Georges R.R. Martin, l'exemple d'une marque en littérature, une marque parfaite. Le marketing culturel est-il condamnable ?
Le « marketing d’auteur » est l’expression à la mode. L’auteur, sa ligne éditoriale, son genre, son style, son lectorat, sa personnalité, sa couverture, sa collection, sa trilogie, ses réseaux, ses partages, sa médiatisation, sa vie... constituent pour son public son ADN d’écrivain, donc son capital. Dans l’industrie on appelle cela le mix-marketing. En édition, "l’identité" de l’auteur.
Le marketing culturel fait-il de l’auteur une marchandise ? Non, il consiste plutôt à créer une trace pour générer une identité constante, dans un même sillage éditorial. Pour le lecteur, c’est un outil (pour se guider, pour comprendre la cartographie de son halo littéraire), dont la « moralité » dépend simplement de l’utilisation qui en est faite.
En littérature, le marketing d’auteurs ne peut servir qu’un cœur d’élite commercial.
Sinon tout le monde aurait du succès et il y aurait trop de marques / auteurs. Plus ça va, plus les ventes de livres se concentrent sur un petit nombre d’auteurs (et paradoxalement plus le nombre de titres croît) : LA James 1.2.3, Guillaume Musso, Marc Levy, Katherine Pancol, Tatiana de Rosnay, Anna Todd et quelques autres. Outre la qualité (ou l’absence de qualité) littéraire des textes, les politiques de marketing construites autour de ces auteurs ont porté leur succès. Communication de l’ouvrage, constance et homogénéité des contenus, couvertures, synopsis, collection, publicité, proximité des libraires, sont les empreintes de l’auteur, et de leurs marques. Et des contenus… Et de se rappeler, les scénarii récurrents des collections romance d’Harlequin construites sur un schéma préétabli. On n'en est parfois pas si loin. « L’infirmière pauvre, le chirurgien riche, l’obstacle, le baiser, puis le dénouement. »
La marchandise culturelle est-elle d’abord culturelle ou d’abord marchande ?
Le sociologue Pierre Bourdieu attribue aux éditeurs un rôle complexe. Par nature même, le livre porte une double fonction : économique et symbolique. C’est à la fois un bien commercial et un vecteur de sens. L’éditeur est aussi ambigu dans ce jeu, lui qui doit savoir marier l’argent et l’art, la passion de la littérature et la recherche du profit. Jouer de stratégies entre deux pôles : le joug du commerce, et la grâce et l’élévation de la culture.
Pourquoi marketing et culture font mauvais ménage ?
A l’opposé des règles du marketing, qui génèreraient un livre à partir des attentes des lecteurs, la littérature et le secteur des entreprises artistiques, artistes ou écrivains créent d’abord un livre libéré de toutes contraintes marketing. Il doit plaire et conquérir les lecteurs, librement, sans calcul. C’est ce qu’on appelle le marketing de l’offre. L’auteur n’a pas une activité commerciale, puisque c’est le lecteur qui en décide, sans qu’il ait été consulté.
Et pourtant les maisons d’édition connaissent les clefs du succès
Elles devraient, par cumul d’expériences, connaître le goût et les préférences du lectorat ? Bien sûr oui. Et pourtant, même si les éditeurs sont enclins à produire des livres qui satisfont les envies du lectorat, les auteurs créent d’abord de manière solitaire (quel que soit leur niveau). Ce n’est qu’en confrontant dans un deuxième temps ces livres aux lecteurs que le verdict s’impose. Les maisons d’édition ont là un rôle ambigu à ce modèle. Sont-elles capables de distinguer les auteurs qui créent pour eux-mêmes, dans un idéal, et ceux qui poursuivent le succès commercial : un produit (mises à part les commandes) ? Et quel est leur rôle à elles dans ce « process », doivent-elles créer des écuries ?
L’auteur est-il une marque ?
La marque est un repère, une garantie, une permanence, une éthique. Éditeur, c’est un métier ; les maisons d’édition sont capables de cumuler tous ces marqueurs « auteur », pour mieux cerner et rendre captif son lectorat. Codes couleurs des collections, codes prix pour les livres de poche, tranches d’âge, « chaînage » pour les ouvrages jeunesse, animations commerciales et promotions régulières. L’ensemble de ces signes permet ainsi au lecteur de mieux s’organiser dans ses choix de livres ou de leurs auteurs préférés parmi l’offre proposée.
