Imaginez une œuvre titanesque, une sorte de bottin méticuleux des mots, où chaque virgule compte, littéralement. Son auteur, Ambroise Perrin, dont le génie absurde rivalise avec celui des plus grands architectes du néant, s’est aventuré dans une entreprise folle : décomposer Madame Bovary en sa plus pure essence alphabétique. Le tout dans l’ordre de leur apparition. Oui, vous avez bien lu.
Imaginez un livre où chaque mot de Madame Bovary est isolé, compté, classé, trié, pesé même, si l’on en croit les 1,7 kilo de papier et d’encre qui en résultent. C’est un peu comme si l’on décidait de déshabiller le chef-d’œuvre de Flaubert, non pour le comprendre mieux, mais pour contempler le squelette de lettres qui le compose. Car enfin, il ne s’agit pas ici de lire, d’interpréter ou de critiquer, non. Il s’agit de compter. 145.000 mots ! Comme un archiviste maniaque du dictionnaire, l’auteur a transformé l’un des plus grands romans de la littérature française en un manuel à la fois inutile et génial.
Et que dire de cette œuvre ? Le lecteur, surpris, se retrouve à feuilleter cet étrange bottin littéraire comme un explorateur du quotidien, tournant les pages non par intérêt narratif, mais par une sorte de fascination morbide pour l’inutilité triomphante. "Madame Bovary dans l’ordre", c’est un peu comme une aventure où l’on s’émerveille devant l’absurde, comme un enfant devant un manège sans chevaux. On compte les "cul", on rit des "embrasse", et on se demande pourquoi tout cela existe, avant de se rappeler que c’est là tout l’intérêt : ça ne sert à rien. Rien du tout. Et c’est précisément ce qui en fait un chef-d’œuvre !
On se plaît à imaginer le livre trônant sur une table basse, attirant les curieux et repoussant les sérieux, comme une sorte de monument de l’anti-narration. C’est un hommage à Flaubert, bien sûr, à ce Flaubert qui avait l’audace de dire qu’il écrivait sur rien. Ici, ce « rien » est poussé à son paroxysme, célébré, décortiqué, et peut-être même sanctifié.
Les historiens du futur se pencheront sans doute sur cet ouvrage avec une perplexité admirative, se demandant si, dans un monde où tout avait un sens, quelqu’un avait osé défier la logique avec un projet aussi magnifique qu’inutile. En tout cas, pour un livre sur l’adultère, on est tous d’accord : il y a bien un seul « cul », et il fait rire tout le monde.
Se procurer le livre si, si, il faut y songer.
"Ambroise Perrin est né le jour de l’enterrement de Staline, il a 67 ans. Il est retraité et vit à Strasbourg. Ancien journaliste pour la télévision, il a également travaillé en tant que porte-parole du président du Parlement européen."
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Emma frissonna de toute sa peau en sentant ce froid dans sa bouche. (Chap VIII, partie I)
@Michel Laurent Comme quoi, les quelques longueurs reprochées à "Lucie, trois fois Lucie" ont trouvé leur raison d'être comme leur utilité... Pile-poil la bonne épaisseur :-) !
« Ça ne sert à rien. Rien du tout. Et c’est précisément ce qui en fait un chef-d’œuvre ! »
Sans doute, mais gare aux généralisations. Tout ce qui ne sert à rien n’acquiert pas d’autorité le statut de chef-d’œuvre (les émissions d’Hanouna, les pensées de M. Bardella, les mémoires illustrées de Nabilla – Tiens ! Que des noms qui se terminent en a. Y-aurait-il une prédestination ? ) À l’inverse, un chef-d’œuvre n’est pas, par nature, nécessairement dénué de toute utilité. J’ai par exemple réussi à caler une armoire normande avec un invendu de « Lucie, trois fois Lucie », mon premier roman. Quoi ? Qui a dit ici qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’un chef-d’œuvre ?
@Zoé Florent
Bravo, chère madame, mais vous n'avez rien gagné, parce qu'il n'y avait rien à gagner - ce qui est bien plus beau comme ça.
@monBestSeller Étonnnante démarche, en effet. J'imagine que monsieur Perrin a dû consacrer un temps infini à ce recensement. Un travail qu'une puissante IA rendrait en un temps record à présent. J'espère que l'auteur y va de quelques appréciations personnelles pleines d'humour, sans quoi, à part pour épater la galerie... ce qui suppose d'en avoir une, l'envie ou (et) du temps à perdre ;-)...
@Jérôme Lanclume Cyrano, l'un des plus grands gentlemen qui soit, car comme l'écrivit Borges : "un gentleman ne peut s'intéresser qu'à des causes perdues."
Merci pour ce billet et bonne journée à tous.
Amicalement,
Michèle
Qui donc disait déjà : "C'est bien plus beau lorsque c'est inutile !" Vous avez cinq secondes...