De Socrate obligé de boire de la cigüe à Galilée qui doit nier que la terre est ronde, y-a-t'il une bonne censure ? Et pourtant, l'on sait bien que toutes les interdictions enflamment les curiosités, et que si certains livres auraient du passer inaperçus, la censure leur a donné une grande visibilité. Zola, tout en redoutant la censure, reconnait la publicité qu'elle implique, et l'utilise à son profit en décrivant une Société immorale et injuste. Le scandale fait recette(s) et il en jouait par le biais du naturalisme. Le naturalisme avait pour ambition de dépasser le réalisme en montrant que la condition des hommes détermine leur comportement. Prostituées, paysans, mineurs, ivrognes sont alors les propres déclencheurs de leurs misères et de leurs malheurs et des dysfonctionnements de la Société. C'est un scandale permanent, car on ne cesse de produire ce qui nous ronge.
Peut-on censurer de grands écrits au nom de la morale du moment ?
Dans les contextes d'aujourd'hui, le "politiquement correct" rejoint ce nouveau mot barbare qu'on appelle l'intersectionnalité . Ce concept règne comme une philosophie en voie de domination (concept en vogue visant à révéler et à utiliser la pluralité des discriminations de classe, de sexe et de race et à l'utiliser comme une idéologie revendicatrice). Aux USA une chanteuse blanche s'est excusée de porter des dreadlocks car c'est un emprunt (sauvage et illégitime) à la culture jamaïcaine! On marche sur des oeufs. C'est la négation du métissage. Parfois on milite pour des causes qui produisent l'effet inverse de celui qui est escompté. Et l'on ne comprend plus toujours le sens de la censure.
Mais alors que peut-on dire, où placer le talent des écrivains, faut-il dissocier les idées du talent ? quand doit-on leur donner leur espace d'expression artistique et quand les faire taire ? Ont-ils le droit de s'inspirer ? Tout écrit est il politique ?
Celine et Brasillach, risquent bien d'être à nouveau censurés dans cette nouvelle époque ou toute expression est régulée par la notion d'éthique et du respect de l’autre au point de le considérer paradoxalement comme différent, pas égal, justement. A tort ou à raison ?
Les livres censurés les plus connus
Au sein des grands classiques : L'amant de Lady Chatterley a été écarté pour une relation sexuelle torride et obsessionnelle, pour une soumission sociale guidée par des "bas instincts". Mais n'oublions pas bien sûr "Lolita" de Vladimir Nabokov, considéré comme une incitation à la pédophilie déguisée en passion indomptable.
Mais plus drôle, rappellons les sensibilités fragiles qui défailleront en France en humant le parfum des Fleurs du mal. Condamné pour « outrage à la morale publique », l'oeuvre de Baudelaire se verra raccourcie de six de ses poèmes jusqu’en 1949. Enfin le Frankenstein de Mary Shelley fait scandale. (Comment peut-on prétendre fabriquer un être vivant ?)
Plus grave, et pour des raisons toutes autres (et même opposées), "La Case de l’oncle Tom", ouvrage ouvertement anti-raciste présente une vision anti-esclavagiste de la société à une époque ou les Sudistes ont encore un mot à dire dans les mouvements culturels lourds de la nation américaine. La sanction est simple : la censure.
D'autres censures littéraires surprennent, elles sont souvent circonstancielles
Robin des Bois est pris en grippe aux Etats unis, et particulièrement à l'occasion du lancement du Dessin animé de Disney
En 1953, la diffusion des adaptations littéraires et du film du fameux mythe a été interdite dans les écoles de l'Etat de Virginie aux Etats Unis pour 'idéologie communiste". En plein maccartisme, voler aux riches pour distribuer aux pauvres n'est pas de bon aloi.
Plus étonnant, Mickey est un Diable, ses facéties sont honnies par les pouvoirs communistes et particulièrement l'URSS de Staline et de Brejnev. Considéré comme le symbôle du capitalisme triomphant, c'est un un imbécile heureux qui se vautre dans une civilisation sans morale et une consommation futile.
