Eh oui, écrire un personnage de roman est un exercice qui a ses exigences. De nos jours, on fait la part belle au scenario, et bien souvent, on se lance dans l’écriture d’un texte quand on a une idée d’histoire. Avec le risque de négliger ses personnages
S’il est adroit de créer plusieurs niveaux de personnages, qui n’ont pas besoin d’être tous précisément définis, il est cependant nécessaire de donner aux personnages principaux tout l’éclat qu’ils méritent. Tâche à côté de laquelle l’auteur peut passer s’il choisit (délibérément ou automatiquement) de
Plutôt que de chercher à introduire des éléments de l’histoire et / ou son personnage, l’auteur parachute le lecteur dans sa narration. Peu importe à quoi ressemble le personnage, de quoi est constituée l’ambiance ou la situation dans laquelle il évolue.
Autre choix possible : faire entrer directement le lecteur dans la tête du personnage, dans ses pensées, ses préoccupations lesquelles sont généralement obscures et emmêlées à ce moment du récit.
Frédéric se demandait comment aborder la question avec Arletta. Depuis deux jours, les dossiers s’empilaient sur son bureau sans qu’il ne réussisse à trouver assez de concentration pour s’y attaquer. La conversation qu’il avait eu l’avant-veille avec Bertrand lui revenait en boucle ; il n’arrivait plus à libérer son esprit des propos que lui avait tenus son ami.
Tout est possible, bien entendu, mais est-ce ainsi qu’on capture l’attention du lecteur ? Voyons comment s’y prennent des auteurs que nous aimons :
L’art de créer des personnages de premier plan consiste à savoir en dire juste assez pour que le lecteur reconnaisse, comprenne le personnage, et puisse (éventuellement) s’identifier. Réunir en un minimum de temps ce qui fait son essence. Et se rappeler qu’un personnage n’est jamais « hors sol », mais qu’il est le produit et l’aliment de son contexte.
Ni trop peu, ni pas assez et juste au bon moment
Regardons deux exemples
Stephen King, Misery, apparition, dans le récit, d’Annie, l’infirmière tortionnaire. Rappelons, pour ceux qui ne l’auraient pas lu : dans l’incipit, Paul Sheldon, écrivain célèbre, vient juste d’avoir un accident de voiture, sur une route déserte, par un temps neigeux.
Puis une bouche vint bâillonner la sienne, une bouche de femme, impossible de s’y tromper en dépit de ses lèvres dures et sèches : et cette bouche souffla son air dans la sienne, forçant un passage dans sa gorge, gonflant ses poumons ; et lorsque les lèvres dures se retirèrent, il sentit pour la première fois l’odeur qui émanait de sa gardienne, il la sentit en exhalant l’air qu’elle avait forcé en lui comme un homme pourrait forcer par violence une femme, une horrible puanteur faite d’un mélange de biscuits à la vanille, de crème glacée au chocolat, de jus de poulet et de ces pâtisseries spongieuses à base de beurre de cacahuètes.
Ou encore, très différent, Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, incipit.
Mon frère Jem allait sur ses treize ans quand il se fit une vilaine fracture au coude mais, aussitôt sa blessure cicatrisée et apaisées ses craintes de ne jamais pouvoir jouer au football, il ne s’en préoccupa plus guère. Son bras gauche en resta un peu plus court que le droit ; quand il se tenait debout ou qu’il marchait, le dos de sa main formait un angle droit avec son corps, le pouce parallèle à la cuisse. Cependant, il s’en moquait, du moment qu’il pouvait faire une passe et renvoyer un ballon.
Ce qu’on relève aussitôt : l’auteur ne s’est pas contenté de décrire une scène, mais cette scène nous a aussitôt plongés dans un univers. Personnage et univers sont indissociables, il ne peut y avoir l’un sans l’autre.
L’auteur exploite les possibilités de chaque détail ; chaque mot compte, la chose la plus anodine prend soudain un relief particulier : nous sommes embarqués dans une histoire.
Ce qui fait la force d’un roman de Stephen King, ce n’est pas seulement l’intrigue, le scénario (souvent réduit), mais la nature des personnages et la façon dont ils vivent les situations qu’ils traversent, c’est ce qui nous accroche. Sa technique, sa botte, consiste à nous accrocher au personnage dès qu’il paraît, de façon à ce que nous n’ayons qu’une obsession : savoir dans quel état le personnage ressortira de tout ça… au bout de 500 pages.
La première impression : C’est la première impression qui compte. Et c’est ce qu’un auteur devrait travailler en priorité. Lâcher des personnages sans étoffe dans une histoire, c’est prendre le risque de perdre son lecteur.
L'incipit du Parfum de Süskind donne au lecteur le sentiment qu’il passerait à côté de quelque chose s’il n’allait pas jusqu’au bout de cette histoire.
Au XVIIIe siècle vécut en France un homme qui compte parmi les personnages les plus géniaux et les plus abominables de cette époque qui pourtant ne manqua pas de génies abominables. C’est son histoire qu’il s’agit de raconter ici. Il s’appelait Jean-Baptiste Grenouille et si son nom, à la différence de ceux d’autres scélérats de génie comme par exemple Sade, Saint-Just, Fouché, Bonaparte, etc., est aujourd’hui tombé dans l’oubli, ce n’est assurément pas que Grenouille fût moins bouffi d’orgueil, moins ennemi de l’humanité, moins immoral, en un mot mois impie que ces malfaisants plus illustres, mais que son génie et son unique ambition se bornèrent à un domaine qui ne laisse point de traces dans l’histoire : au royaume évanescent des odeurs.
1. Relier intimement personnage et contexte,
2. Rendre immédiatement le personnage reconnaissable,
3. Suggérer, dès l’apparition du personnage, sa caractéristique profonde, celle qui va l’aider ou l’empêcher d’aller de l’avant
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@ Albert H LAUL, E viva la complexidad !
Des techniques intéressantes, mais qui ne fonctionnent que si dans sa tête on vit le personnage !
Et la dernière pour mon booktime et le plaisir :
"Écrire est humain, corriger est divin."
Je continue en citant, de nouveau, Stephen King lui-même :
"J'estime que les meilleurs romans finissent toujours par avoir les gens pour sujets, plutôt que les évènements; autrement dit, que les histoires sont cornaquées par les personnages."
Merci à vous pour le choix de ce passage saisissant du maître Stephen King.
Il m'a rappelé un extrait de son essai "Écriture - Mémoire d'un métier" :
"J'avais écrit trois autres romans avant Carrie : 'Rage', 'Marche ou Crève' et 'Running Man'. Le meilleur est peut-être 'Marche ou Crève'. Mais aucun d'eux ne m'a appris ce que Carrie White m'a appris. Ce que j'ai découvert de plus important, c'est que la perception qu'à l'auteur de ses personnages, au départ, peut être aussi erronée que celle du lecteur.
La situation vient en premier. Les personnages qui, au début, sont toujours sans relief et sans traits définis, viennent ensuite."
Merci pour votre article éclairant.
Albert H. Laul