Interview
Le 23 mar 2022

LE SAC À ROSE.

Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois : expression française du XVII ème et qui signifie "viser deux objectifs et risquer de les perdre tous les deux". Usité par le monde de la chasse dans un premier temps, il s'étend aux entreprises galantes d'un homme à l'égard de deux femmes. Mais Jean-Baptiste Tanpi (jbtanpi) nous prouve que la réciproque est possible
La nouvelle de Jean-Baptiste Tanpi pour Double Jeu, l'appel à l'écriture mBSLa nouvelle de Jean-Baptiste Tanpi pour Double Jeu, l'appel à l'écriture mBS

                                              Double je

La chimie des sucres, quelle galère ! Les énantiomères, les molécules chirales…
Je suis un mec qui râle devant mon "énantiomec", mon chiral, celui qui m’observe depuis la glace du lavabo de ma chambre d’étudiant. Il est virtuel, mais je m’en fous.

C’est clair ?

Non. Alors j’explique. Mon nom : Jean-Baptiste Tanpi. Je suis en prépa à Lille pour une grande école, et un oral de chimie m’attend demain. 
Je risque d’être complètement sec devant l’examinateur, car j’avais profité du beau temps (assez rare en cette saison) pour sortir et draguer au lieu de rester bosser ici. 
Ce soir, il fait un temps de chien et j’ai rendez-vous à la gare à 18h15 avec une jeune Allemande un peu maniérée et très fière de son sac orné d’une rose. Je vais marcher une demi-heure sous la pluie pour la rejoindre là-bas. Ah ! Si j’avais une voiture, je resterais au sec, et le deuxième chapitre de mes aventures s’intitulerait :

                                                   Je double...

un connard qui se traîne au milieu de la côte dans sa bagnole pourrie.

J’ai le temps de me rabattre avant d’arriver en haut, mais cet  enfoiré accélère dès qu’il me voit à-côté de lui. Alors j’accélère moi aussi… et c’est le Big Bang ! Les astronomes n’ont rien inventé.

Par chance, je n’ai pas de voiture. (On se console comme on peut).

Je suis  un étudiant fauché résidant à la cité U, tandis que d’autres, comme Bertau, ont les moyens de louer une chambre près de la gare. D’autres veinards ont une voiture, ce qui facilite la drague.

Arrivé tout trempé dans le hall à 18h18, je suis interpellé par Bertau, à peu près sec, mais  nerveux :

— Salut Tanpi ! Qu’est-ce que tu fous ici ? Tu cherches quelqu’un ?

— Oui. J’ai rendez-vous avec une Allemande.
— Moi aussi. Elle s’appelle Rosa.
— Nom de D… ! Son sac !!! C’est la même !

Je regarde mon camarade. Nous pensons en même temps : Merde !

                                               J’ai été doublé !!!

L’image des deux bagnoles dans la côte… la voiture en face qui arrive...

— Le sac…, murmure faiblement Bertau.

— à rose..., murmuré-je à mon tour.

Et c’est l’illumination : un  morceau de sucre clignote faiblement dans le ciel, puis un magnifique cristal de saccharose apparaît devant nos yeux éblouis.

Sauvés momentanément par la chimie et le retard de la fille, mais la réalité terrestre nous attend.

— J’ai potassé à fond les corps gras, fait Bertau, mais pas les s…

— Attention, la voila !
— Je file, faut que je bosse les sucres. J’te la laisse. Bise-la de ma part. Salut !

Il s’évapore, me laissant seul face à la fille qui vient juste de nous apercevoir tous les deux.

Elle est déçue.

                                                 Je suis unique.

— C’est un coup monté !, fait-elle sèchement.
— Non. Je le connais à peine. Quand il vous a vue, il s’est sauvé et m’a chargé de vous faire la bise.

J’échappe de peu à la gifle, mais pas aux insultes en allemand. La belle hausse les épaules et fait demi-tour. Ouf ! Quel soulagement ! J’ai toute la nuit pour bosser la chimie des corps gras.

                                                   Enfin seul !

Mais que se passe-t-il ? Après avoir fait quelques pas, elle s’arrête et revient vers moi.

                                                    Raté !

— Je vous ai entendu.Vous vous êtes moqués de moi, fait-elle.

— Non. C’est vous ! Vous avez donné rendez-vous à deux garçons à la fois. Qu’espériez-vous ? Nous sommes en 1960 et non dans un roman du XIXe siècle où les aristocrates se battaient en duel pour une fille. Nous sommes juste de modestes étudiants en chimie.

— Vous n’avez aucune fierté. Votre camarade a fui lâchement, et vous ne pensez qu’à me faire la bise ! Quelle vulgarité !