Sur la route de Jack Kerouac a sa propre aventure. L'auteur mythique d'un des monuments de la littérature américaine a subi un tel nombre de refus de la part des éditeurs qu'il a du épurer de nombreux passages sexuels de son texte. La version intégrale n'a pu sortir qu'en 2007. La ligne entre censure et réecriture éxigée par son éditeur est bien ténue. L'oeuvre intégrale est sortie tard.
Innatendu : Harry Potter à l'école des sorciers. Le roman de JK Rolling, le livre le plus vendu au monde a subi la censure des canadiens. En effet, des parents d'élèves d'établissement scolaire de l' Ontario et de Terre neuve l'ont fait interdire et retirer des bibliothèques scolaires au pretexte qu'il faisait l'apologie de la sorcellerie, de la violence, de l' occultisme, du satanisme ». Esperons que les millions d'enfants de la génération "Potter" qui sont passés au travers des mailles du filet ne grilleront pas en enfer.
Tintin, n'est pas en reste, il a été censuré à maintes reprises et Hergé a parfois obtempéré avec des modifications parfois gênantes pour l'intégrité de ses scénarios. Dans "Le crabe aux pinces d'or", la version américaine a été redessinée pour enlever tous les personnages noirs de la BD. Tintin au Tibet, devait être rebaptisé en Chine par Tintin au Tibet chinois. Sur ce dernier point, la fondation Hergé, opposée a finalement empêché le livre de sortir.
Durant la Seconde Guerre Mondiale, le régime de Vichy et l'occupant allemand vont rétablir la censure d'un certain nombre de journaux, comme le Journal de Spirou ; certains de ces titres figureront d’ailleurs sur la tristement célèbre liste Otto, d'auteurs « juifs ou anti-allemands » à proscrire définitivement.
Le phénomène de la "banned books week"aux USA : une semaine pour promouvoir les livres censurés.
La banned books week est une initiative soutenue par Amnesty international et l'American Library Association. Seize Etats des USA dénoncent la censure à travers des rencontres, et débats sur les réseaux sociaux et dans leurs locaux. Cette semaine de célébration des livres censurés ou suceptibles de l’être s’adresse aux écoles, bibliothèques et librairies pour lever les obstacles de diffusion et les plaintes dont ils font l'objet.
Son but ? Dénoncer les effets de la censure qui prend une ampleur considérable aux États-Unis, une entrave puissante à la liberté d'expression.
Cette semaine particulière permet à la communauté littéraire (Liibraires, bibliotécaires, journalistes, enseignants, lecteurs, éditeurs…) de manifester pour mettre en avant leur désir et leur pouvoir d'accéder à tous les livres en toute liberté.
Les Banned books (livres censurés) et les challenged books (livres contestés).
L'’interdiction est « légale » sur les premiers, décrétés par la Justice de l'Etat. Ce n’est pas le cas des seconds, qui sont simplement contestés. Ceux ci ne bénéficient que d'un accès restreint dans les écoles ou les bibliothèques. Ces livres sont en péril.
Parmi les motifs de censures récurrent reviennent les principes de violence, les différents religieux, le racisme, la sexualité.
Mais l'exemple récent de John Bolton (ancien conseiller de Trump dont le livre a fait l'objet d'une demande de censure) montre en quoi la volonté des hommes politiques de manipuler l'opinion met en danger le 1er Amendement de la Constitution des États-Unis qui prône la liberté d’expression.
Et que dites vous du "un-american" ? Oui, en 2018, il est possible de faire interdire l’accès d’un livre s’il n’est « pas assez américain », sous-entendez "pas assez pro-américain". Cela ne risque pas de nous arriver en France, nous les spécialistes de l'auto-lynchage, n'est-ce pas ?
C'est le contexte historique qui modèle la censure littéraire
De la Bible qui ne fut pas traduite jusqu'au XVIe de peur que des dérives n'en modifient l'interprétation (laquelle d'ailleurs ?) à la politique de l'ordre moral prônée par Mac Mahon qui avait interdit les Mémoires de Casanova et interdit la réimpression de certaines fables de Lafontaine. On peut dire que 'histoire de la censure est balisée par les contextes historiques et politiques. Plus la morale est impérative, plus elle détruit les initiatives créatives et la personnalité de chacun.
