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Du 14 jui 2022
au 14 jui 2022

Trahison

Les présentations de ses amis à ses amis tournent parfois court. Car les amis de nos amis peuvent devenir leurs amours. C'est la mésaventure de Florient pour lequel les choses n'ont pas tourné comme elles auraient dû. Et pourtant bonnes intentions et complicité sont à la clef. La participation de Danièle Chauvin à l'appel à l'écriture : Rien ne s'est passé comme prévu
La nouvelle de Danièle Chauvin : Rien ne s'est passé comme prévuLa nouvelle de Danièle Chauvin : Rien ne s'est passé comme prévu

Après le concert, Florient sirote son Schweppes pendant que Melpomène, sa chère contrebasse, se repose dans sa chambre. Il observe les bulles qui montent et explosent à la surface. Elles lui inspirent soudain une petite mélodie vigoureuse et pourtant légère comme l’enfance, espiègle comme le pétillement du soda. Il lui faut des paroles rigolotes. Des petites blagues d’écoliers. Il s’assoit à sa table et l’histoire se déroule d’instinct, souvenir des élèves malicieux qui jouaient avec lui en se moquant de son air trop sérieux. Ainsi naît Chifoumi.

Puis il écrit la musique. Des notes piquées, sonores et brèves, bien marquées seront interprétées par un piano. La guitare ne traduira pas la stridence des cris d’enfants. Au clavier, le musicien pourra faire sonner fort les petits sauts, les courses subites, les exclamations. Melpomène sera la maîtresse ramenant l’ordre parmi les têtes folles.

Il va la chercher, la sort de son étui et s’installe avec elle, l’accorde avec douceur, lui promet une nouvelle expérience dont elle se souviendra, comme de toutes celles qu’ils ont vécues ensemble. Il lui présente Chifoumi. Il est très tard. Alors, avant de dormir, ils égrènent une berceuse ronde comme un chaton enroulé sur lui-même et douce comme le duvet d’un oiseau.

Florient range Melpomène dans son étui, dans sa chambre, s’allonge, réfléchit à ce nouveau projet. Son orchestre Hermano, n’a pas de pianiste, juste deux guitares, Gilles et Fredo, le saxo Hugo et lui avec Melpomène. Trouver un pianiste. Il en parlera demain à ses copains.

 

La sœur de Fredo connaît la copine de sa copine, Anaïs. On peut essayer.

 

Anaïs, n’a évidemment jamais joué avec eux, ou l’inverse. Pour les standards, ce n’est pas grave, le jazz est un langage universel. Pour une création, c’est plus délicat. Il faut la briefer. Florient lui propose de venir mardi. Elle hésite un peu. Elle resserre le chouchou qui retient une quantité de longues tresses rousses, attrape le pan de son écharpe de lin vert, le tortille au bout de ses doigts et réfléchit. Elle lâche son écharpe, demande une seconde. Sa robe à plis serrés s’évase et tourne en une onde qui s’échappe à l’extérieur. Florient fixe la porte et s’étonne de son impatience de la voir revenir. Sa réponse importe certes, mais c’est sa présence qui lui manque. Elle rentre et déclare que son rendez-vous a pu être repoussé.

 

Mardi paraît loin. Florient se sermonne. Pourquoi se mettre dans un tel état pour une apparition de quelques instants ? Justement… C’était une apparition, une vague de couleurs, un rayon de lumière. Florient se confie à Melpomène. Un bon solo bien jazzy lui remet la tête à l’endroit.

Melpomène et Florient, des partenaires fusionnels…

 

Le mardi, Anaïs s’installe au piano. Elle a changé de coiffure. C’est un chignon haut perché, des petites mèches s’en évadent en frisottis sur sa nuque. Sa tunique en coton ocre tombe, droite et raide, sur son sarouel brun, ample et fluide. Florient est vaincu. Il attendait ce moment avec appréhension. Il se sentait emporté par des sensations inhabituelles qu’il ne maîtrisait pas. Il n’aimait pas cela. Il avait essayé d’éloigner Anaïs de son esprit durant ces derniers jours. Mais la voilà, et son émoi le submerge.

 

Elle ouvre la partition et déchiffre Chifoumi. Il redescend sur Terre. Il pose les accords de Melpomène sur le jeu d’Anaïs. Tout va bien. Si bien.

Il s’excuse de lui avoir imposé ce contretemps. Elle ne regrette rien. Elle est si heureuse d’entendre sa contrebasse.

— Quelle profondeur dans sa sonorité ! Oserais-je vous demander d’en jouer ?

— Mais votre instrument est le piano, s’étonne Florient.

— Non. Le piano m’est accessoire. Je vibre pour la contrebasse et la vôtre…

— Melpomène précise Florien.

— Et Melpomène me parle.

Contre toute attente, Florient confie sa vieille amie à Anaïs.

 

Quelques accords plus tard, Melpomène et Anaïs jouent comme si elles se connaissaient depuis toujours. La vieille dame dévoile tous ses charmes, donnant d’elle-même ses sons les plus secrets, ses slaps les plus percutants et Anaïs lui répond, l’entraîne. Les voilà toutes deux embarquées dans leur univers d’harmonie et de complicité.

Melpomène Florient découvre Melpomène autre : si chaude, si douce, si loin. Elle n’a jamais résonné comme aujourd’hui. Anaïs est toute à son plaisir, à son union avec elle.

Elles oublient Florient.

 

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