Inspirez... expirez... invite le pneumologue en tendant l'embout du spiromètre au patient.
Inspirez...expirez... scande le professeur de gymnastique pour stimuler l'oxydation des corps.
Inspirez... expirez... susurre le coach en méditation, espérant que la sagesse vienne de ce souffle rythmé.
Inspirez...expirez... poussez... ordonne la sage-femme à la parturiente au moment de l'expulsion du nouveau- né.
Autant de souffles contraires et complémentaires, centripètes et centrifuges, qui rythment la vie physique, intellectuelle et spirituelle. La création ne serait donc que la manifestation de l'inspiration.
Mais si l'on ne s'interroge pas sur cette dernière lorsque l'on respire machinalement, bien que l'on meure de ne plus inspirer et que curieusement la mort soit signée d'une ultime expiration, la question se pose quand la création se meut en créativité. D'où vient-elle ?
Je dirais pour ma part qu'elle a ses outils - le rêve, l'imagination, les émotions, voire les obsessions, la souffrance aussi – et ses manies et rituels. Salinger ne pouvait écrire que nu, Balzac vêtu d'une bure de moine et chaussé de babouches marocaines, Philippe Roth marchait, même entre deux phrases. Simenon se shootait au café, Fitzgerald et Hemingway à l'alcool, Agathe Christie aux pommes. Colette ne pouvait écrire que sur du papier bleu, Edmonde Charles Roux les pieds fourrés dans des chaussettes, toujours du même modèle et trop petites pour elle et Walter Scott, à cheval ! Quant à moi, les cigarettes me sont indispensables, tout comme une généreuse bibliothèque autour, les livres étant des témoins silencieux fort bavards.
Quant à l'inspiration, cette recluse rebelle, je suis une paresseuse. J'attends qu'elle vienne d'elle-même, qu'elle me déloge de moi-même, fidèle en cela à Henry Miller qui prophétisait que pour gagner du temps, il fallait savoir en perdre. Même à son insu.
Je ne rêve pas ou plutôt, je ne m'en souviens pas. Mais certains matins, je me réveille avec l'impression d'avoir appris quelque chose que je suis incapable d'expliquer. C'est là et c'est tout. Il m'arrive alors de rédiger en quelques minutes ce que, à tête reposée, me demanderait des heures besogneuses. La colère également, toute comme la mélancolie, sont sœurs de cette inspiration expéditive.
Je m'échappe aussi toute éveillée. Où ? Je l'ignore. « Tu étais partie où, là ? » est la phrase qui m'ancre de nouveau en terre.
Je parle peu. Je n'en éprouve pas le besoin, trouvant que souvent, l'on n'a pas grand chose de bien neuf à exprimer. Taiseuse oui. Mais j'écoute et observe. Et là, je suis en mode panoramique. J'absorbe tout. Les couleurs, les odeurs, les goûts, les paysages ou les décors, les mouvements des uns et des autres, leurs vêtements, leurs expressions, leurs paroles et leurs silences. Une façon peut-être de pallier à mon manque d'imagination, le futur n'existant pas pour moi et ne se résumant qu'à une projection truquée de ce que nous aimerionsqu'il soit ou répondant à une angoisse diffuse de l'inconnu, voire du pire possible. La science-fiction pure ne me transporte pas, d'autant plus que souvent, elle repose sur des codes qui ne se projettent pas dans une distorsion de la réalité.
Mon inspiration est une nomade de l'inconscient, mais toujours en prise avec la réalité, celle que j'ai vécu, que je vis ou dont je suis spectatrice. Somme toute, l'inspiration est la synthèse de ce que l'on est. Elle est constituée de nos grandeurs et de nos misères. De notre lumière et de notre obscurité. Il s'agit de relier les êtres et les choses entre eux. Une intuition qui va au-delà de l'intelligence analytique.
Ecrire, du moins est-ce ainsi que je le perçois, est d'abord un exercice dichotomique. « Je » s'abstrait et devient réellement « un autre ». Tous les autres. La vie est un vivier inépuisable. Pourquoi diable allez chercher ailleurs ce que l'on a sous la main, ou plus exactement sous la plume ?
Mais ne nous prenons pas au sérieux. Comme le remarquait fort justement Dali : « Ne craignez rien, la perfection vous ne l'atteindrez jamais. ».
Mélanie Talcott – 5 juin 2019
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Filippo Fuchs,@Colette Bacro,@Fe.ankh,@lamish,@MURIEL LAROQUE,@Catarina Viti,@Delphine ROBIN,@Hubert LETIERS
Bonjour,
J'espère que vous ne m'en voudrez pas de ce tir groupé en réponse à vos sympathiques commentaires. Je viens de prendre connaissance de la publication de "T'as de beaux yeux, tu sais..."... Ma foi,fort inspirant. Amicalement, Mélanie.
L'inspiration vient de ce que l'on vit et voit, oui... De la curiosité aussi... Mais surtout du moment où l'on arrive à lâcher prise avec notre esprit. L'inspiration, c'est le subconscient qui s'exprime sans barrière.
En tout cas, c'est comme ça que je fonctionne. Écrire sans penser.
Un bon rituel : une musique adaptée à ce que l'on souhaite écrire.
@Mélanie Talcott
Bravo pour cet article sur l'inspiration, la chercher ou l'attendre ? Je dirai plutôt la suggérer, l'aider.
Relire des phrases d'auteur qui m'inspirent, notées sur mon carnet, ou des expressions diverses : jaillir du gosier, être faussement docile, avoir quatre fers aux feux, etc ...
Parfois ( trop rarement ) je me réveille entre 5 h et 6 h du matin , mon cerveau reposé se met en marche tout seul et me dicte ce que mon personnage doit faire. Mais je le concède ce n'est pas toujours réussi .
Merci aussi de nous avoir fait redécouvrir les rituels des écrivains.
Salut, Mélanie.
Comm' d'hab, tu n'écris pas pour rien dire. La vache !
Je vais faire chorus sur deux des thèmes que tu abordes :
L'absorption, d'abord. Je ressens cela aussi. Un créatif est un papier buvard. Il absorbe la réalité comme un miroir absorbe l'image qui s'y reflète. Et c'est bien là le hic : une maille à l'endroit, une maille à l'envers... Et comme le papier buvard, au final, le créatif se tamponne de la réalité puisqu'il l'invente.
Les émotions ensuite, outil de l'inspiration. Le premier bouquin que j'ai écrit et qui a été édité (donc abouti à 100%) m'a été dicté par la colère. Une colère de derrière les fagots, tellement énorme que je n'aurais pu la contenir sans abîmer ma santé.
Saint-Cloud Ménilmuche, Mélanie, pour ce joli billet.
Bonjour Mélanie,
j'ai beaucoup aimé votre phrase "les livres sont des témoins silencieux fort bavards." Elle a donné une image à un sentiment que je connaissais sans jamais avoir pu le caractériser réellement.
Je retiendrai une autre phrase "pour gagner du temps, il faut savoir en perdre". Tout auteur s'y retrouve. L'imagination est là, l'inspiration la rattrape mais il faut encore bien souvent du temps pour que le tout s'imbrique et que nos doigts se dirigent vers le clavier avec une vision nécessaire de l'histoire jusqu'à sa finalité. J'ai commencé votre roman, je pense passer un excellent week-end grâce à vous ! Merci pour vos textes. Bien amicalement, Delphine