@Odile Maudrijat
Votre plume est indéniablement magnifique : précise, fluide, rythmée, sans l'ombre d'une emphase inutile ni le moindre soupçon de mièvrerie. Votre sens du récit est incontestable, les rebondissements maintiennent le lecteur en haleine, au point qu'il se surprend à dévorer les chapitres comme s'ils allaient soudain disparaître (peut-être un peu moins vers la fin, mais cela, c’est une autre histoire). Cependant, comme l'a dit La Rochefoucauld, « quelque soit le bien que l'on dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau ». Alors, je range mes lauriers (pourtant bien mérités) pour essayer de me montrer constructif. //*****//
Là où le bât blesse, selon moi, c’est dans le choix de la narration à la première personne. Racontée par une jeune fille, dont on suit le parcours de l'enfance jusqu'à l’âge de quatorze ans (en sachant que sa route ne sera sans doute pas plus longue), l’histoire débouche parfois sur des situations un tantinet incongrues. Ainsi page 155 : une enfant de moins de onze ans lance une pique ironique au pasteur à propos de sa "proximité" avec son personnel, montrant qu’elle connaît la vérité sur sa liaison avec l'une d'elles. Or, cette petite fille n’a pas la moindre familiarité avec le pasteur, et ce dialogue un brin surréaliste qui s'ensuit paraît invraisemblable. De même, l’épisode de la photo compromettante glissée dans les missels est certes cocasse, mais là encore, monter un piège avec une logistique si élaborée paraît peu probable pour une enfant de cet âge. //*****//
Autre exemple, cette fois dans le style, p. 24 : « Quand les problèmes financiers eurent fini d’asphyxier ma mère, nous pliâmes bagage et atterrîmes chez ma grand-mère. J’avais sept ans. » À cet âge-là, et avec une scolarité disons... mouvementée, ces passés simples sonnent faux. Le ton général oscille entre celui d’un enfant et celui d’un adulte, ce qui rend l’ensemble un peu bancal. //*****//
À mon sens, vous pourriez considérablement renforcer l’impact du récit en confiant certaines descriptions à un narrateur externe. Ce regard distancié vous permettrait d’éviter les incohérences d’un point de vue limité à une enfant, qui ressent sans toujours comprendre. Et sans doute aussi, de mieux brosser le portrait de personnages secondaires. À n’en pas douter, vous avez le talent pour le faire. Cela transparaît en particulier au chapitre 9, où la grand-mère expose pourquoi, selon elle, seuls les Noirs peuvent utiliser le terme "nègre". Ou encore à la page 315, avec ce magnifique passage, riche en images, sur le bien et le mal.//****//
Mais, une fois encore, un grand bravo pour ce partage.
Publié le 15 Septembre 2024