Avant même de l'avoir invitée au restaurant, j'ai su que j'avais tiré le gros lot et qu'en un mot nous allions convoler.
On était en 39 – pas le département mais l'année – et croiser une bourguignonne à Bagatelle en plein mois de décembre c'était aussi rare que voir boutonner des gueules de loup à la saint Nathan.
De la course du taxi il me restait de quoi payer le resto et la chambre d'hôtel pour notre nuit de noces.
La gargote s'appelait “Au cochon grillé”, ça ne s'invente pas et ni l'un ni l'autre n'avions faim de ça.
Personnellement je ne mets jamais d'échalote dans le ragoût de lapin mais je n'allais pas pinailler un jour comme celui-là et elle non plus.
Elle était si craquante à regarder, elle découvrait le homard pour la première fois et moi sa cuisse chaude et puis ce maquillage de sauce tomate au coin de la bouche lui allait à ravir.
On a fini le repas sur une poire-gaufrettes, elle a choisi la gaufrette et moi, la poire... l'addition.
Dans la fillette que le patron séquestrait jalousement dans sa cave – un Emile et Rose (Aramon 1935) – il ne restait plus rien à part un parfum de cassis languedocien et une furieuse envie de Béziers qui nous tordait le bas-ventre à tous les deux.
L'Hôtel d'Abyssinie' tombait à pic pour ma reine de Saba, en pleins travaux de ravalement (l'hôtel) et futur “Calva frétillant” mais c'était le dernier de mes soucis et elle aussi.
La suite poussiéreuse – j'ignore pourquoi on appelle ça une suite quand on n'a pas encore commencé – sentait le plâtre frais et moi l'échalote, le lavabo était engorgé alors j'ai bricolé un peu, beaucoup, furieusement... je n'étais pas adroit de mes mains et elle aussi.
Quant au lit bancal et aux draps de toile molle ils me rappelaient vaguement une chansonnette mais Felicidad – les bourguignonnes ont d'étranges prénoms – m'ôta toute envie de réfléchir tant ma surprise fut grande autant que sa frénésie !
Felicidad c'était tout à la fois quarante piges, callipyge derrière et pas farouche devant mais j'ignore pour quelle raison elle avait gardé son poil d'hiver et j'avoue que ceci a freiné mes ardeurs.
De plus Felicidad beuglait pendant l'amour et j'eus droit au répertoire de Berthe Sylva, de 'Frou Frou' jusqu'à 'Rien ne vaut tes lèvres'.
Je profitai du dernier couplet de 'Les grognards qui passent' pour conclure, baïonnette au canon tandis qu'elle entonnait un ban bourguignon. Pour les incultes un ban bourguignon ça n'est pas une position assise du Kamasutra mais ça fait «Lala, lala, lalalalalère...», cinq notes, deux onomatopées et neuf claquements de mains qu'elle exécuta sur mes fesses.
Alors pour rester dans le thème j'ai fait monter deux galopins de Kir mais du vrai, de l'authentique, 2/3 de bourgogne aligoté et 1/3 de crème de cassis de Dijon à 20°; Felicidad était aux anges, ceux du septième ciel devant cette délicate attention.
Aujourd'hui je crois entendre à nouveau le bruit de cette fessée magistrale qui scella notre amour et Felicidad aussi.
Vegas sur sarthe_Felicidad
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Felicidad me fait penser à cette célèbre chanson (https://www.youtube.com/watch?v=TxNfGHhETk0) . Rien à voir avec les bourguigons. Merci pour ce texte.
@jbtanpi
Merci pour votre com et le lien musical que je ne manquerai pas de visiter.
Je vous souhaite une belle inspiration pour ce thème
Votre nouvelle m'a fait penser à "la felicidad" (ja,ja,ja,ja), succès sud-américain des années 60 chanté par Palito Ortega (on le trouve sur youtube). J'étais là-bas à l'époque, et la radio m'en a fait largement profiter.
Félicitations pour cette nouvelle déjantée dont j'aime bien le style bref et précis.
Pour tout dire, votre Felicidad bourguignonne m'a fait fondre (et je ne parle pas de l'illustration de mBS !).
Et je me suis beaucoup amusé.
De plus j'ai appris ce qu'était le ban bourguignon, ce qui manquait cruellement à ma culture générale.
Je ne peux que vous féliciter pour cette inoubliable nuit de noce qui m'a donné envie de participer à cet appel à l'écriture pendant qu'il est encore temps.
Merci à vous, @Vegas sur sarthe.
Et maintenant, il va falloir que je m'y colle !
jbtanpi
P.S. : Si vous avez un coup de blues, une ch'tite vidéo de " la felicidad" par Palito Ortega, c'est bon pour le moral ! Et je suis sûr que vous en apprécierez le rythme.
https://youtu.be/Ivu9LBIHoh8
@nours. C'est ce que j'appelle une nuit à gorge déployée :)
@Vegas sur sarthe
Une nuit de noce comme je les aime, hors des sentiers battus. Rythmée, sans fioriture, efficace… et sans doute pleine de rires .
Merci pour ce retour encourageant @lamish. Bonne journée
Content de vous avoir fait partager ce moment d'extase un peu désuet @Sylvie Petitmarie
Merci @Michel CANAL pour votre commentaire. Je reconnais que la Félicie chantée par Fernandel m'a bien inspiré et je n'ai pu m'empêcher d'y joindre une note bourguignonne de mon crû (de naissance)
@Vegas sur Sarthe_Felicidad, que voilà une affaire rondement menée, baïonnette au canon et en fanfare.
J’ai aimé à la fois le style et le rythme qui m’ont rappelé la gouaille des vieux films des années trente, l’accent de Louis Jouvet et la célèbre réplique d'Arletty dans Hôtel du Nord : « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? »
Merci pour ce partage avec une nouvelle facette sur le thème "Nuit de noces" (ou pas pour celle-là), mais le résultat est le même.
Excellent moment de lecture!