L’auteur permet de constituer un véritable « capital-client » quand les constituants de son identité sont clairs et identifiés. L’investissement en communication par l’éditeur en est le révélateur. Il entretient la marque. Et en exploite l’élasticité : musique, film, feuilletons, personnages, dédicaces, prix. Et quand Houellebecq joue son propre enlèvement à la TV pour livrer finalement son intimité, c’est le cœur de la marque, de sa marque et de son ADN qu'il livre.
Pour incarner la marque, c’est très simple : la rencontre avec l’auteur. Pour la déployer : les médias. Pour la signifier : les signatures. Pour la faire vivre : les réseaux.
Reste la dernière variante, plus difficilement contrôlable : la satisfaction et le plaisir du lecteur, eh oui quand même…
Christophe Lucius
Bientôt sur monBestSeller, comment faire un bon marketing d'auteur ?
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Aaah ! Merci Christophe ! Qd je dis que je prépare ma communication avant même de commencer ma 1ère ligne d'écriture, certains froncent les sourcils. Qd je parle non pas d'histoire, mais de concept incluant l'histoire mais surtout tout un univers autour, on me tague de commercial VS les vrais écrivains qui se contentent juste d'écrire ds leur grotte, parce que c'est aux ME de faire la com ( chacun son métier, vous savez...).
Bref, quand je parle d'identité visuelle d'un auteur faisant écho à une image, un univers défini reconnaissable par les lecteurs, on me sort qu'il n'y a pas de spontanéité de soi qd on calcule jusqu'à son image.
Et bien c'est faux ! On peut rester soi et vendre son image. Un livre existe aussi par ce qu'est l'auteur. Nothomb est reconnaissable par son chapeau. Elle marque son style pas seulement ds son écriture. C'est un univers à elle seule. Croire qu'il faut juste écrire, c'est faux. Il faut incarner ses écrits ! Et ce n'est pas forcément la ME qui va monter votre identité visuelle. Au contraire ! Ils investissent de moins en moins en communication et encore moins pour des petits auteurs. Un auteur est pluridisciplinaire aujourd'hui.
Le marketing n est qu une forme devoyee de plus de seduction ou de recherche de plaire.Sa technicité n ne devrait rien enlèver aux mobiles de base qui la soutendent.Pourquoi ecrivons nous.Pour qui.Uniquement par plaisir solitaire pour reprendre certains mots d Elen.Pour épancher des blessures, frustations d ego, des manques de confiance necessitant le regard de l autre, des travestissements de réalité pour s en échapper ou pour s en rapprocher.Du charme naturel tout comme du passage du temps aux excès outranciers et tromperies sur la marchandise, la séduction est une des composantes de toutes les espèces et du système de consommation dans lequel nous voudrions ne pas sombrer.La faim de regards et la fin justifient elles tous les moyens?
Pour ma part je continuerai d opter pour le naturel.
@Marjorie Moulineuf et autres amis auteurs, frères et sœurs d'infortune littéraire (à défaut de fortune ^^) :
Parfait exposé, Marjorie ; tout est dit et je suis entièrement d'accord.
Christophe Lucius a raison, le marketing d'auteurs, ça dérange. Et tu as raison, l'agacement, voire la répugnance affichés ici ou là à propos du côté "commercial" de l'écriture est un travers français connu : "l'argent, pouah, c'est sale et ceux qui cherchent à en gagner sont des vilains spéculateurs". :-)
On peut aussi, avec un soupçon de médisance, supposer que chez certains, cela tient du complexe du renard et les raisins - vous savez, la fable de La Fontaine. Parce que, quand on a, comme presque nous tous, avouons-le, du mal à placer ce que l'on a pris tant de peine à écrire, on est évidemment tentés de proclamer (et même, de nous auto-convaincre) que "vendre, pouah ! Moi, je ne suis pas là pour ça..." Foutaises ! J'ai donné moi-même dans ce complexe, sans fustiger pour autant les auteurs qui "font du fric", parce que je n'y vois aucun mal. Chacun vit comme il l'entend.
