Mais à quoi bon, me direz-vous, imaginer une vie secrète à mes personnages, puisque seul ce qui compte est ce qu’il se passe dans le livre, l’action, la narration.
Eh oui. Pourquoi, en effet ne pas produire des personnages jetables, dont la seule destinée est de nourrir l’intrigue.
Le personnage prend naissance dans l’histoire, il démarre avec elle. Tout ce qui est écrit à propos de son caractère de ses motivations est entièrement au service de l’action.
Donner son pedigree en une seule séquence
Un peu comme si l’auteur voulait évacuer la question, mettre les points sur les « i » au lecteur, l’affranchir : machin vient de tel milieu, voilà son problème : il a involontairement tué son petit frère, ou bien un tel à eu un accident dont il garde les séquelles, ou encore, chaque fois qu’elle croisait un homme barbu, elle ne pouvait s’empêcher de…
Dans ce cas de figure, c’est l’inverse, l’auteur donne des indications au compte-gouttes, un peu comme si leur fonction était de justifier les agissements du personnage.
La part d’ombre du personnage de Philip Roth (Coleman Silk) est ce qui fait la force et même la violence de son roman « La tache ». Sans cette « tache » rien ne serait. Et ce qui crée un lien indéfectible entre le personnage et le lecteur, c’est le fait d’avoir porté avec lui, ce poids tout le long du livre.
Vous trouverez des dizaines d’exemples similaires. D’ailleurs les grands romans, les histoires inoubliables ne sont-elles pas celle des personnages hantés par leur passé ? Prisonniers de leurs souvenirs ?
Voici l’incipit de « Jézabel » d’Irène Némirovsky :
« Une femme entra dans le box des accusés. Elle était belle encore, malgré sa pâleur, malgré son air hagard et las ; seules, les paupières, d’une forme délicieuse, étaient fanées par les larmes et la bouche affaissée, mais elle paraissait jeune. On ne voyait pas ses cheveux cachés sous le chapeau noir. Elle porta machinalement ses deux mains à son cou, cherchant, sans doute, les perles du long collier qui l’avait orné autrefois, mais son cou était nu ; les mains hésitèrent ; elle tordit lentement et tristement ses doigts, et la foule haletante qui suivait des yeux ses moindres mouvements fit entendre un sourd murmure. » Gladys Eysenach est accusée du meurtre de son jeune amant, ainsi commence le roman de Némirowsky.
Mais dès les premières lignes, le lecteur attentif sent que quelque chose de plus tragique a eu lieu. Le roman est la fouille systématique du passé de Gladys, depuis « la scène des origines » non pas au crime, mais aux crimes qu’elle a commis pour préserver une valeur qui lui est vitale et fondamentale et pour laquelle elle a tout sacrifié.
Mais les personnages peuvent aussi porter le poids de fautes imaginaires, comme dans certain roman d’Emmanuel Bove, ou marcher sur une ligne de crête entre réalité et fiction, comme chez Delphine le Vigan « D’après une histoire vraie ».
Il suffit d’y réfléchir un instant pour réaliser que les ressorts littéraires sont nombreux et que l’auteur n’a que l’embarras du choix pour dessiner à son personnage un passé significatif.
1. Doter son personnage d’un passé significatif lequel aura un impact puissant sur sa personnalité et ses actions présentes,
2. Laisser au lecteur de soin de détricoter lui-même le passé du personnage,
3. Livrer au lecteur les élucidations comme autant de récompenses.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci pour cet article. Il se trouve que je suis en train d'écrire mon second roman (qui sera en fait une série) et que je place le passé de mon héroïne au coeur de l'intrigue. Je distille çà et là des indices concernant son histoire, mais j'aime rendre les choses "floues" afin de faire douter mon lecteur concernant la véracité de ce dont elle pense se souvenir. Mais oui je trouve indispensable de bien réfléchir en amont au passé de son personnage (pas que le principal, les secondaires aussi) parce que c'est ce qui va vraiment impulser le récit, donner un sens à sa vie et à sa quête. Surmontera-t-il son traumatisme, se laissera-t-il envahir ? Telle est la question !
Le poids du passé dépasse largement le domaine de la littérature ! Mais elle peut aider.
Merci. Ce sujet se révèle être d'une richesse captivante, nécessitant toutefois une exploration approfondie de ses aspects les plus essentiels, notamment la conscience elle-même. Il convient de distinguer avec précision deux dimensions émotionnelles : la première, naturelle et essentielle à notre survie, tandis que la seconde semble égarer la conscience loin de ses fondements originels. La littérature, dans son rôle de miroir, se propose alors de révéler le tumulte intérieur commun à tous et les égarements qui en découlent : ces chimères que sont l'avatar psychique, l'illusion du choix et celle du libre arbitre. Face à ces révélations, la notion même de responsabilité morale commence à vaciller, poussant l'humain à questionner les fondements de la société qui l'a façonné.
Merci pour cet article inspirant. Une manière très efficace de maintenir la tension dans un roman.
Je pense à un roman que j'aime beaucoup : le Crabe Tambour. Le commandant d'un navire escorteur français et son médecin de bord se souviennent du passé et de leur rencontre avec un héro de la guerre d'Indochine. Une promesse non tenue hante le commandant. Le passé est un poids pour cet homme, alors que le crabe tambour l'avait presque oublié. Le livre nous montre que certaines personnes vont de l'avant, alors que d'autres s'enlisent dans les remords. @Sylvie de Tauriac