Sur ses papiers d’identité, il s’appelle Jean.
Oui, mais si on y regarde de plus près – attention ça pique – il est aussi JeanPignon.
Quitte à passer pour un paranoïaque, il a bien voulu m’expliquer… Je vous entends penser, vous qui me lisez : non, il n’est pas malade ! Sans le vouloir, il joue un Double Jeu.
L’extérieur de JeanPignon ?
Un sourire charmeur : il a besoin de plaire. Oui, bon, je sais : ceux qui ont vu sa photo diront que c’est un vieux beau. Et puis, il a déjà entendu murmurer le mot « has been » autour de lui par de sales jeunes qu’il déteste, car jaloux de leur jeunesse. Mais l’extérieur de JeanPignon continue de plaire à celles qui le regardent. Il les voit, du coin de l’œil, se demander si éventuellement… Mais il ne cherche pas le contact, il n’est pas disponible. Du moins pas de manière exclusive. Il cède parfois quand la tempête intérieure a besoin de câlins et de bisous pour se calmer. C’est comme une location : à prendre en l’état ou à laisser, pas de vice caché. Face à lui, c’est la déception, mais c’est mieux que la trahison et les mensonges. JeanPignon hait les mensonges. Parfois, il tombe sur une âme vagabonde qui vient vers lui, sourit et apprécie l’extérieur de JeanPignon tel qu’il apparait au grand jour. Alors, c’est une tranche de vie succulente qu’il dévore à pleines dents, donnant en retour tout ce qu’il a de meilleur en lui. Le besoin de vivre des moments de bonheur intenses est vraiment important, le besoin de plaire en tant que personne avide d’amour est essentiel. C’est pour cette raison que certaines paroles lui griffent le cœur : « T’as encore de beaux restes ». Ces quelques mots, murmurés dans l’intimité, lui font mal, très mal. Il n’a pas été compris : le corps n’est pas l’âme. Mais il ne dit rien, il sourit, il distribue à grands seaux un océan d’amour. Il est JeanPignon.
Malheureusement, l’intérieur de Jean n’est pas loin, à peine une épaisseur de peau. Il a envie de montrer son visage, d’exister. L’extérieur de JeanPignon le repousse de toutes ses forces, l’intérieur de Jean finit toujours par gagner.
L’intérieur de Jean ?
Un cri désespéré, bouche ouverte, aussi énorme dans l’intensité que dans le silence. Un cri sans vibration, sans air, contenu entre les parois douloureuses pleines d’os qui gémissent et craquent sans se briser, poussant vers l’extérieur ; en vain, les parois restent solides. Il ne sort pas, déchire les chairs, les organes, les tripes et le cœur. Il contient les désespoirs, jaillissant de moments enfouis, sortis de tombeaux contenant le temps passé dont les croix inclinées supportent les pattes griffues de gros corbeaux habillés du noir de la nuit, yeux fixes, sans âme ni pitié, becs crochus, prêts à déchirer les yeux fragiles et suppliants pour les vider de leur substance : vie, amour, espoir, immensités célestes. La gorge, serrée comme un étau, étrangle le cri enfermé. Elle se laisse pourtant assouplir par de grandes gorgées de liquide fermenté, cherchant de tous côtés la bière, le vin, le rhum, bientôt la fumée qui réveillera d’autres fantômes ricanants.
Les yeux, fentes propices à faire déborder la masse visqueuse issue des tréfonds. Ce bouillon impétueux, mais bizarrement calme, difficile à contrôler, qui suinte aux interstices, laissant couler par moments un mince filet noirâtre, mais transparent, semblable à un tentacule sinuant lentement à la surface, cherchant une issue incertaine. Parfois, sans prévenir, c’est le flot torrentiel, brutal et sans retenue qui gicle hors des paupières qui se voudraient étanches. L’intérieur est trop gonflé, impossible de ne pas se trahir, de ne pas laisser voir, de ne pas épancher, de ne pas faire souffrir en montrant son affreux spectacle à l’extérieur de JeanPignon. Des pans entiers de son glacier intérieur s’effondrent, provoquant des raz de marée tout autour. Le corps entier vibre, mais ça tient. Combien de temps encore ? Ça tient, ça tient...
« Mieux vaut faire le clown ! », lance JeanPignon sur un ton enjoué.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
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Pauvre @JeanPignon ! Quel drame fut le sien qui l'a amené jusqu'à cet écartèlement ? Je lui souhaite un peu de douceur.
Très beau double jeu et en espérant que Jeanpignon en sorte indemne !