Avant même d'espérer beurrer un peu nos épinards (ce qui n'est pas un crime d'avidité spéculatrice, sachant qu'en matière d'activité rentable, il y a mieux que l'écriture...), nous publions tous essentiellement pour le bonheur de communiquer avec nos lecteurs. Et j'aimerais que l'on me m'explique comment trouver des lecteurs sans faire du "marketing" pour leur vendre notre prose, ou simplement pour la leur faire lire gratuitement ; ce qui, soit dit en passant, n'est pas plus noble en soi, juste plus désespéré...
Voilà, à présent que je me suis sans doute mis plein de monde à dos :-) je retourne à mon plaisir solitaire : l'écriture ! Mais comme moi aussi je cours après les lecteurs, je reviendrai faire mon "marketing", soyez-en sûrs... :-D
@Patrice Dumas
Certes, mon cher Patrick, mais se pose le problème des auteurs qui ont plusieurs styles et/ou envie de s'exprimer dans plusieurs genres ; chose que l'on m'a reprochée chez Gallimard, et de très nombreux auteurs sont dans le même cas. Vous-même, Patrick, j'ai remarqué que vous écrivez du multigenres. Or l'édition traditionnelle aime que le lecteur puisse identifier un auteur dès les premières lignes, parce qu'elle cherche à vendre un produit, qui doit par conséquent être aussi formaté que possible afin de fidéliser une clientèle et de faciliter le marketing, comme l'explique très bien Christophe Lucius. On connaît l'exemple célèbre de Romain Gary obligé de prendre le pseudo "Émile Ajar" pour "La vie devant soi". Cette situation n'est donc pas très récente, mais elle s'aggrave. Alors pour les auteurs hybrides, l'autoédition est une bénédiction...
Merci pour cet article qui me permet pour une fois d'exposer mon point de vue car je n'aurais pas eu l'idée de le faire spontanément. Personnellement, en tant qu'auteure auto-édité cela va beaucoup mieux depuis que j'ai (enfin) compris que la FICTION (peu importe le genre) n'était que ce que les anglo-saxons appellent de "l'entertainment". Si en plus c'est intelligent et sensible tant mieux, Des auteurs comme John Irving l'assume complètement. Du coup je me sens beaucoup moins complexée car ma culture, ma vraie pas celle dont j'ai héritée, n'est pas Balzac ou Rousseau mais celle avec laquelle j 'ai grandi ; Star Wars, etc, Maintenant le livre est-il un produit et le produit d'une marque ? oui ! j'en suis persuadée. Car c'est ainsi que j'achète mes livres et je suis une grosse consommatrice aussi bien d’essais que de fiction. Soit il répond à un besoin, soit à une envie. Si le besoin doit être assouvit peu importe la marque. L'envie elle est subjective. La marque ou la validation extérieure ( cf le succès de Trip Advisor dans une autre industrie ) est un atout majeur dans l'objectif de vente. Internet a changé la donne, le livre est un produit comme un autre surtout s'il ne répond pas à un besoin mais à une envie. L'auteur devient artisan ET commerçant dès lors qu'il peut multiplier ses ventes et satisfaire besoin et envie du public. Libéré de toutes contraintes de vente ? Marketing de l'offre en 2016 ? A part les autobiographies narcissiques, les témoignages d'expérience, l'acte de foi ou le coup de poker, je ne vois pas quel auteur un peu professionnel ou maisons d'édition va investir (couv, correction, etc) sans un objectif de vente (réaliste ou pas) pour prendre le temps de publier un récit ou un ouvrage technique. Investir autant de temps sur un ouvrage juste pour soi : ceux là ne cherchent pas à publier ni à participer à la culture, ni à transmettre un message mais à assouvir un besoin personnel.
