La nuit, mon regard parcourt souvent les recoins de ma chambre, inquiet, il longe les murs dans la pénombre, glisse prudemment sur leur surface qu’il connaît bien, se heurte pourtant sur chaque meuble. Aucun d’eux ne parvient à devenir familier, réconfortant, pas même ce fauteuil, superbe et confortable, que deux mains expertes ont réparé pour le revêtir de ce cuir bleu-cyan impeccable. J’y entasse négligemment chaque soir mes habits, chaussettes et caleçon compris, laissant un voile parfois malodorant sur cette peau bleue qui s’embrasait auparavant dans le salon, offerte à l’incandescence du Sud.
Posté devant mes oripeaux, échoués temporairement depuis plusieurs jours, le large bureau de bois verni, impassible, détient dans le ventre de ses tiroirs quelques lectures recouvertes de choses inutiles, victimes de ma procrastination. La vitre qui recouvre le plateau de chêne laisse miroiter des angles saillants qui ne prédisent rien de bon.
Dehors, fixé sur le mur de la maison face à ma chambre, l’éclairage urbain découpe la nuit. Son halo jaunâtre pénètre mon intimité, entre les interstices du volet mal fermé, et m’agresse de sa luminescence intrusive. Il m’est impossible de négliger ces rais. Si je veux ressentir la douceur de quelques heures de sommeil, je dois m’envelopper d’obscurité, même si je la crains encore parfois. Mon insomnie cyclothymique culmine au sommet de sa courbe et me berce depuis maintenant plusieurs semaines. Même l’ivresse a renoncé, devenue frigide, presque inaccessible. Durant ces périodes, de plus en plus fréquentes, je m’endors à l’aube et je traîne un repos futile lorsque je parviens à rejoindre la station debout. Je suis épuisé.
J’ouvre ma couette, je grelotte, nu comme un ver. Il fait froid dans cette chambre exposée au nord. Je n’aime pas cet endroit… je vais m’emprisonner un peu plus si je baisse complètement mon volet, tel est le prix d’un sommeil espéré. Je presse sur l’interrupteur de ma jolie lampe ornée d’une corolle de porcelaine blanche, rare vestige d’une vie antérieure, dont le souvenir joyeux s’efface rapidement. Le filament incandescent irradie le vitrage de la fenêtre qui se transforme en miroir légèrement flou. Le reflet de ce flambeau floral, au premier plan, se ternit bien vite par ma silhouette qui apparaît en filigrane sur la surface polie.
Je ne reconnais pas cet homme vieillissant aux contours indécis, peu engageants. Mon apparence n’est plus à la hauteur de mes exigences, elle me déprime. Inéluctablement, ma peau subit la loi de l’attraction terrestre et tente en vain de se maintenir dignement. Si les corps caverneux sonnent creux parce qu’ils ne sont plus guère visités, principalement par manque d’intérêt, mais, soyons honnêtes, également par l’absence de propositions, les adipocytes, eux, gagnent du terrain et demandent à mon épiderme des efforts considérables qu’il n’assume plus. Je grossis, lamentablement, ma taille enfle de semaine en semaine. J’ai même des seins, bientôt aussi gros que les siens m’a-t-elle dit, qui poussent par la lâcheté de mes pectoraux.
Je me recouche, rien ne me tente dans ce tableau défraîchi, je n’ai plus le courage d’espérer. Je me sens étranger, rien ne m’apaise. Bientôt, demain, ou un autre jour, je mourrai. Seule certitude, de mon existence. En attendant, je vieillis.
Attraction Josef Reyskeed
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Christiane PABLO MORA Je suis ravi que mes mots vous plaisent à ce point, vous me touchez beaucoup. Il faut en effet savoir rire, de nos chairs qui peu à peu nous abandonnent, ça permet de moins se regarder le nombril. J'ai pointé le bout de mon nez rouge en effet, grossissant parfois le trait de cette aventure qui n'a qu'un seul sens, quand on partage on est jamais seul. Merci encore pour votre commentaire.
Amicalement Josef.
