Actualité
Le 22 mar 2021

FACE A FACE : Catarina Viti et Sol Ferrières

Sans complaisance, spontanément, on sent bien que ces deux-là se sont lus. Ils se sont si bien lus, qu'ils aiment respectivement ce qu'on pourrait croire être leurs faiblesses, qui n'est en fait que leurs styles respectifs. Deux styles qui ont quelque chose en commun : toucher la vérité de leurs plumes, dans des milieux improbables. Quand deux auteurs s'analysent si délicatement, c'est qu'ils savent vraiment lire, ce sont des écrivains.
Se lire, s'évaluer, se juger, se conseillerSe lire, s'évaluer, se juger, se conseiller

Sol Ferrières analyse et évalue la trilogie de Catarina Viti : Trois Blues du Sud

1. L'histoire

Les Trois Blues de Catarina Viti, comme un retable en trois volets, racontent les vies de Jeannie, Tistou et Philippe. Ils ne se connaissent pas et leur seul lien est d'habiter le même coin du Sud, où, au détour d'un échangeur, ils se sont peut-être croisés. Car Philippe, Jeannie et Tistou, c'est là qu'on les trouve, dans le Sud. Oui, mais pas le Sud des coteaux pierreux, où, sur fond du chant lancinant des cigales, mûrissent les grappes de cabernet-sauvignon sous le soleil ardent. Non, leur Sud à eux, c'est celui du rayon électro-ménager chez Darty, des barres d'immeubles de la ZAC, de l'arrière-cour des boîtes de nuit, où l'on s'appuie sur la benne à ordures pour fumer son joint tranquille. Leur sud à eux, c'est celui du quotidien, mais un quotidien authentique, amer, où le tragique n'est jamais bien loin du ridicule. Bref, ce retable est du type sombre, et, s'il fallait trouver une couleur à ce sud-là, ce serait moins le bleu des vagues que celui du blues. Tandis que, pour trouver un chant qui le résumerait, celui des cigales céderait bien sa place aux plaintes ensorcelées du même blues, celui de la noire, mais tout aussi ensoleillée, Amérique.

 2. Ce que j’ai aimé : la rugosité du vrai

L'écriture de Catarina Viti, c'est avant tout une phrase nerveuse qui claque comme un fouet. Commencez à lire et vous serez emportés, comme une brindille par la rivière, pour n'être libérés de l'envoûtement qu'une fois le chapitre terminé. Mais l'auteure ne se contente pas d'avoir l'élan de la conteuse, le sens de la phrase et du récit, elle revient sur ses textes et ça se sent. Ils sont travaillés, aiguisés, taillés comme des pierres fines. Or ce n'est pas la perfection qui est ici recherchée, le poli de la surface débarrassée de ses aspérités, mais au contraire la rugosité du vrai, d'où la recherche du mot local, du parler endémique, qui donne aux phrases leur tournure si particulière, ancrée dans le sud âpre des personnages.

 3. Ce que j’ai encore plus aimé : dessiner pour elle

Lorsque Catarina m'a demandé de réaliser une couverture unique pour les Trois Blues, une image s'est imposée à moi. Les trois personnages ont en commun leur dérive, et cette dérive finit toujours par se cristalliser au volant d'une voiture, que ce soit dans un embouteillage, sur un échangeur ou une aire de repos. C'est ainsi que j'ai choisi de dessiner cette solitude autoroutière que nous connaissons tous très bien. Un peu comme si la voiture, parce qu'elle nous condamne à une sorte d''errance en conserve, un voyage où toute communication avec l'extérieur est abolie, était la meilleure expression possible de ce tragique ordinaire si caractéristique des Trois Blues.

 

 Catarina Viti Sol analyse et évalue les deux ouvrages de Sol Ferrières : Un certain Arthur Kramm et l'éclat de verre

1. L'histoire

Un médecin de campagne en proie à un dédoublement de personnalité glisse de Jekyll en Hyde. Un marginal solitaire, sorte de Nosferatu post-moderne, glisse de sa banlieue crasseuse vers les beaux quartiers. Métamorphoses, dérives, déambulations, égarements... que ce soit dans L’éclat de verre ou Un certain Arthur Kramm, Sol Ferrières écrit, dessine entre noir et blanc des êtres au-delà d’une certaine humanité. Il nous dépeint un univers sombre, fantastique, hyperréaliste et d’une sensibilité à fleur de peau.

2. Ce que j’ai aimé : l’univers

Sol Ferrières me fait visiter des univers qui me fascinent, mais dans lesquels je n’irais pas me promener seule. Je m’y perdrais. Je n’en possède pas les cartes, et leurs arcanes me demeurent mystérieux. Aussi, suis-je toujours émerveillée de trouver un Virgile d’une telle valeur. En plus de la visite guidée, il y a dans les textes de Sol Ferrières une hypersensibilité qui s’exprime à travers objets et détails. L’éclat de verre est traversé de bout en bout par ce tesson pointu, lancinant et tranchant comme un scalpel. Un certain Arthur Kramm est hanté par les ongles effilés du personnage qui rappellent ceux du Nosferatu de Murnau. Même une fois le livre refermé, la sensation de la coupure, le goût métallique du sang, son éclat vif dans la plaie restent imprimés dans la mémoire, quelque part entre attraction et répulsion, entre Éros et Thanatos.

3. Ce que j’ai encore plus aimé : la formule

Je me suis autorisée à l’intituler BD Blanche. Autrement dit, une BD dont toutes les images se seraient volatilisées. Une page au format 15 x 22,7 dans laquelle tout l’espace devient signifiant. Chaque page est animée en huit blocs. Huit est le nombre de base auquel Sol se tient ; celui qui donne la régularité, la structure et le tempo au texte —quitte à le modifier ici et là pour le réduire à deux ou trois blocs, voire à un seul. Ces contraintes engendrent une scansion particulière, car les phrases n’excèdent jamais la limite du bloc. C’est un peu la version du mètre poétique de Sol Ferrières.

