrive des scénarios ou des romans, le but est le même : être lu et émouvoir. Pour cela il faut réussir à susciter des images et des émotions. Comment, selon toi, ta culture de l’image t’influence-t-elle dans cette approche ?
Là on pose les questions ultimes, et je n’ai pas ces réponses. Comment donner envie ? Comment toucher les lecteurs ?
En cinéma, on est obligé d’accepter que l’on travaille pour une industrie et qu’un film doive être rentable. Donc on est habitué à entendre des discours de marketing. Et ce n’est pas inintéressant, c’est pragmatique. En littérature aussi, si on veut mettre les chances de son côté, mieux vaut éviter certains sujets, éviter d’écrire trop long, et à l’inverse, chercher d’emblée un sujet, une approche et un titre qui suscitent la curiosité. Pour autant, il n’y a pas de recette.
Ce que je retiens des maîtres de la littérature et du cinéma, c’est d’oser écrire ce que l’on porte au fond de soi, sans penser au qu’en dira-t-ton, et toujours se demander si l’on aurait soi-même envie de lire ce que l’on écrit.
7. Si je te dis écrire EN images, ce n’est pas écrire DES images ?
Héhé, oui c’est juste il y a une vraie différence.
C’est toute la question du style et de l’imagination. Par exemple, « Elle se sentait tellement heureuse qu’elle volait au-dessus de son quartier, des barres d’immeubles, de la ville, du continent », est sans doute plus intéressant que de décrire un sourire jusqu’aux oreilles, des yeux qui pétillent et une foulée enjouée.
8. Peux-tu nous dire quels sont les réalisateurs qui t’inspirent le plus dans ton travail d’écriture ?
D’abord, j’ai toujours aimé les réalisateurs « littéraires » qui aiment les voix-off. Donc je suis amoureux de Jules et Jim de Truffaut et des films de Wong Kar Wai, comme Happy Together. Quand il y a une voix-off dans un film, cela donne une dimension supplémentaire. La voix-off ne doit pas correspondre à ce que l’on voit, mais doit agir comme un contrepoint aux images.
J’aime beaucoup les histoires de Jacques Audiard, qui sont des drames romantiques avec un fond social. Sur mes Lèvres, raconte l’amour naissant entre deux personnages marginaux et cabossés (la sourde et le repris de justice) qui se lancent dans un hold-up. Ce chef-d’œuvre qui ne me quitte pas.
J’aime aussi les films sur le futur comme 2001 L’Odyssée de l’Espace (Kubrick), Blade Runner (Scott), Premier contact (Villeneuve). Je suis fasciné par le travail de prospective qu’ils ont mené pour inventer un futur cohérent jusque dans les moindres détails, cela demande un travail préparatoire en amont qui est gigantesque.
9. Finalement, que cherches-tu, à travers l’écriture, que tu n’as pas (exactement) trouvé dans le cinéma ?
Dans la littérature je renoue avec le plaisir des mots, avec beaucoup moins de contraintes qu’en scénario. Et aussi j’ai le plaisir de lire une œuvre finie, qui existe pour elle-même, et de pouvoir la faire lire !
En scénario, peu importent les heures et les années que vous aurez passées sur une histoire. Si le film ne se tourne pas, ce que vous avez écrit n’existe pas, est inutile, c’est démoralisant.
10. Comment tu sens-tu chez nous ? sur monBestSeller.
Ce que j’aime particulièrement ici ce sont les interactions. Dans cette communauté, les gens prennent vraiment le temps de se lire, de se parler, de se questionner. C’est motivant et enrichissant.
L'affiche du dernier film Gilles Bindi dont l'actrice a reçu le Prix d'interprétation féminine
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
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Je pense que l'écriture garde plus de part à l'imaginaire.
Les voix sont sans timbres par exemple, dans un film, une voix est fini.