J'ouvre la fenêtre. Il fait beau. Ça sent le tilleul. Toute la ville sent le tilleul. C'est comme si l'on baignait dans une gigantesque infusion. De temps à autre, une sorte de petit souffle venu d'on ne sait où s'égare dans les branches des grands arbres de la place et l'odeur, soudain, apporte l'ivresse. Vraiment.
Je reste un moment comme ça, à moitié nu, à sentir toutes ces bonnes choses sur moi. Je me dis que je n'aurais même pas besoin de prendre une douche tellement l'air est doux, j'ai l'impression qu'il pourrait me laver de tout. Ça fait si longtemps que ma peau n'a pas reçu une telle caresse.
Mais il ne faut pas que je m'égare, que je me laisse bêtement enivrer comme ça. J'ai une chose à faire, moi, une chose importante, très importante même. Peut-être la plus importante que je n'ai jamais eu à faire. Alors il ne faut pas que j'arrive en retard. Un rendez-vous comme celui-là, c'est inespéré, c'est comme le soleil insouciant qui se lèverait sur un jour noir de tempête.
J'ai mis le tee-shirt blanc, celui qui colle bien. Les muscles qu'on a fait travailler comme des machines, il faut que ça se voit. Je regarde le mec qui est devant moi, dans la glace, les cheveux soigneusement peignés, le teint un peu pâle mais enfin, ce mec-là, je le trouve pas mal du tout. Propre, à l'aise dans ses baskets, impeccable, nickel quoi.
Je me dis que j'aurais presque le temps de descendre jusqu'à la mer si je ne traîne pas trop. Marcher dans tout ce soleil, dans le calme de la ville pas encore bien réveillée, la tête vidée de tout. Juste la vie légère comme l'ombre d'une belle femme parfumée au tilleul qui me frôlerait. Juste tout ça ... et moi. C'est ça oui. Et puis, si j'ai encore le temps, un petit café sur le port, histoire de me détendre vraiment, l'émotion ça peut nouer les nerfs non ? Et je n'ai pas besoin de ça, je dois être tranquille, souriant, un mec bien quoi, heureux, tranquille sur ce qui l'attend.
Un rendez-vous ce n'est pas rien, surtout un rendez-vous pareil. Ce n'est pas le moment de se poser des questions de dernières minutes, de se demander si tout est bien, si je n'ai pas oublié quelque chose, si je n'ai pas trop forcé sur l’after-shave ou sur le gel des cheveux. Tout ça est inutile à présent, tout va bien se passer, il n'y a pas de raisons qu'il en soit autrement. Allez, il faut y aller.
Je suis prêt. J'ouvre la porte.
Le fracas.
La lumière crue qui tombe du plafond, le bruit qui crève les tympans, et l'odeur, l'odeur...
Je me retourne sur mon lit, j'écrase ma tête contre le mur pourri qui transpire l'humidité. Je serre fort mes mains contre mes oreilles. Je refuse de me réveiller, je ne veux pas le croire, je veux rester comme çà, dos à la réalité, le corps refermé sur lui-même pour garder encore un peu de ce rêve qui déjà n'est plus. Une sale chaleur moite et crasseuse me colle au corps, un air vicié me noue la gorge. J'étouffe, je ne veux pas, non je ne veux. Et puis il y a cette voix brutale, ce coup donné contre mon lit :
- Tu te lèves ducon. C'est parloir aujourd'hui, il faut te bouger un peu quand même.
Je ne bouge pas, je ne veux pas. Il y a ce rire gras à côté de moi et la voix qui reprend :
- C'est vrai que ducon, il est pas pressé ! Y'a jamais personne qui le demande au parloir alors !
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@lucas Belmont3
Merci Lucas Belmont pour ce très beau commentaire qui me touche beaucoup. Je n'aurais pas pu espérer mieux.
@rain087
Merci et bienvenu dans mon petit univers!
@MaureenHann
Merci d'avoir lu ce petit texte et de l'avoir aimé. Amicalement
@BorisPhillips
Et ce qui est le plus important, plaisir de partager avec vous cher ami lecteur. Merci
Bonjour@krydece
et j'ajouterai, pour continuer dans la provocation que j'aime beaucoup: et qui ne laisse sur la table que les restes que l'on jette. Merci de votre commentaire
Un très beau texte, @Antonia Delpopolo, qui mène des sublimes frontières oniriques à celles, plus triviales, de l'impossibilité - voire du refus - de communiquer.
Merci de ce partage.
Cordialement.
Philippe.
@Antonia Delpopolo
Bonjour,
Joli texte, une belle chute, merci .
Amicalement
Maureen
Bonjour @Antonia Delpopolo.
Je ne suis pas fanatique des romans ou nouvelles en général mais vous parvenez à un style familier et correct à la fois et en plus, vous parvenez à captiver, sinon capturer le lecteur, ce qui est une très grande qualité, précieuse en écriture. Je pourrais ajouter un peu, par provocation, que la caractéristique du rendez-vous, c'est le repas qui commence par le dessert et finit par la soupe....