@Josef Reyskeed
Je vous ai déjà dit sur vos écrits le plaisir que j’ai à vous lire., et cette fois encore je ne peux que répéter bêtement : j’ai aimé.
Belle intention de s’accepter tel que l’on est, la vieillesse avec, mais ce n’est pas mal de lui dire de temps en temps merde, merde. Je crois quand même que j’ai aperçu votre « nez rouge » entre les lignes.
A bientôt.
@Annie Pic, merci pour votre commentaire élogieux. Vaniteux mis à part, l'acceptation de soi tels que nous sommes, représente un travail parfois acharné, d'autant qu'il devient de plus en plus ardu au fil du temps. Par chance, nous pouvons, si nous cherchons au bon endroit, trouver la sagesse et l'humour qui nous sauvent de la décrépitude morose.
Au plaisir, Josef
Bonjour @Josef Reyskeed
Ah! Nostalgie quand tu nous tiens ! J'adore ce style d'écriture qui sied parfaitement à l'ambiance désuète de votre litanie.
Vieillir n'est évidemment pas un cadeau. La peau s'affine, se flétrie, se relâche. Les muscles fondent lamentablement et libèrent les viscères, qui gonflent l'abdomen dans une joyeuse désorganisation.
Dans ce concept de la décrépitude, vient alors le principe d'incertitude. L'existence du demi être, celui qu'il fut, celui qu'il devient et celui qu'il sera ?
Bien cordialement, Annie
@mBS Thank's a lot !! Deux pour le prix d'un :-) Excellente journée !
@mBS merci pour cette fenêtre ouverte sur mes élucubrations, auriez vous siouplé un petit S à vot' bon cœur, car c'est Reyskeed avec un S entre le Y et le K, rien de grave, mais voilà trois ans que j'use mes fonds de pantalons chez le psy pour me permettre d'exister, j'ai dû faire un prêt pour payer toutes ces séances ruineuses, donc je mets à exécution le fruit de ces entretiens afin de ne point me ratiboiser d'un S. Merci j'ai beaucoup ri à vous écrire. Ne changez rien si c'est C... à faire avec un grand C.
Au plaisir !
@la miss 9 je reconnais, ça plombe un peu l'ambiance, il y a même un petit côté cynique parfois, j'avoue. Il ne faut pas prendre le texte au pied, non pas dans la tombe, mais de la lettre. J'ai un côté un peu trash, il est vrai, de rire de moi et de mes lamentations. Merci beaucoup pour votre commentaire, il me touche. l'écriture est une source de lucidité lorsqu'elle est authentique et rire de soi permet de vieillir moins vite, ensemble, c'est comme un fil que l'on tend qui porte le funambule que nous sommes. Cela n'engage que moi…
Excellente soirée.
@lamish Chère lamish, merci pour vos mots, votre bienveillance fleure bon le miel de montagne, comme toujours. Je tiens à vous rassurer, je ne suis pas sur le point d'avaler des médocs pour en finir, car, la pharmacie près de chez moi vient de brûler, comme je me suis cassé la jambe je ne peux aller plus loin. Et puis j'avais une préférence pour le gaz mais ils viennent de me le couper, mon balcon n'est pas suffisamment haut pour que la chute soit fatale… Alors… en attendant, Je rêve. Tout va bien ! Ce n'est même pas un petit coup de mou, J'ai juste grossi le trait (Ho la la ça aussi j'ai grossi…) juste un constat, pour dire il est temps ! Pour reprendre une citation du film Mr Nobody: "je n'ai pas peur de mourir, j'ai peur de n'avoir pas assez vécu…" Une réflexion sur l'enveloppe et le temps qui passe, comme chantait le grand Jacques :" Mourir, la belle affaire...mais vieillir…" Comme vous l'avez si bien écrit: l'acceptation et pas la résignation. Pour terminer sur une note positive, j'ai 58 ans bien sonnés et je n'ai jamais été aussi heureux qu'aujourd'hui… Vous avez raison, la richesse, c'est l'humain. Au plaisir !