Le Cyclop

Nathalie Twardowsky pour l'appel à l'écriture monBestSeller

Je m'appelle Christian Deltrempe et suis actuellement en garde à vue. Quand j'ai vu le sujet sur Instagram, je me suis dit que je devais prendre les cinq minutes qui m'étaient accordées pour vous narrer mes déboires et vous expliquer la situation dans laquelle je suis.

Pour me rattraper d'une maladresse survenue lors de la Saint Valentin, qui est une autre histoire trop longue à vous raconter ici, j'avais organisé un week-end spécial pour Anaïs, ma femme. Elle est plutôt d'une nature jalouse et pour éviter qu'elle ne s'en prenne à ma petite personne inutilement et qu'elle m'assaille de questions, je lui avais glissé fébrilement que je lui concoctais une surprise de taille. Ce qui n'empêcha nullement l'interrogatoire cela dit en passant.

J'avais tout prévu. La réservation de l'hôtel avec l'attribution d'une table, les billets d'entrée, la garde des enfants chez mes parents que j'avais emmenés la veille sous l'œil inquisiteur de ma bien-aimée. Je lui avais juste demandé de préparer elle-même son nécessaire à toilette pour le week-end complet et d'apporter une tenue de soirée. Pour parfaire le tout, les prévisions météorologiques étaient au beau fixe.

Je trépignai d'impatience de voir sa réaction.

Elle était inquiète. Mais pas plus que moi je vous assure. Quand elle aperçut le panneau indiquant Milly-la-Forêt, son regard se changea en un point d'interrogation. On s'approchait du bois des Pauvres et le moment crucial arrivait. Je me crispais de tout mon être craignant de m'être une nouvelle fois trompé. Mais à la vue de l'architecture plantée en plein milieu, elle s'exclama d'une joie indéfinissable. Ses yeux pétillaient et s'extasiaient devant la sculpture. Le Cyclop était devant elle avec ses miroirs réfléchissant les rayons du soleil. Elle allait pouvoir admirer les œuvres de Nikki de Saint Phalle et de Jean Tinguely.

Nous étions en avance sur l'horaire. En attendant, elle exécuta x fois le tour de ce mastodonte me tirant sur la manche pour l'accompagner. Elle admirait sa langue toboggan et lui, nous narguait en nous regardant de son œil unique. Elle était enchantée, émerveillée par le début de ce séjour et me gratifia d'un baiser que je ne vis arriver. J'étais sur un petit nuage et roucoulais de plaisir de cet instant si difficile à recevoir de la part de ma partenaire.

Malgré le temps qui changea subitement, j'étais un homme heureux et serrais sa main dans la mienne pour entrer dans l'antre du Cyclop. Nous étions tous les deux éblouis le seuil à peine franchi. Comme des enfants, nous suivions et écoutions les instructions du guide, regardant tout autour de nous pour participer et admirer comme il se doit les œuvres contemporaines.

Tout naturellement, à un moment, Anaïs me lâcha la main. La beauté du lieu était telle que nous faisions abstraction de l'Humain pour nous nourrir du visuel féerique. Ce ne fut qu'à la sortie du musée que je me rendis compte de son absence et me mis à sa recherche, fouillant chaque coin et recoin en l'appelant. Anaïs, la femme que j'aimais tant, restait malgré tout introuvable. Une lueur de désespoir naquit dans mon regard. Les autres visiteurs me toisaient et me snobaient préférant débattre de leur sortie culturelle. Ils ne voyaient en moi qu'un homme jouant la comédie pour se rendre intéressant. Je criais, hurlais son nom tout en versant des larmes. Je repoussai à l'extrême l'idée que cette sortie ne se transforme en cauchemar. Anaïs avait disparu comme si le Cyclop l'avait engloutie. Plus aucune trace d'elle.

En homme et mari responsable, je signalais sa disparition au poste de police. Étant de bonne foi, je rentrais chez moi sereinement si je puis dire. Et c'est à la suite des investigations que je me retrouve dans cette pièce sans fenêtre à broyer du noir et attendre que l'on vienne me chercher pour continuer l'interrogatoire. J'avais omis de signaler qu'Anaïs souffrait de bipolarité. Ses sautes d'humeur à mon égard pouvant être un mobile, pour les flics, je suis le premier suspecté.

Je dois vous laisser. J'entends le cliquetis d'un trousseau de clés.

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