Internet et la censure
Avec Internet, le contrôle des sources est perdu. La censure est devenue indispensable mais délicate à appliquer : secrets d'état (armes, drogues), politique institutionnelle (moralité, violence, sectes, pédophilie), idéologies dérivantes...Les hackers censés libérer de la censure sont les artisans d'une dérive du média. Et la guerre pour la maitrise de l'information est devenue technologique.
Signe des temps : Twitter a censuré la portée de messages de Donald Trump. Preuve que les media ont encore un vrai pouvoir vs le pouvoir politique.
C'est juste une guerre transposée à des temps nouveaux.
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Permettez-moi de recopier ici, (sans les coquilles) ce que vous avez écrit dans la newsletter 357 du 09 juillet 2020. Un complément indispensable pour connaitre cet énergumène d'abbé Louis Bethléem.
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Né dans une famille de cultivateur de pommes de terres, ordonné prêtre en 1894, l'abbé Louis Bethléem officie dans l’hystérie de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
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Il trouve son rôle naturellement comme censeur exalté des bandes dessinées et des romans pour défendre la morale des populations, c'est une mission. Il se propose de ficher l’ensemble des sorties de livres et de journaux pour les prescrire ou les proscrire. Son ouvrage "Romans à lire et romans à proscrire" sera tiré à des centaines de milliers exemplaires, actualisé et soutenu par une revue jusqu'à la fin des années 30.
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Avec le sens du spectacle, il dénoncera la communiste « George Sand », le rhétoriqueur d’égôut « Zola », le paganiste "Nietzsche". Il s’attaquera aux kiosques en brûlant et lacérant indifféremment les Pieds Nickelés, Mickey, Frou-frou, Paris-flirt dont les évocations sulfureuses l'excitent et le déchaînent.
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Soutenu par le Pape Pie X, Il recommande entre autres la Bibliothèque rose et Charles Dickens… D’aucuns disent qu’il suffit de lire les romans à proscrire pour tomber sur de bons livres.
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Son catholicisme est intégral, il s’attaque aussi au théâtre et à la radio. Céder pour lui, c’est s’ouvrir à la décadence des mœurs. Il aime les tribunaux et les combats frontaux. Un militant, un garde de la morale inépuisable qui perd de son aura à la veille de la deuxième guerre mondiale.
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Grâce à Dieu, Internet n'est pas de son temps et ses travaux de censure lui ont été épargnés.
@Alvyane kermoal. Merci Alvyane. La redactrice se sentait un peu solitaire avec ce type d' article. Car la bien pensance a changé de camp. Et la liberté d'expression au sens large et généreux du terme s'est maintenant muée en règles de bien pensance, ou plus prosaïquement en simple censure.
Voici un article qui résonne en moi... mon analyse est la même, il me faut le reconnaître et cette censure du politiquement correct est bien installée.
Je ne peux m'empêcher de voir V comme Vendetta et ses discours qui me font froid dans le dos lorsque je vois ce qu'il se passe ici bas. On me dira alarmiste (sans doute), cependant il faut bien reconnaître qu'à force de créer des cases, de vouloir protéger de tout avec de "nouvelles normes et valeurs, voir lois", on finit par détruire la créativité même puisqu'elle est muselée (et ce quelque soit l'Art).
On devient une société stérile normalisée pour le plus grand nombre.
Heureusement, il y eu toujours des esprits éclairés qui sont allés plus loin que ce qui est imposé par la "mode".
Merci pour cet article fort prenant.
Et pourtant, l'on sait bien que toutes les interdictions enflamment les curiosités ! Il n'y a pas meilleure publicité que la censure, car ce qui ne peut s'obtenir par la voie officielle se procure par les réseaux, quelle qu'en soit la marchandise.
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Et je vous rejoins lorsque vous écrivez : plus la morale est impérative, plus elle détruit les initiatives créatives et la personnalité de chacun. Car le RISQUE est bien d'être à nouveau censurés dans cette nouvelle époque ou toute expression est régulée par la notion d'éthique, du respect de l’autre, du respect de la bien-pensance. "le fléau des temps modernes" ! Car, "Le politiquement correct", est une "forme insidieuse de censure". Déjà, sur ce site, certains s'offusquent pour un pet de none, un mot de travers, une idée qui les dépassent. Alors, le risque est bien réel.
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Merci pour ce bel article, très intéressant.