Autour des blocs, le blanc de la page. Ce blanc n’est pas vide. Comme la vacuité, il regorge de sens, il sert de contenant à l’imaginaire du lecteur, lui permettant de reconstituer par lui-même les éléments que l’auteur a volontairement tenus à distance, dans le silence : tout ce qui ne relève pas de la moelle même de l’histoire. Exit les effets de syntaxe ! Exit les descriptions, les explications, les justifications, les plongées en apnée dans la psychologie des profondeurs. Tout n’est qu’image, action, émotion.

Du texte, entièrement dégraissé, il ne reste que l’essentiel : quelques mots chargés de sens et d’images qui permettent au lecteur de composer librement le tableau et d’habiter à son aise, à son goût, les espaces blancs de la page.

Il me reste encore à évoquer la couverture du roman. C’est elle qui donne ton à l’histoire, le coup d’envoi au crayon ; unique moment où l’illustrateur Ferrières intervient pour nous donner le la.

4. Ma réserve ou mon conseil ou les deux.

Je conseille sans réserve de découvrir cette façon unique d’écrire

 

 

Catarina Viti : Trois Blues du Sud

 

 

 

 

 

Sol Ferrières  : Un certain Arthur Kramm et l'éclat de verre

L'éclat de verre

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

Bonjour @Chapon David. Que vous ayez reconnu mon style dans Grand Nord, eh bien cela me fait grand plaisir. Je suis bien le seul au monde à ne pouvoir relever ce que vous, en tant que lecteur, vous voyez, càd des continuités d'un texte à l'autre, en dépit des différences, parce que vous reconnaissez la présence de l'auteur qui est derrière les variations, ce que moi, étant l'auteur, je ne puis bien sûr pas faire (moi je vois surtout les différences). Je salue votre finesse de lecture et vous la souhaite excellente pour Grand Nord!!! (sortie prévue le 16 avril)

Publié le 12 Avril 2021

@Sol Ferrière, j'ai lu les très beaux extraits disponible sur le site de votre éditeur, et au risque de vous décevoir j'ai bien reconnu votre style, quoiqu'il s'agisse d'une histoire et d'un univers totalement différent de ce que j'ai pu lire sur mBS en effet ; mais pour mon plus grand bonheur, et j'ai hâte de le recevoir ! également découvert cette résidence d'artiste flottante à laquelle vous avez participée, très inspirante... à bientôt

Publié le 12 Avril 2021

Merci toutes et tous pour vos commentaires sympathiques! Merci Catarina pour l'annonce de mon bouquin Grand Nord. Je tenais toutefois à préciser que ce livre est signé de mon vrai nom, pour la simple raison que c'est un tout autre univers que celui de Sol Ferrières (mon pseudo pour les titres dont il est question dans le Face à Face). Et donc, cher @Chapon David, cela me fait bien plaisir que vous l'ayez commandé, mais attendez-vous à lire quelque chose de complètement différent de ce à quoi je vous ai habitué ici sur mBs (mais ça, je crois bien que vous l'aviez déjà deviné)... Bon après-midi à tout le monde!

Publié le 10 Avril 2021

@Catarina Viti, mille mercis pour l'annonce de la publication ! Je viens de pré-commander l'ouvrage, plus qu'heureux de découvrir son univers polaire !

Publié le 31 Mars 2021

@Chapon David. Moi aussi, je suis fan de Sol F. Et je profite de l'occasion pour vous annoncer la sortie prochaine de son dernier livre illustré "Grand Nord", aux éditions suisses Hélice Hélas. Distribué sur toutes les plateformes de vente et disponible chez tous les libraires. Pour en savoir un peu plus sur la genèse de ce livre étonnant : https://www.helicehelas.org/grand-nord.

Publié le 30 Mars 2021

Très heureux d'avoir découvert un Certain Arthur Kramm ici, il y a quelques temps déjà. Un magnifique texte. "BD blanche" est une bonne qualification

Publié le 29 Mars 2021

Merci @Kroussar, @lamish, @LadyAutrice1800.
Le "Face à Face" est une des plus riches idées de monbestseller.
Une pas moins magnifique est "Les Classiques et moi".
Mon souhait est que cet échange avec Sol Ferrières suscite chez d'autres auteurs le désir de se livrer à l'exercice.
Merci à tous.

Publié le 23 Mars 2021

Face à face ? Ne serait-ce pas plutôt côte à côte ? Car ce compagnonnage électif et littéraire scintille dans ces phrases que vous vous adressez et dont nous sommes les lecteurs émerveillés.

Vos œuvres si jumelles et si dissemblables sourdent bien d’une même source : l’amour des mots, l’attention aux êtres d’encre et de papier.
Pages si dissemblables et si proches. Pages dont l’entrechoquement bouleverse. Pages brûlées à l’âcre de vos mots et des images encore plus âpres pour n’être pas tracées ; réverbérant ces destins enténébrés de soleil et de noirceur. Mais pages jumelles dans ce même élan, celui du verbe et de l’imagination, et qui nous révèlent des destins rendus inoubliables.
Merci pour cette bien belle chronique.

Publié le 22 Mars 2021

Deux auteurs uniques dans leur genre, éloignés dans la forme, mais proches dans l'hypersensibilité qui s’exprime à travers leurs mots. Bravo, pour ce face à face.

Publié le 22 Mars 2021