@Camille Descimes
Cinq étoiles. Je justifie, obligé. Parce que votre texte m’a renseigné, m’a fait réfléchir, beaucoup, et aussi m’a ému, en mal autant qu’en bien (et puis, il m’a fait mon 11 novembre : un jour que je ne sais jamais comment passer, sinon au lit, en ravivant la flamme de mon soldat inconnu, ce que la lecture de votre livre a très bien fait ce coup-ci).
Le premier chapitre est aussi drôle que le serait un pastiche de Virginie Despentes, si c’en était un de pastiche : vulgaire comme du Despentes, et moqueur à la fois pour marquer votre singularité de Descimes. Descimes, Despentes ? C’est voulu le jeu de mots ou ce n’est pas un pseudonyme?
Moi je m’appelle Desgringole, dans le Metavers : enchanté !
Le problème est que votre premier chapitre ne donne pas le ton pour le reste, qui n’est pas du tout un pastiche, qui est même beaucoup plus délicat. Il y a donc tromperie sur la marchandise, ça m’a agacé, j’ai même failli arrêter là la lecture.
Je vous préviens, je suis un vieux con de « phallocrate » (vieille expression, les copines disaient comme ça quand j’étais jeune, tout en me caressant et m’expliquant comment marchaient leur engin et, accessoirement, le mien… yeaahhh, boumeur ! Ok, ok, j’en suis), un vieux con, donc, pour qui les filles ne sont pas des « limaces » comme vous le répétez ironiquement en prenant le masque de Watterson, mais plutôt des escargots, prêtes à se réfugier dans leur coquille quand on les importune trop et capables de remettre à leur place des mecs ballots, empotés, suintants de testostérone et de mauvais alcool, comme en charrie chaque génération. Dites moi où, n’en quel pays sont les boumeurs mâles qui, dès le poil au menton, collectionnaient les vestes et les baffes auprès des boumeuses femelles qui avaient plusieurs longueurs d’avance sur eux, à cause que la sexualité, les garçons l’apprenaient en disséquant une moule à l’école alors que les filles étaient mises au parfum par leur maman à l’arrivée des règles… peu importe… comme le monde a changé depuis cette époque !
Les histoires de viols d’adolescentes que vous racontez, déjà entendues ailleurs, me semblent toujours aussi effarantes. Ne sont-elles pas un problème de classe plutôt que de genre ? je m’interrogeais en vous lisant. Des soirées pharma, médecine, Ens, entre jeunes plutôt aisés, très éduqués, disposant de drogues capables de neutraliser les défenses des demoiselles, à qui on serine qu’ils seront « l’élite de la nation »… C’est le "Happy Few", tout le monde n’est pas issu de ce milieu… mais c'est le milieu que vous décrivez.
Les statistiques que vous donnez à ce sujet sont ridicules, elles nuisent au propos : « 3,26% des femmes sont victimes de viol contre 0,47 % des hommes… » ! Sur quelle période, pour quelle classe d’âge, quel est l’échantillon ? Qui a répondu, quelles étaient les questions posées ? Avec une précision de deux décimales après la virgule, vraiment !!?? C’est du vernis de godasse bon marché, du marketing rhétorique tout juste bon à vendre de la lessive « plus blanche à 88,08% pour 88,08% de ménagères satisfaites », rien à faire dans le domaine littéraire.
Malgré mon sale caractère, j’assume les 5 étoiles. J’ai les 5 étoiles subjectives, zéro prétention à donner des conseils de fabrication, aucune objectivité, juste « parce que ça me remue », quant à l’écriture… Il y a potentiellement trois livres en un seul : un pamphlet contre les abus sexuels sur les jeunes femmes, une belle histoire d’amour à la montagne, le portrait esquissé d’un paranoïaque. Je me serais contenté des deux derniers en poussant plus loin le portrait du paranoïaque. D’où vient-il ? Est-il aussi éduqué et argenté que les autres ? Quelle a été sa relation avec Julie ? On apprend très peu sur lui alors qu’il est de loin le personnage le plus complexe et le plus énigmatique.
Ce qui m’a le plus touché c’est que votre style se rapproche de celui de Manuel Puig, un écrivain que j’adore. Comme lui, vous avez le sens du dialogue et, parfois, vous réussissez cette difficile coalescence entre le trivial et le tragique.
Cette citation de lui devrait vous plaire :
“La femme la plus désespérément avide de libération est la « femme » que chaque homme porte enfermée dans le cachot de sa propre psyché. C’est cette forme de répression qu’il faut éliminer ; de même en ce qui concerne l’homme entravé qu’il y a dans toute femme ».
Publié le 13 Novembre 2022