— Jolie princesse, permettez-moi de vous citer un proverbe de ma pampa natale : il ne faut jamais viser deux pigeons à la fois, même avec un fusil à deux coups. Car on est certain de revenir bredouille.
— Espèce de minable cul terreux !

Je fais une gracieuse courbette :

— Merci. Vous avez raison. Je retourne cultiver mes patates. Adieu !

Je me coule vite fait dans le flot des voyageurs. C’est la première fois de ma vie que je suis aussi pressé d’aller travailler.

                                                       Retour à la case départ (sous la pluie).

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merci @Jenie , à vrai dire, je me suis bien amusé à écrire ce texte, et je suis ravi qu'il vous ai fait sourire. Quant à la structure, j'aime bien qu'elle soit apparente, car ça facilite le travail d'écriture . Si j'avais mis des numéros à la place des titres, mon texte aurait été incompréhensible !
Amicalement.
jbtanpi

Publié le 25 Avril 2022

@jbtanpi

J'ai beaucoup apprécié votre histoire. J'ai eu le sourire aux lèvres en la lisant. J'aime bien l'histoire mais également la structure de votre texte.

Au plaisir de vous lire.
Tatiana Debarbat

Publié le 18 Avril 2022

@jbtanpi
j'espère que mon dernier commentaire ne vous a pas rappelé "dans le mauvais sens du terme" votre âge. Je pense au contraire, à une génération prête à nous en apprendre beaucoup. En terme d'écriture, souvenirs et bien d'autres choses. Il faut savoir regarder et écouter. Je pense effectivement que le réel peut se mêler à la fiction avec passion. Effectivement, le lecteur est parfois exigeant et espère beaucoup de l'écrivain. Je suis heureuse que vous lisiez mon livre, j'ai hâte d'avoir votre retour sur mon écrit. Toutes les critiques constructives sont les bienvenues. D'autant plus de votre point de vue à vous. J'en serais flattée.
Amicalement
Maureen

Publié le 15 Avril 2022

Merci @Maureen Hann de me rappeler que la logique de mes textes est difficilement déchiffrable.

Sur le thème "Double jeu", j'ai d'abord pensé au miroir et à l'image qu'il me renvoie (symétrie, etc.), puis à mes souvenirs de chimie (le charme des jolies molécules !), et à une mésaventure d'étudiant assez proche de celle que j'ai contée.
Les souvenirs (et les témoignages) ne sont pas très fidèles et s'usent avec le temps.
Quand on écrit une fiction, on peut les utiliser, mais il faut généralement bricoler la réalité si on veut intéresser le plus de lecteurs possibles (sauf si on écrit uniquement pour soi-même).

Votre commentaire m'a subitement rappelé que j'étais un vieil homme né en 1939, juste avant la guerre.
Nos univers sont tellement différents !
J'ai commencé à lire votre livre publié sur mBS, et je vous ferai bientôt part de mes commentaires.
Amicalement.
jbtanpi

Publié le 14 Avril 2022

@jbtanpi
Un méli mélo de jeux de mots que j'ai dû lire deux fois, je dois l'avouer, pour arriver à déchiffrer la logique du texte, mais vous venez de répondre à Boris Phillips et je m'en sors mieux soudainement. J'aime l'utilisation des jeux de mots avec je , jeu et double… Bien écrit et agréable.
Merci pour le partage.
Amicalement
Maureen

Publié le 07 Avril 2022

Merci @Boris Phillips. J'ai eu envie de jouer avec les mots et avec mes souvenirs d'étudiant.
Pour être plus précis, ces souvenirs ont plus de soixante ans. Pour échapper à la tristesse ou l'absurdité de la vie actuelle (telle qu'elle est présentée dans les médias), je préfère retomber dans les blagues de potache... et y rester.
Qui joue avec qui dans cette histoire ?
Cette fille a triché et son jeu aurait pu être cruel pour les deux étudiants.

Pour écrire ce texte, j'avais à ma disposition les mots "je", "jeu", "double", le verbe "doubler".
Plus un souvenir d'étudiant et des notions de chimie qui ont fondu avec le temps.
Que faire avec tout ça ?
La structure du texte a été inspirée par celle du sucre (le saccharose) qui est un sucre double avec une molécule à peu près symétrique.
L'histoire commence par les élucubrations d'un étudiant un peu stressé...

Publié le 28 Mars 2022

Savoureuse, @jbtanpi, votre suite de malentendus et de confusions.... mais, qui joue avec qui au juste dans cette fantaisie aigre-douce ?
Cordialement.
Boris Phillips.

Publié le 25 Mars 2022

Le sac de l'illustration est magnifique. Merci @mBS !
Il est bien plus joli que la structure du cristal de saccharose !

Publié le 24 Mars 2022