Etre et avoir été

Etre et avoir été, la proposition de Daniele Chauvin pour le concours Double jeu

Le printemps ouvre les fenêtres, habille les arbres et fleurit les prés. Je parcours les catalogues de mode envoyés sur ma boîte de réception par mes marques préférées. Non que je souhaite renouveler ma garde-robe. Encore que…  J’aime regarder les nouvelles coupes, les impressions, l’utilisation des broderies, des fronces, des plis. Cette année, la mode est au long : jupes à plusieurs étages froncés, en tissus légers et fluides, à motifs floraux. Les robes aussi sont longues. Leurs décolletés embellissent autant les poitrines généreuses que les bustes menus. Toutes les sortes de manche existent, depuis les volants cousus directement sur les emmanchures, jusqu’aux manches longues et bouffantes.

Je m’imagine marchant sur la plage, au soleil ou dans le vent, le frôlement d’une jupe en coton me caressant les jambes. Le haut est ajusté dans le dos et devant. Des pinces montent de la taille jusqu’au-dessous de la poitrine, la soutenant dans un port fier. Une seule bretelle le retient, laissant l’autre épaule nue, lisse et dorée. Je porte des tennis afin de courir aisément sur le sable pour rejoindre mon amie dans une partie de badminton endiablée.

La mode donne des ailes cette année.

Je clique sur la barre d’adresses et bascule sur les régions où la Nature nous invite à vivre à pleins poumons.

Le chemin est pentu et caillouteux mais la récompense nous attend au sommet quand le regard se perd jusqu’au loin, de l’autre côté de la vallée où scintille la rivière, au-dessus des champs et des bois, le long de la crête hérissée sur le ciel.

La bande des amis s’assoit sur l’herbe en posant le sac. On sort le pain, le chocolat, les fruits et les gourdes d’eau fraîche. On discute, on rit, on prévoit la balade du lendemain. On est heureux d’être là, prêts pour un joyeux retour, attentifs à nos appuis sur les pierres qui risquent de rouler sous nos pieds. Je suis déjà debout, le sac sur le dos et tout le monde démarre d’un pas résolu. Nous chantons à tue-tête en descendant la montagne. Ce soir nous préparerons la fondue savoyarde et nous mangerons, boirons et danserons jusqu’au bout de la nuit. La route est un peu longue et nous devons enjamber de grosses branches mortes parfois, mais nos mollets musclés ne nous lâchent pas. Nous arrivons au village au jour finissant, mais, peu pressé de refermer la porte sur la nuit, nous entamons une partie de ballon. L’obscurité nous oblige enfin à rentrer préparer notre fondue. Quelle rigolade !

Repus et harassés, nous nous allongeons sur nos couchettes spartiates et nous tombons subitement dans un profond sommeil.

Aïe !

Ma tête a glissé du clavier de mon ordinateur sur le bois de mon bureau et je dois me retenir des deux mains pour ne pas basculer de ma chaise. Je me suis assoupie… Un furieux mal de dos ralentit mes mouvements pour me redresser. Mes jambes un peu ankylosées me portent doucement vers ma salle d’eau où je décide de passer un gant humide sur mon visage pour me rafraîchir et me réveiller. Le miroir me renvoie le portrait d’une mamie au regard pétillant, peut-être, mais aux joues flasques et ridées, aux bras empâtés par la cellulite et au cou fripé. Et, nom d’une pipe, quel mal de dos !

Qu’importe, ce retour vers ma jeunesse m’a ragaillardie et demain, une bonne séance de Pilate replacera toutes mes vertèbres dans l’ordre. Ma vitalité n’est pas morte : bien cachée à l’abri de ma vieille carcasse, elle se manifeste souvent, et, si le temps a fait son œuvre sur l’enveloppe, le contenu de l’enveloppe, lui, peut encore surprendre.

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