Pour des anglo-saxons : marketing, culture et littérature vont très bien ensemble. Car personne ne se fait d'illusions sur la finalité du produit. Aucun artiste ne vit d'amour, d'eau fraîche ou de mécénat, (même à la Renaissance, les artistes se vendaient au plus offrant) notre monde a changé depuis 15/20 ans, il est peut-être temps de l'assimiler. La culture, la technique et l'instruction sont des business. Qu'on le déplore ou pas, il n'y a qu'à regarder du côté des subventions pour ce rendre compte que ce n'est pas une question d'altruisme ou de vocation :-)
Comme vous le dites la seule variante incontrôlable c'est la satisfaction du lecteur, mais la satisfaction du client n'est-ce pas le but de n'importe quel professionnel, tous les secteurs confondus ? Que l'on mette des plugins en open source ou que l'on pétrisse des baguettes ? Seuls les artistes mettraient du sens dans leurs actes sans espérer de retour ? Ces mots vont mal ensemble car tout le monde : maisons d'édition et les auteurs contribuent à faire croire que les livres sont plus que du divertissement et/ou de l'information. Les livres étaient la seule source d'enseignement ou d'évasion mais depuis il y a eu la télé et devinez quoi il y a internet maintenant !!! Les youtubers et leur culture ont plus d'influence sur les jeunes que les écrivains ou TF1 !
Grâce au Web, c'est terminé le temps " des milieux autorisés" comme disait Coluche.
Auteur : c'est juste un job qu'on a choisi de faire mais ce n'est pas le plus facile cela je vous l'accorde. ("Fuyez, pauvres fous !" comme dirait Gandalf. Désolée, c'est mon inculture !)
Éditeur : c'est juste un job qui répond aux besoins de ceux qui ont un jour décider de faire le job d'auteur.
Distributeur ( car on pourrait en parler dans le processus de vente) ; répond aux besoins des éditeurs ou auto-édités de distribuer leurs produits.
La littérature c'est quoi exactement ? Moi je sais toujours pas, ce que certain trouve littéraire et "intelligent" je le trouve aussi pénible et stérile à lire que de récurer à la brosse à dents, le carrelage de mes toilettes.
Bref, vous l'aurez compris, je ne supporte plus ce clivage très français entre marketing, littérature et culture car en 2016 avec les informations et le web à notre disposition la culture est mondialisée, l'instruction et l'art en open source (si on cherche un peu) et l'économie marchande suit des règles stéréotypées. Si on pense auteur comme un métier à part entière et avec pragmatisme, les trois mots vont très bien ensemble selon moi. Cela n’empêche ni la créativité ni la culture mais nous oblige, nous auteurs en début de chaîne, à remettre à jour nos critères pour s'adapter à notre époque.
Les ecrivains (meme les plus grands) ne sont pourtant pas les seuls a se mettre en scene. Les artistes en general ne se privent pas. Picasso n'a jamais fui les cameras, Dali non plus. Warhol ne serait rien sans un tres bon et tres efficace marketing, Banksy et bien d'autres encore dans d'autres domaines.
Pour ma part, je ne publie que sous pseudo : je ne vois pas l'intérêt d'être lu, uniquement, parce qu'on a mis en avant sa petite personne !
Vous avez parfaitement raison, monsieur Lucius, et pour ce qui est de la "marque", je pourrais citer mon expérience chez Gallimard à l'appui de votre démonstration.
C'est à cause de ces faits - merci à vous de les pointer si clairement, en particulier dans votre dernière phrase - que, comme tant d'autres idéalistes pragmatiques, je fonde de grands espoirs sur le mouvement des auteurs indépendants.
Car, enchaînés à la nécessité de vendre du "produit", les éditeurs semblent souvent beaucoup plus préoccupés d'imposer une marque que de satisfaire les lecteurs, et ne parlons même pas de découvrir et promouvoir des auteurs "de niche" !
Seule la symbiose, encore à inventer, d'un immense vivier d'auteurs libres de déployer leurs ailes et d'une vitrine sélective pour présenter le meilleur de cette production au plus large public possible, atteindra ce double objectif, le seul qui vaille en termes d'éthique.
Ce matin, j'ai fait de mon mieux pour aller dans ce sens en créant sur facebook les groupes "Les blogueurs difficiles" et "Les auteurs différents". Qui vivra verra...
C'est parfois tellement vrai que Iain Banks, qui etait un excellent ecrivain ecossais, signait ses romans SF du nom de I. M. Banks et ses romans "litteraires" du nom de I. Banks :) Les couvertures des romans SF etaient colorees alors que les couvertures de ses autres romans etaient invariablement noires et blanches et pourtant tres reconnaissables.